French National Assembly, Paris, February 2023

50 nuances de proportionnelle : les écueils du chantier électoral que pourrait lancer Michel Barnier

La mise en place d’un scrutin proportionnel pour les législatives fait partie des pistes de réforme envisagées par le nouveau Premier ministre Michel Barnier. Si de nombreuses formations politiques réclament sa mise en place, les modalités d’application font débat car ce mode de scrutin, réputé plus juste à l’égard des petits partis, présente aussi un risque d’instabilité parlementaire.
Romain David

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« Si la proportionnelle est une solution, je ne me l’interdis pas ». Lors de son passage au JT de TF1, au lendemain de sa nomination, le nouveau Premier ministre Michel Barnier a laissé entendre qu’il pourrait ouvrir ce chantier institutionnel, devenu un véritable serpent de mer ces dernières années. L’idée d’un vote à la proportionnelle pour les législatives a été ramenée sur le devant de la scène par la dernière séquence électorale, qui est venue fracasser le mythe de stabilité attaché au scrutin uninominal majoritaire, pourtant réputé propice à la mise en place de majorités claires.

La proportionnelle est réclamée de longue date par plusieurs formations politiques. François Bayrou, le président du MoDem, en a fait l’un de ses grands chevaux de bataille. « On aurait dû changer la loi électorale avant une éventuelle dissolution », a regretté le Béarnais dans un récent entretien au journal Le Monde. Il propose désormais de faire adopter ce changement électoral par le biais d’un référendum.

À ceux qui pointent le risque de morcellement inhérent au scrutin proportionnel – alors que la fragmentation actuelle du paysage politique est déjà inédite -, François Bayrou oppose « une démarche constructive. » Selon lui, la difficulté, voire l’impossibilité de glaner une majorité absolue avec un scrutin proportionnel obligerait, en amont, « de regarder ses concurrents pas seulement comme des adversaires, mais comme de potentiels partenaires. »

La proportionnelle aux législatives figure dans le « contrat de législature » qui a été présenté par le Nouveau Front populaire. François Hollande l’avait également proposé en 2012, avant d’y renoncer. Par ailleurs, la mansuétude affichée jusqu’ici par Marine Le Pen et le Rassemblement national à l’égard de Michel Barnier pourrait être liée à ce dossier. « S’il y a de nouveau des élections législatives dans un an, nous pourrions nous trouver dans la même situation de blocage total qu’aujourd’hui », estime la chef de file des députés RN dans un entretien à La Tribune du Dimanche. « Il faut donc adopter un autre critère, qui permette à une force politique d’avoir une majorité et de gouverner le pays, tout en ayant une meilleure représentation des courants qui le traversent. »

« 500 sortes de proportionnelle… »

Dans un scrutin uninominal majoritaire, un seul candidat est élu, celui arrivé en tête. Ce système récompense uniquement celui qui a récolté le plus de voix, indépendamment du score réalisé par ses adversaires. Considéré comme plus juste, le scrutin à la proportionnelle tient compte du nombre de voix glanées par chaque participant. Si le scrutin uninominal a tendance à profiter aux gros partis, capables d’aspirer le plus grand nombre d’électeurs, la proportionnelle récompense également la progression enregistrée par les formations plus modestes, même si elles ne sont pas arrivées en tête.

Mais la principale difficulté est d’en définir les contours : il existe en effet différentes manières de paramétrer ce scrutin, et c’est bien sur ce point que pourrait achopper une éventuelle réforme du code électoral. « Le scrutin proportionnel est une façon de libérer la vie politique française, il faut le faire en prenant son temps. Il ne suffit pas de dire ‘proportionnelle’, il y a 500 sortes de proportionnelle… », pointe Hervé Marseille, le président du groupe centriste au Sénat.

Les précédents en France

Seul scrutin direct à la proportionnelle intégrale dans le système électoral français : les élections européennes. Les électeurs votent pour des listes nationales. Chaque liste ayant réalisé au moins 5 % des suffrages se voit attribuer un nombre de sièges proportionnel à son nombre de voix, dans la limite du nombre de sièges dont dispose la France au Parlement européen, en l’occurrence 81.

À ce jour l’expérience des législatives de 1986 est restée sans suite. Conformément à l’un de ses engagements de campagne, le président François Mitterrand fait instaurer une représentation proportionnelle pour les élections législatives de 1986. La carte des circonscriptions est fusionnée avec celle des départements : le nombre de députés est fixé à un par tranche de 108 000 habitants, si bien que chaque département doit élire entre 2 et 24 députés selon sa population. Seules les listes ayant réalisé plus de 5 % des suffrages sont admises à la répartition des sièges, un seuil supposé limiter une trop grande fragmentation de l’espace politique. La répartition se fait en fonction de l’ordre des candidats dans la liste. Les sièges restants non pourvus sont attribués selon une méthode de calcul dite de « la plus forte moyenne ».

À l’époque, la gauche est accusée de tripatouillage électoral, et se voit reprocher de vouloir favoriser la montée du Front national pour freiner la progression du RPR. Mais la manœuvre est un échec cuisant : si 35 députés frontistes font leur entrée au Palais Bourbon, la droite obtient malgré tout la majorité des suffrages et impose une cohabitation à la gauche. Le Premier ministre Jacques Chirac, soucieux de ne pas reproduire la même erreur que ses prédécesseurs, s’empresse de faire rétablir le scrutin uninominal majoritaire, parfois présenté comme un héritage du gaullisme. Ce qui n’empêchera pas les socialistes de remporter les législatives de 1988 d’une courte tête.

