A dix jours de la dernière phase des négociations du traité international visant à mettre fin à la pollution plastique, le député MoDem Philippe Bolo a remis un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) sur « l’impact des plastiques sur la santé ». Il propose plusieurs recommandations.
« Les objectifs climatiques de l’accord de Paris ne seront jamais atteints sans le concours plein du secteur privé » selon l’ONG Notre affaire à tous
Par Alexis Graillot
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Le 24 avril 2013, un événement marque profondément le monde entier : l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh, bâtiment qui accueillait plusieurs milliers d’ouvriers travaillant pour les plus grandes entreprises occidentales. Ce drame provoque plus de 1100 morts, un des accidents les plus meurtriers de l’histoire du droit du travail. Cette tragédie a conduit de nombreux Etats à s’interroger sur les risques d’une compétitivité à tout prix au détriment de conditions de travail et de salaires décents mais également d’une sécurité minimale.
La France, pionnière d’une telle législation en la matière, a adopté en 2017, la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordres, s’adressant aux très grandes entreprises françaises ou ayant un nombre de salariés suffisamment important en France. Ces dernières doivent établir un plan de vigilance et s’engager à le respecter. Ce plan vise à « identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement dans toute leur sphère d’influence, les filiales comme les sous-traitants ».
Pourtant, comme le rappellent les différents intervenants interrogés, tout comme le rapport du Conseil général de l’économie en 2019, de nombreuses entreprises ne respectent toujours pas les obligations fixées par la loi malgré une « gouvernance du devoir de vigilance » qui s’est installée. La faute à des contours encore incertains et à un juge qui ne s’est pas encore saisi pleinement de sa compétence sur ces questions.
« Prétendre qu’une entreprise est capable d’être neutre en carbone en 2050 est une pratique commercialise trompeuse »
Lors de leur audition, les juristes de Notre affaire à tous, Paul Mougeolle et Brice Laniyan, ont déploré le manque de transparence de nombreuses entreprises qu’ils accusent de « pratiques commerciales trompeuses » : « Aujourd’hui, pléthore d’entreprises allèguent la neutralité carbone. Pourtant, aucune entreprise n’est capable de démontrer qu’elle a des objectifs compatibles avec les accords de Paris », citant quasiment mot pour mot l’ingénieur Jean-Marc Jancovici, auditionné 10 jours plus tôt. « Prétendre qu’une entreprise est capable d’être neutre en carbone en 2050 est une pratique commerciale trompeuse puisqu’elle laisse croire que tout est en règle » assènent-ils.
Manque de transparence d’un côté, blocages juridiques de l’autre : « Nous avons lancé une procédure contre Total Energies il y a 4 ans après les avoir interpellés de manière extra-judiciaire il y a déjà 6 ans mais aucun jugement définitif n’a été rendu ». Un constat que confirmait plus tôt Grégoire Leray, professeur d’université à La Sorbonne : « Après plus de 6 ans, il n’y a pas eu de décisions au fond car de nombreux blocages procéduraux persistent ».
Néanmoins, des décisions rendues par des tribunaux dans de nombreux Etats rendent les auditionnés optimistes. Pionnière, la décision Urgenda c. Pays-Bas rendue en 2015 par le Tribunal de première instance de La Haye, confirmée par la Cour suprême néerlandaise en 2019, avait condamné l’Etat batave pour inaction climatique dans une décision similaire à celle qui sera rendue 3 ans plus tard par le Conseil d’Etat en France dans « L’affaire du siècle ». « Depuis le jugement Urgenda, entre 2000 et 3000 contentieux climatiques contre les Etats ou les acteurs privés ont été recensés dont 500 ont débouché sur une victoire » saluent les juristes de Notre affaire à tous.
De manière plus politique, Paul Mougeolle et Brice Laniyan se sont déclarés favorables à une application extraterritoriale de la loi Hulot mettant fin à la recherche et l’exploitation des hydrocarbures : « Aucune entreprise ne devrait avoir la possibilité de développer des projets d’extraction fossile dans le monde entier » tancent-ils.
