Le chiffre est tombé en début d’année : selon les estimations du Centre d’étude de la pollution de l’air et de l’énergie (Crea), l’Union européenne a versé plus d’argent à la Russie pour importer ses hydrocarbures (22 milliards) que le montant total de l’aide européenne apportée à l’Ukraine (19 milliards). Une comparaison qui peut étonner compte tenu des seize paquets de sanctions mis en place par l’Union européenne. De nombreux manquements dans l’application des sanctions sont ainsi pointés du doigt : flotte de pétroliers russes « fantôme », raffinement des hydrocarbures russes dans des pays tiers comme l’Inde ou la Turquie ou encore augmentation des importations de Gaz naturel liquéfié (GNL) russe pas encore soumis à des sanctions (+81 % entre 2023 et 2024 d’après l’IEEFA).
« On a diminué significativement les importations de gaz russe »
Pourtant, ce déséquilibre n’est pas si surprenant, explique Maria-Eugenia Sanin économiste spécialiste des questions énergétiques et maîtresse de conférences à l’Université Paris Saclay : « On a diminué significativement les importations de gaz russe et Poutine a dû aller exporter à prix cassés à d’autres partenaires, ce qui était le but. On pouvait difficilement prétendre à plus compte tenu de l’interdépendance si forte au départ » (voir notre article). Entre 2022 et 2023 l’Union européenne a par exemple réduit ses importations de pétrole russe de 79 % en valeur, et est passée de 45 % de ses importations de gaz naturel venant de Russie à seulement 15 % en 2023. Mais depuis 2023, les revenus générés par les exportations d’hydrocarbures russes stagnent (légèrement à la baisse), d’après le rapport hebdomadaire du Crea, alors que l’UE prévoit toujours de se passer du gaz russe à horizon 2027.
Ce décalage entre un volontarisme politique affiché et l’effectivité des sanctions semble relativement normal à la chercheuse. « Ce ne sont pas Emmanuel Macron et Donald Trump qui ont directement la main sur les achats d’hydrocarbures, Poutine peut-être un peu plus. Mais en tout état de cause ce sont des entreprises privées, si elles n’arrivent pas à s’approvisionner, elles appellent une autre entreprise privée et font du business. Ces acteurs n’ont pas une lecture géopolitique de la situation, leur objectif est par définition la maximisation du profit », analyse-t-elle. Ainsi dans une économie de marché, il reste difficile pour les Etats d’orienter finement et massivement l’achat d’une ressource stratégique aussi difficilement substituable que l’énergie.
»Qui a gagné dans toute cette histoire ? Les entreprises américaines »
« En économie de marché, les sanctions pénalisent assez durement notre propre industrie et nos propres consommateurs », poursuit Maria-Eugenia Sanin. La Russie a donc été touchée, l’Union européenne aussi… « Qui a gagné dans toute cette histoire ? Les entreprises américaines qui ont pu exporter leur gaz de schiste devenu compétitif », conclut la chercheuse. D’après elle, la réduction de notre dépendance énergétique ne peut à long terme passer « que par la transition. »
Une position défendue par la sénatrice écologiste Mélanie Vogel sur le plateau de Public Sénat ce mercredi : « Aujourd’hui la transition écologique fait partie de notre arsenal pour gagner cette guerre. Cela peut paraître bizarre mais quand on importe 22 milliards de fossiles russes et que l’on donne 19 milliards à l’Ukraine : au-delà des enjeux climatiques, l’écologie est au service de la paix. »
Un lien entre autonomie énergétique et stratégique qui semble fondamental à Maria-Eugenia Sanin. « Sans autonomie énergétique, pas d’autonomie stratégique, l’industrie allemande dépend du prix du gaz », explique-t-elle. Il n’est pour le moment pas question d’étendre les facilités que l’Union européenne prévoit d’accorder à l’industrie de défense à d’autres secteurs technologiques clés comme l’énergie. Les 27 se réunissent ce jeudi lors d’un sommet extraordinaire pour aborder ces questions de défense européenne.