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Inondations en Espagne : « Il est important de prendre conscience que ces événements ne sont plus exceptionnels », prévient François Gemenne 

Depuis mercredi, l’Espagne a été victime de pluies et d’inondations qui ont, selon les derniers bilans, fait plus de 150 morts. Alors que ces épisodes se répètent partout en Europe, les Etats cherchent encore les moyens de s’adapter aux conséquences du changement climatique. Entretien avec François Gemenne, climatologue et coauteur du sixième volet du rapport du GIEC.
Henri Clavier

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Peut-on encore parler d’événements exceptionnels alors que ces épisodes de fortes pluies sont de plus en plus fréquents, comme en Ardèche il y a deux semaines ? 

Oui, il est important de prendre conscience que ces événements ne sont plus exceptionnels, leur récurrence démontre que ce sont désormais des événements du quotidien, en particulier dans les régions du sud de l’Europe, autour du bassin Méditerranéen. La fréquence de ces épisodes climatiques impose donc une adaptation en profondeur aux conséquences du réchauffement climatique. 

Comment peut-on expliquer ce phénomène ? 

Si ces pluies et inondations deviennent de plus en plus fréquentes, c’est évidemment une conséquence du réchauffement climatique. Il y a également le phénomène météorologique de la « goutte froide » qui est habituelle à l’automne en Méditerranée. Concrètement, il s’agit d’une dépression isolée en haute altitude entraînant des pluies violentes avec une masse d’air froid qui se retrouve prisonnière en altitude avant de se heurter à une masse d’air chaud. C’est cette dépression qui a aussi causé les inondations massives en Ardèche il y a deux semaines. Néanmoins, l’ampleur des précipitations est inédite, notamment à cause du réchauffement climatique. L’un des effets du changement climatique va être d’augmenter la quantité des précipitations. En effet, chaque degré supplémentaire par rapport à l’ère préindustrielle implique également une augmentation de l’humidité. Avec un réchauffement de deux degrés, comme c’est le cas en France aujourd’hui, on constate une hausse de l’humidité qui aboutit à une augmentation de 15 % des précipitations. Ce qui explique les volumes inédits que l’on peut observer dans la région de Valence. 

Est-ce que certaines zones sont plus vulnérables que d’autres ? 

Le sud de l’Europe est particulièrement exposé. D’une part à cause des épisodes dits de « goutte froide », mais aussi parce que le bassin méditerranéen est à la confluence de nombreux effets du changement climatique, c’est un hotspot climatique. On a souvent tendance à considérer que les épisodes de sécheresse et d’inondations sont contradictoires, ce n’est pas le cas. Au contraire, la répétition des sécheresses fragilise les sols et leur capacité d’absorption dans ces situations. Cela ne signifie pas pour autant que seul le sud de l’Europe est concerné, la récurrence des inondations est l’un des principaux risques liés au changement climatique en Europe. Le nord de la France est aussi régulièrement touché, il faut se préparer à différents types de risques et les traiter de manière commune. C’est la multiplication des divers risques qui crée les dommages les plus importants. 

Quels sont les autres facteurs qui ont rendu ces régions particulièrement vulnérables ? 

Si le sud de l’Europe est aussi vulnérable, c’est aussi parce que ce sont des régions qui ont mis beaucoup de temps à prendre conscience des risques climatiques. L’artificialisation des sols augmente considérablement la vulnérabilité de ces régions. La bétonisation accrue de la région contribue à accroître les risques. Dans les dernières décennies, la région de Valence a perdu 9 000 hectares de vergers. C’est absolument considérable, si la région n’avait pas été à ce point urbanisée l’absorption aurait pu être plus grande et les dégâts moindres. 

La vulnérabilité n’est donc pas uniquement climatique ? 

Non, il y a un facteur politique et social. Dans notre manière d’appréhender les risques naturels, les vulnérabilités sociales et politiques sont négligées, pourtant ce sont le traitement de ces éléments qui font qu’un risque naturel devient une catastrophe. En Espagne les populations n’ont pas été prévenues, les routes n’ont pas été fermées et on a laissé les habitants se rendre au travail ce qui explique en partie le bilan humain. 

Comment peut-on s’adapter à ces évolutions climatiques et éviter la répétition des catastrophes naturelles ? 

Il faut prendre en compte les risques, et de manière lucide. Le plan Barnier d’adaptation au changement climatique paraît lucide dans son diagnostic et dans le niveau de réchauffement retenu pour l’adaptation, c’est un bon début. Maintenant, tout dépend de la mise en œuvre de ce plan et de son financement. En revanche, on voit que le Sénat veut atténuer la portée de la loi sur le zéro artificialisation nette, c’est le contraire de ce qu’il faut faire. Pour atténuer les inondations, il faut une loi régalienne pour protéger les vies humaines, c’est aussi une question de protection des vies humaines. L’adaptation est un vaste chantier à court, moyen et long terme. D’abord sur les moyens d’alerte des populations, ensuite sur l’urbanisation et la limitation de l’étalement urbain. Enfin, c’est la question de l’habitabilité de certaines zones qui se posera. Certaines zones seront inhabitables pour des raisons climatiques et il y aura également un impact économique conséquent. En France, l’année dernière, le coût a été de sept milliards d’euros pour les assureurs. A terme, certaines zones ne pourront plus être assurées.

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