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Abrogation de la réforme des retraites : tout comprendre à la bataille autour de l’article 40 de la Constitution

La proposition de loi du groupe LIOT, visant à abroger la réforme des retraites, sera débattue jeudi 8 mai dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. Bien que ce texte ait été vidé de sa substance en commission, la majorité présidentielle se prépare à invoquer un motif d’inconstitutionnalité par empêcher l’opposition de rétablir, lors de la discussion, la version initiale.
Romain David

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Un bis repetita sur la réforme des retraites ? L’examen de la proposition de loi du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT) à l’Assemblée nationale, visant à abroger le recul de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans, menace de renvoyer la majorité présidentielle trois mois en arrière, au plus fort de la contestation. La gauche et l’intersyndicale appellent à une nouvelle journée de mobilisation mardi, deux jours avant l’examen en séance publique de ce texte, qui fait l’objet depuis plusieurs semaines d’une intense bataille procédurale. Hasard du calendrier ou volonté pour l’exécutif d’afficher sa fermeté : deux décrets d’application concernant la réforme adoptée mi-mars ont été publiés dimanche au Journal officiel, dont celui repoussant progressivement l’âge légal de départ.

Le gouvernement et la majorité, qui ont déjà largement puisé dans la Constitution pour cadrer les débats cet hiver – jusqu’à l’activation du 49.3 – , s’attendent à une nouvelle passe d’armes dans l’hémicycle. Cette fois avec un autre outil constitutionnel en tête : l’article 40, qui permettrait au camp présidentiel de faire retoquer le cœur de la proposition de loi, sans aller jusqu’au vote. Si la majorité a déjà réussi lors de l’examen préalable en commission à faire sauter l’article 1 – qui s’attaque au recul de l’âge de départ -, elle sait pertinemment que l’opposition dégainera un amendement pour tenter de rétablir le texte dans sa version initiale en séance publique.

Le principe de recevabilité financière

L’article 40 de la Constitution encadre le droit d’amendement et de proposition des parlementaires selon des motifs budgétaires. Il interdit aux élus d’apporter une modification, par le biais d’un amendement ou d’une proposition de loi, qui « aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ». En clair, les parlementaires n’ont guère la possibilité de créer de nouvelles dépenses, à moins de prévoir une manière de les compenser. On dit alors, dans le jargon législatif, que le texte est « gagé ». Faute de gage, une proposition de loi ou un amendement peut être rejeté au nom de son « irrecevabilité financière ».

Ce gage existe bel et bien dans la proposition de loi portée par LIOT : une taxe sur les tabacs, inscrite dans l’article 3 de ce très court texte. L’article 2 oblige par ailleurs le gouvernement à « organiser une conférence de financement du système de retraite avant le 31 décembre 2023 ». Mais voilà, la majorité estime le mécanisme un peu éculé pour compenser une mesure qui viendrait effacer, pour les caisses sociales, 15 à 20 milliards d’euros de recettes selon les estimations. « Si tous les gages sur le tabac avaient été appliqués, il n’y aurait plus grand monde qui aurait encore les moyens de se payer un paquet de cigarettes », sourit Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas.

Une question d’appréciation

Si l’article 40 instaure le contrôle de la recevabilité financière, il ne définit pas les critères de ce contrôle, c’est-à-dire qu’il laisse aux instances parlementaires le soin d’apprécier si la mesure est correctement « gagée » ou non. Or, cette appréciation peut avoir tendance à varier au cours du cheminement législatif, l’irrecevabilité financière pouvant être soulevée à tout moment du parcours parlementaire, comme le rappelle le Conseil constitutionnel dans une décision du 25 juin 2009. « Si vous vous cantonnez à une application stricte de l’article 40, toute proposition de loi devient sujette à dépenses et peut se voir retoquer. Il y a forcément une marge d’appréciation, plus ou moins extensive selon le contexte, mais aussi selon l’origine du texte », explique Benjamin Morel.

Ainsi, lors du dépôt de la proposition de loi LIOT fin avril, le bureau de l’Assemblée nationale, qui s’exprime en premier lieu sur la recevabilité d’un texte, n’avait rien trouvé à y redire. Mais l’usage veut que cette première lecture fasse généralement preuve d’une certaine mesure, et ce pour éviter de tuer dans l’œuf toute initiative parlementaire. « L’appréciation de la recevabilité financière est plus souple lorsqu’il s’agit d’une proposition de loi portée dans une niche parlementaire de l’opposition, car elles ont souvent une fonction tribunitienne. On ne va pas étouffer un texte qui a peu de chance d’être adopté, et dont le principal objectif est le débat », relève encore notre universitaire.

