Paris : Council of ministers

Relance du nucléaire : les sénateurs vigilants sur la question des financements

Attendu pour ce début d’année, le projet de loi consacré à la souveraineté énergétique de la France devrait confirmer le virage pro-nucléaire amorcée l’année dernière, avec huit réacteurs supplémentaires. Au Sénat, si la place accordée au nucléaire dans les modes de production reste un point de discussion, les principales inquiétudes se portent sur les moyens financiers à mobiliser pour sortir des énergies fossiles.
Romain David

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Les contours du projet de loi relatif à la souveraineté énergétique de la France se précisent. Le gouvernement a transmis fin décembre au Conseil économique, social et environnemental (CESE), ainsi qu’au Conseil national de la transition énergétique (CNTE), deux articles de son avant-projet de loi. Dans un entretien à La Tribune ce dimanche, Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique, a levé le voile sur les orientations de ce texte attendu de longue date, et qui pourrait être présenté en Conseil des ministres dans quelques semaines. Son objectif est de permettre à la France de sortir de sa dépendance aux énergies fossiles, en s’appuyant sur des modes de production d’énergie décarbonés, au premier rang desquels figurent le nucléaire et les renouvelables. Le projet de loi devrait ainsi confirmer le virage pris par l’Etat sur l’énergie nucléaire après le discours d’Emmanuel Macron à Belfort, le 10 février dernier.

Ce texte de portée programmatique arrive tardivement. Il aurait dû être voté avant le 1er juillet, mais il est probable que les négociations entre l’Etat et EDF, sur la mise en place d’un nouveau tarif de l’électricité nucléaire, devant supplanter le mécanisme actuellement en vigueur d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH), aient repoussé son élaboration. Entre-temps, deux autres lois sur l’énergie ont déjà été adoptées par le Parlement : l’une relative à l’implantation d’énergies renouvelables sur le territoire, l’autre destinée à accélérer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. Une situation largement fustigée par les oppositions lors des débats à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Jusqu’à 14 réacteurs nucléaires

En plus des six réacteurs EPR déjà annoncés, et qui ne devraient pas rentrer en service avant 2035, le gouvernement entend acter avec son projet de loi sur la souveraineté énergétique la construction de huit réacteurs supplémentaires à l’horizon 2050. « Pour 2050 nous avons besoin de huit réacteurs additionnels ou de l’équivalent de huit réacteurs nucléaires, puisque le projet de loi ne dit pas quelle technologie nous utilisons, selon un principe de neutralité technologique », a précisé la ministre ce lundi matin, au micro de franceinfo. Un souci d’objectivité qui pourrait faire grincer des dents, car le texte fait également disparaître l’objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire dans le mix énergétique français. Objectif fixé par la précédente loi du genre en 2015, issue de l’accord passé à l’époque entre les socialistes et les écologistes, et finalement reporté de 2025 à 2035 sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron.

Cette suppression était attendue, dans la mesure où le Sénat était déjà parvenu à faire sauter cet objectif de réduction lors des débats autour du projet de loi relatif à l’accélération des procédures de construction de nouvelles installations nucléaires, en début d’année dernière. En conséquence, le gouvernement s’était engagé à actualiser ses objectifs de planification énergétique. Sauf qu’il ne devrait plus être question de données chiffrées. Ni en termes de nucléaire, ni en termes de renouvelables. Un choix visiblement assumé par Agnès Pannier-Runacher, pour qui il convient d’abord de se concentrer sur la diminution du recours aux énergies fossiles. « Je veux sortir de ce débat stérile qui a totalement paralysé notre production énergique ces dernières années, qui a consisté à opposer le renouvelable et le nucléaire », a-t-elle expliqué, toujours sur franceinfo. « Cette loi nous donne un objectif de sortie progressif des énergies fossiles. En 2030 nous aurons 45 % d’énergie décarbonée, en 2035, 60 % », a-t-elle estimé.

« Si l’on veut décarboner plus vite, le nucléaire sera essentiel »

« On ne pourra pas, dans une loi de programmation de cette nature faire abstraction de la manière dont nous allons compenser les énergies fossiles supprimées, ou bien nous serions des aventuriers. Le travail parlementaire se devra d’être un peu plus précis », relève le sénateur LR Daniel Gremillet, rapporteur pour la Chambre haute du texte sur la relance du nucléaire, à l’origine de la suppression de l’objectif de réduction de la part du nucléaire. L’élu salue la volonté de l’exécutif de construire d’autres réacteurs, ce qui vient appuyer la relance du secteur. « On se rend bien compte que si l’on veut décarboner plus vite, le nucléaire sera essentiel. Mais je ne suis pas certain que huit réacteurs supplémentaires soient suffisants. J’espère, dû moins, que le calendrier sera tenu ».