Une dose de proportionnelle a été intégrée aux municipales pour les communes de plus de 1 000 habitants. La liste arrivée en tête récupère la moitié des sièges à distribuer, le reste étant réparti entre les listes ayant fait plus de 5 %.

Les sénatoriales, un scrutin au suffrage universel indirect, comportent aussi une dose de proportionnelle. Dans les départements qui élisent trois sénateurs ou plus, l’élection se fait à la représentation proportionnelle. Les sénateurs représentant les Français établis hors de France sont également élus avec ce mode de scrutin. En septembre 2023, à l’occasion du dernier renouvellement par moitié de la Chambre haute, la proportionnelle a été appliquée dans 27 circonscriptions, soit 136 sièges sur les 170 qui étaient remis en jeu.

La proportionnelle intégrale

Le 13 avril 2022, à quelques jours du second tour de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron s’était dit prêt à aller « jusqu’à un système de proportionnelle intégrale », plus loin donc que la promesse faite en 2017 d’une « proportionnelle de manière dosée ». Indirectement, le chef de l’Etat reprend à son compte la formule proposée en 1986 : une répartition de l’ensemble des sièges en fonction du score réalisé par chaque force politique. Pour autant, aucun projet de loi n’était dans les tuyaux avant la dissolution et les législatives anticipées.

L’ancien député MoDem Patrick Mignola l’avait pourtant déjà proposée en 2021, dans un texte déposé à l’Assemblée nationale mais jamais inscrit à l’ordre du jour, bien que l’élu eût appelé les autres composantes de l’ancienne majorité présidentielle à s’en saisir. En avril dernier, l’insoumis Bastien Lachaud a également déposé une proposition de loi en ce sens.

La proportionnelle intégrale soulève aussi la question de la carte électorale : faut-il des listes nationales, comme pour les élections européennes ? La disparition des circonscriptions viendrait gommer le caractère local de l’élection, même si les députés, investis d’un mandat national, représentent la Nation tout entière et non leurs seuls électeurs. Autre possibilité : revenir à un découpage départemental, à l’image de ce qui avait été imaginé en 1986.

La proportionnelle partielle

Dans la foulée des travaux lancés en début d’année par l’Assemblée nationale sur le rôle des élus locaux, Yaël Braun-Pivet, la présidente de la Chambre basse, avait proposé de rapprocher le mode de scrutin des députés de celui des sénateurs, avec l’introduction d’une dose de proportionnelle dans les départements les plus peuplés, c’est-à-dire ceux qui élisent au moins 11 députés. Au total 152 parlementaires sur les 577 que compte le Palais Bourbon, soit 26 % des sièges, seraient élus de cette manière.

« L’introduction d’une dose de proportionnelle permet de garantir une juste représentation, tout en conservant une stabilité pour gouverner et une proximité des élus avec leur territoire », justifiait-elle dans les colonnes du Figaro. Peu emballée par l’idée, la droite a fait savoir qu’elle exigerait en contrepartie d’une telle réforme un assouplissement sur la règle de non-cumul des mandats. Il s’agit de l’une des contraintes posées par Gérard Larcher, le président du Sénat. Notons que « le pacte législatif d’urgence » présenté au début de l’été par les LR ne porte pas de mesures institutionnelles. Ce sujet pourrait donc venir pimenter les rapports entre Michel Barnier et sa propre famille politique.

La « prime au gagnant »

Longtemps favorable à la proportionnelle intégrale, Marine Le Pen a fini par proposer un système hybride lors de la dernière présidentielle, avec la mise en place d’une « prime majoritaire » destinée à garantir une majorité à la formation politique arrivée en tête du scrutin, manière de contourner le risque d’instabilité parlementaire. Selon le mécanisme imaginé par la fille de Jean-Marie Le Pen, seul deux-tiers des sièges (385) seraient attribués à la proportionnelle, le dernier tiers, soit 192 sièges, irait au parti arrivé en tête, renforçant ainsi son assise. Marine Le Pen avait indiqué, lors d’une conférence de presse le 12 avril 2022, vouloir soumettre à référendum cette réforme électorale pour l’inscrire dans la Constitution.

Avec ce système, pour s’assurer d’une majorité absolue, il suffirait de récolter un peu plus de 25 % des suffrages. Rappelons que le RN a réuni 37 % des voix au second tour des législatives anticipées, devenant le premier parti à siéger au Palais Bourbon avec 126 députés. Dans l’hypothèse d’un scrutin proportionnel, son score du premier tour (33 %), ramené aux deux-tiers de l’hémicycle, lui aurait permis de décrocher 127 sièges, un nombre aussitôt porté à 319 grâce à la « prime majoritaire » imaginée par Marine Le Pen. Bien au-delà, donc, du seuil de la majorité absolue, fixé à 289 élus.

Une telle réforme implique de mettre en place un scrutin national, à moins de redessiner du tout au tout la carte électorale pour limiter le nombre de circonscriptions à 385, soit le nombre de sièges réservés à la proportionnelle. Ce qui soulève une interrogation : selon quels critères la force politique arrivée en tête attribue les sièges liés à la « prime majoritaire », et qui, a priori, ne sont liés à aucune circonscription ? « Les modalités techniques du scrutin : seuil d’admission, portée de la prime majoritaire, nombre de tours, possibilité de fusion des listes… relèveront de la loi, ce qui réserve, bien entendu, une certaine souplesse », avait indiqué Marine Le Pen.

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