Deuxième étape : le passage en commission. Fadila Khattabi, la présidente Renaissance de la commission des affaires sociales, en charge de l’examen préalable de la proposition de loi LIOT, a saisi le 23 mai son homologue de la commission des finances, le LFI Éric Coquerel, comme le prévoit l’article 89 du règlement de l’Assemblée nationale, pour lever le doute sur la conformité du texte au regard de l’article 40 de la Constitution. Une procédure rare toutefois – seulement 28 saisines depuis 2009 -, trahissant la fébrilité autour de cette proposition de loi. Sans surprise, Éric Coquerel a jugé le 30 mai que le texte était financièrement recevable. À travers un long exposé, ce proche de Jean-Luc Mélenchon, fervent opposant à la réforme des retraites, s’est voulu le plus factuel possible, rappelant notamment l’adoption de certains textes « gagés » de la même manière sous la présidence d’Emmanuel Macron, comme la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés.

La règle et l’usage

Dans la version du texte élaborée en commission, la majorité est toutefois parvenue aux termes de débats particulièrement tumultueux à faire disparaître l’article 1er. « Je déposerai un amendement en séance pour remettre le texte initial », a aussitôt fait savoir devant des journalistes son rapporteur Charles de Courson, sans illusion sur le troisième acte qui se prépare autour de l’article 40, et dont cette fois, Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale, devrait être la cheville ouvrière. « Immédiatement, un éminent membre de la minorité présidentielle [sic] dira objection ! Irrecevabilité financière ! On saisit la présidente de l’Assemblée nationale », a prédit le député.

En effet, lors de l’examen en séance publique, c’est au président de l’Assemblé qu’il appartient d’apprécier la recevabilité des amendements déposés, toujours selon l’article 89 du règlement. En revanche, « un usage constant » prévoit que le président de l’Assemblée se conforme à l’avis du président de la commission des finances, rappelle le site du Palais Bourbon. Or Yaël Braun-Pivet pourrait bien créer un précédent en contournant cet usage et en prenant le contre-pied d’Éric Coquerel. « Il ne doit pas y avoir de débats sur cet article qui est clairement anticonstitutionnel. […] Je prendrai mes responsabilités, c’est la raison pour laquelle je suis présidente de l’Assemblée nationale. », a-t-elle averti dans la matinale de France 2.

« D’un point de vue strictement procédural, la position de Yaël Braun-Pivet ne pose aucun problème », reconnaît Benjamin Morel. « En revanche, du point de vue des usages, on peut s’interroger sur les répercussions d’une telle décision. Est-ce que la majorité considère que nous sommes dans une forme d’Etat d’exception de la vie parlementaire, et entend par la suite revenir à une pratique plus traditionnelle, ou au contraire, cette décision fera-t-elle jurisprudence, avec une présidente de l’Assemblée nationale désormais prête à court-circuiter le président de la commission des finances ? », interroge le juriste. « Ce que l’on observe, c’est que nous avons l’un des parlements les moins puissants du monde occidental, et qu’il ne retrouve des couleurs qu’à travers l’application d’une forme d’usage par rapport à la règle ».

Faut-il supprimer l’article 40 ?

Des voix s’élèvent régulièrement pour faire sauter le couperet de la recevabilité financière qui contraint la marge de manœuvre des deux chambres : L’article 40 de la Constitution laisse l’initiative budgétaire aux mains de l’exécutif, et rappelle que le Parlement ne gouverne pas. « Je suis pour l’abrogation de cet article. Il instaure une inégalité entre l’exécutif, dont les projets de loi ne sont pas astreints au respect de l’article 40, et le législatif, pour qui c’est le cas. La plupart des démocraties parlementaires vivent bien sans », a d’ailleurs défendu Éric Coquerel dans une tribune publiée dans le journal Le Monde.

Pour d’autres, en revanche, il est un garde-fou contre les dérapages budgétaires et le garant d’une forme de sérieux dans les travaux du Parlement. « L’objectif poursuivi est triple : assurer à l’exécutif la maîtrise des finances, anticiper l’impact budgétaire et fiscal des réformes proposées, et tenter de convaincre le gouvernement de la pertinence d’une mesure », défend ainsi Philippe Blachèr, professeur de droit public à l’université Jean-Moulin Lyon-III, également dans les colonnes du Monde. « Au fond, nous sommes à la charnière entre deux mouvements : à la fois un mécanisme de rationalisation parlementaire et un dispositif de maîtrise des finances publiques », résume Benjamin Morel. « Bien qu’il soit généralement perçu comme une camisole par les élus, notamment du côté des commissions des finances, l’article 40 subsiste car le sentiment de créer, en le faisant disparaître, une source potentielle de dérèglement financier est toujours vu comme un danger trop important. »

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