« 40, 50 ou 60 % de part de nucléaire ? La question est complexe et je ne suis pas sûr qu’il faille se donner des objectifs en termes de mix, le mieux est de fixer un cap de capacité et de puissance. Aujourd’hui, la priorité, c’est d’électrifier le pays et les usages », développe le sénateur communiste Fabien Gay, dont la famille politique a soutenu la relance du secteur. « Notre part de nucléaire va baisser mécaniquement, mais elle ne va pas baisser parce qu’on fera moins de nucléaire », a souligné Agnès Pannier-Runacher. Les nouveaux réacteurs viendront remplacer ceux qui arrivent en fin de vie malgré le « grand carénage », le programme de rallongement de la durée d’exploitation des centrales. La montée en puissance sur le renouvelable devrait aussi se poursuivre, même si ses contours demeurent assez flous.

« On est sur une marche forcée, un lobbying européen de la France pour placer le nucléaire en première ligne »

« Le fait de ne plus avoir de référence à des objectifs précis pour chaque mode de production laisse penser que le nucléaire sera amené à prendre toute la place », alerte le sénateur socialiste Franck Montaugé, membre du Conseil supérieur de l’énergie. « Le risque, c’est de décourager les envies d’investir sur notre territoire dans le renouvelable. Si jamais nous ne sommes pas en capacité technologique de tenir le calendrier annoncé sur le nucléaire, on risque de se retrouver dans un trou d’une dizaine d’années. Je dis qu’il faut continuer à pousser en même temps tous les curseurs ! »

D’autant que d’ici 2035, date attendue de l’entrée en service des premiers EPR, les EnR demeurent le principal levier d’action face aux énergies fossiles. Leur part n’a cessé de progresser depuis une dizaine d’années, pour atteindre 20,7 % de la consommation finale brute d’énergie en 2022, selon le mode de calcul retenu par l’Union européenne, indique le ministère de la Transition écologique. Ce qui toutefois place la France à la 14e place sur les 27 Etats membres. Publiée le 18 décembre, la note d’évaluation de la Commission européenne des projets de plans nationaux en matière d’énergie et de climat (PNEC) des États membres pointe les insuffisances de la France et s’inquiète de sa capacité à tenir les engagements pris en matière de réduction des émissions de gaz à effets de serre d’ici 2030. « On ne veut pas dépendre de la météo pour produire de l’énergie », a indiqué la ministre, ce qui implique de développer, aux côtés des installations éoliennes et photovoltaïques, des solutions de stockage.

« Le gouvernement est en train de mettre en place une construction politique pour mettre les Français devant le fait accompli, leur faire croire que le renouvelable n’est pas viable et que le nucléaire est la seule solution », s’agace l’écologiste Daniel Salmon, chef de file de son groupe sur ce dossier. « Alors que le monde entier a les yeux tournés vers le photovoltaïque, nous restons rivés sur l’ancien monde. On est sur une marche forcée, un lobbying européen de la France pour placer le nucléaire en première ligne, alors que l’EPR de Flamanville est un fiasco industriel et financier. »

Des « montagnes d’investissements »

Pour les sénateurs, au-delà des divergences qui peuvent exister sur le mix énergétique et la place du nucléaire, le principal point de vigilance concernera l’épineuse question des financements. « C’est notre plus gros sujet », glisse Daniel Gremillet. « Dans quelles conditions sera-t-on en capacité de relancer les investissements nécessaires ? Aujourd’hui encore, nous nous reposons toujours sur ce qui a été fait sous les présidences de de Gaulle et Pompidou », pointe l’élu des Vosges.

Sur les énergies renouvelables, communistes et écologistes ne souhaitent pas laisser les acteurs privés accaparer le secteur. « Nous pensons qu’il faut un grand service public de l’énergie, sans cela on n’y arrivera pas », estime Fabien Gay. « Nous n’avons pas les yeux de Chimène pour le privé. Un vrai service public permettrait un pilotage étatique et une meilleure implication des citoyens », abonde Daniel Salmon.

De son côté, EDF, déjà endettée à hauteur de 65 milliards d’euros, va devoir mobiliser un peu plus de 100 milliards d’euros dans les dix prochaines années : 50 milliards d’euros pour la relance du programme nucléaire, et 65 milliards pour la pérennisation des installations existantes. « Ce sont des montagnes d’investissements. Le rapport Pisani-Ferry-Mahfouz préconise 70 milliards d’investissements annuels jusqu’en 2030 pour la transition climatique. Nous en sommes loin. Surtout, personne ne parle de la dimension sociale derrière l’enjeu financier », pointe Franck Montaugé. « Car comment tout cela va-t-il atterrir en termes de tarifs pour le consommateur ? »

Les travaux du Sénat pris en compte

Le texte devrait également avoir un volet consacré à l’hydraulique, avec un renforcement des capacités de production des installations existantes. « On a trop maltraité l’hydroélectricité, alors que nous avons des capacités de production significative », soupire le sénateur Gremillet. Mais aussi des mesures sur la « régulation des prix » et la « protection des consommateurs ». Sur ce point, plusieurs propositions issues d’un rapport du Sénat sur les conditions d’utilisation de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique devraient être reprises par l’exécutif, nous confie Fabien Gay, l’un des corapporteurs. Notamment sur le renforcement de l’encadrement des contrats de fournitures, sur l’information des consommateurs ou encore sur les conditions de délivrance d’une autorisation de fourniture.

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