« Le devoir de vigilance est trop général et incertain en matière d’interprétation » pour le juge
Au cours de leurs prises de parole, les différents intervenants ont ainsi largement salué les « effets positifs » d’une loi « pionnière » en la matière. Pour l’avocate Charlotte Michon, la loi de 2017 a permis d’ « améliorer les droits humains et l’environnement en professionnalisant les démarches et en systématisant les processus », créant une véritable « gouvernance du devoir de vigilance ». Pour autant, elle remarque les « décalages très importants sur les pratiques des entreprises sur ce qu’elles publient et les moyens mis en place pour y parvenir », la faute selon l’avocate à l’absence d’informations sur les contours exacts du devoir de vigilance imposé aux entreprises. Jean-Baptiste Racine, professeur d’université, abonde : « toutes les entreprises ne sont pas exposées aux mêmes droits humains » avance-t-il, regrettant que l’environnement ne soit pas défini dans la loi. « Un regard extérieur permettrait de contrôler et guider les entreprises » poursuit-il, plaidant pour la création d’une autorité administrative indépendante.
Un avis que partage Paul Mougeolle, doctorant en droit climatique et juriste au sein de Notre affaire à tous : « Le devoir de vigilance est trop général et incertain en matière d’interprétation. Le législateur doit se saisir de sa compétence pour préciser les obligations pour chaque entreprise dans chaque secteur ». « Si une autorité devait être compétente, elle pourrait surveiller leur mise en œuvre ». Si aujourd’hui, en France, le Haut Conseil pour le climat pourrait faire l’affaire, ses avis n’ont aujourd’hui pas de valeur contraignante. Cependant, il juge le Haut Conseil « extrêmement utile pour le contentieux ».
En dépit de leur casquette de juristes, presque tous mettent en avant le rôle essentiel du législateur : « Les entreprises sont en attente de l’intervention de l’autorité publique, car si elle fixe le cahier des charges, les entreprises doivent trouver les outils elles-mêmes ». « L’Etat pourrait fixer les lignes directrices » conclut Jean-Baptiste Racine. « Nous devons légiférer pour forcer les entreprises à contribuer » poursuit de son côté Brice Laniyan, docteur en droit public et juriste en charge de la réglementation des multinationales à Notre affaire à Tous, prenant exemple de la possibilité pour le législateur de légiférer sur les impacts des produits vendus par des entreprises françaises au-delà du simple territoire français.
Pour autant, Marie-Anne Frison-Roche, professeur en droit privé à Sciences Po Paris, estime que le juge pourrait élargir son office, au-delà même de la sanction juridique : « Le juge condamne plus souvent qu’il ne répare » déplore-t-elle. De son côté, elle met en avant la nécessaire formation des juges sur le sujet pour aboutir à des décisions rapides et efficaces : « Les juges ne sont pas assez avertis techniquement et politiquement » constate-t-elle.
Une future directive européenne en matière de devoir de vigilance ?
Face à ces complexités législatives, administratives et juridiques, la Commission européenne s’est saisie du sujet en proposant début 2022, une directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, dans le sillage de la loi française de 2017. « La loi française est cependant contraignante et a créé une dynamique en Europe et dans le monde » souligne Jean-Baptiste Racine.
Cette nouvelle législation, qui serait dans ce domaine, la première à une telle échelle à disposer d’un caractère contraignant, est structurée autour des 3 piliers : une application réservée aux entreprises européennes et non-européennes, « dont le chiffre d’affaires dépasse 150 millions d’euros et aux petites entreprises dans des secteurs comme la fabrication de textiles, l’agriculture, les ressources minérales et la construction » ; « un régime de responsabilité civile pour les dommages-intérêts » ; un régime de sanctions prévoyant la « dénonciation publique » ainsi que des amendes « jusqu’à 5% du chiffre d’affaires net mondial ».
« La directive ne va pas révolutionner le droit français mais permet d’égaliser la concurrence et peut servir de modèle au niveau mondial » relève Marie-Anne Frison-Roche pour qui « la dimension symbolique serait très forte ». Un constat partagé par les deux juristes de Notre affaire à tous : « Nous devons tout mettre en œuvre pour que le devoir de vigilance soit adopté au niveau européen » lancent-ils.
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