Si la décision était attendue, elle n’en soulève pas moins de nombreuses interrogations sur notre capacité à lutter contre le dérèglement climatique dans les années à venir. Tout juste investi, le président américain Donald Trump a signé un décret actant le retrait des Etats-Unis de l’accord de Paris de 2015 sur le climat. « Une escroquerie injuste et unilatérale », a estimé le républicain lundi, devant des milliers de personnes réunies au Capital One Arena de Washington, où il a mis en scène ses premières décisions en tant que président, signant une brassée de décrets sous les acclamations de ses supporters.
C’est la seconde fois que les Etats-Unis se retirent de cet accord international conclu il y a dix ans, et visant à maintenir la hausse du réchauffement climatique en dessous de 2 °C, et si possible de 1,5 °C. Déjà lors de son premier mandat, Donald Trump en était sorti brièvement en 2020, avant que son successeur à la Maison-Blanche, le démocrate Joe Biden, ne réadmette son pays dès le premier jour de son mandat. Techniquement, la procédure de retrait des Etats-Unis ne devrait pas aboutir avant 2026. Ils rejoindront alors le petit groupe des pays qui ont refusé de ratifier ce traité : l’Iran, la Libye et le Yémen.
« Alors que des incendies violents attribués à la crise climatique viennent de ravager le comté de Los Angeles, cette décision est un non-sens scientifique et diplomatique. C’est un choix politique dont nous subirons collectivement les conséquences, dans une lutte où chaque dixième de degré compte », a déploré Jean-François Julliard, le directeur général de Greenpeace France, dans un communiqué.
Effet domino
« La première conséquence liée à la décision des Etats-Unis pourrait être celle d’un effet domino », observe auprès de Public Sénat François Gemenne, membre du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), et président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l’homme. « L’Accord de Paris tient par son universalité, en contrepartie d’une absence de contraintes sur les politiques de réduction d’émissions. Donald Trump pourrait entraîner dans sa décision d’autres Etats. Je pense à l’Argentine qui a retiré ses négociateurs de la COP29 cet automne. Mais aussi au Venezuela, à la Russie voire à certains pays européens comme la Hongrie, ce qui aboutirait à un véritable schisme », alerte-t-il.
Laurence Tubiana, l’une des négociatrices de l’Accord de Paris, est plus nuancée sur ce risque. « En 2017, lorsque Trump a annoncé que les États-Unis quitteraient l’Accord de Paris, cela n’a pas déclenché l’effet domino qu’il espérait. Bien au contraire : de nombreux pays ont redoublé leur engagement, et la Chine en particulier y a vu une opportunité de renforcer son leadership et son avantage concurrentiel dans les technologies vertes », écrit la diplomate dans un éditorial publié par le Financial Times fin novembre. « Aujourd’hui, les arguments en faveur du maintien dans l’Accord de Paris sont encore plus forts. L’Agence internationale de l’énergie s’attend à ce que le marché mondial des technologies propres triple pour dépasser les 2 000 milliards de dollars d’ici 2035. Les pays ont désormais conscience que leur prospérité future est étroitement liée à leur capacité à passer aux énergies propres », assure-t-elle.
Une moindre mobilisation des signataires
L’année 2025, conformément au mécanisme de révision qui figure dans l’accord, prévoit que les signataires se fixent de nouveaux objectifs à la hausse. Le désengagement des Etats-Unis risque de les pousser à se contenter du strict minimum, dans un contexte de ralentissement de la croissance mondiale, les gouvernements ayant généralement tendance à s’aligner sur les engagements de leurs partenaires. « Déjà, les COP23, 24 et 25 ont été neutralisées par le désintérêt des Etats-Unis pour la question climatique. On y a fait du surplace », se souvient François Gemenne.
Pour ce climatologue, le retrait américain pourrait déboucher sur une forme d’attentisme. « Avec un engagement à géométrie variable, selon que le locataire de la Maison-Blanche soit démocrate ou républicain, le reste de la communauté internationale pourrait être gagné par une envie de temporiser plutôt que de s’engager plus avant », explique-t-il. « Finalement, Joe Biden nous aurait rendu service en ne ramenant pas les Etats-Unis dans l’accord de Paris, ce qui aurait notamment poussé l’Union européenne à renforcer les négociations avec d’autres grands pollueurs, comme la Chine et l’Inde. »
Vers un retour en force des énergies fossiles ?
Surtout, la décision de Donald Trump s’inscrit dans le cadre d’un revirement de la politique énergétique et industrielle des Etats-Unis. Le Républicain, qui s’est engagé durant sa campagne à lutter contre l’inflation, a indiqué vouloir miser à plein sur la production d’hydrocarbure, ce qui pourrait s’accompagner d’une hausse sensible des émissions de gaz à effet de serre, alors que la précédente administration s’était engagée à atteindre la neutralité carbone en 2050. Le président a annoncé « un état d’urgence énergétique ». « Nous allons forer, forer et encore forer ! », a-t-il lancé dans sa première allocution en tant que président investi.
Actuellement, les Etats-Unis sont le deuxième pollueur mondial derrière la Chine, et le premier pollueur historique, responsable de 20 % des émissions de gaz à effet de serre émis sur la période 1850-2022. En 2022, le pays représentait 11,2 % des émissions du globe (29,2 % pour la Chine et 6,7 % pour l’Union européenne), selon les chiffres du ministère de la Transition écologique.
« Nous avons quelque chose qu’aucune autre nation manufacturière n’aura jamais : la plus grande quantité de pétrole et de gaz de tous les pays du monde. Et nous allons l’utiliser encore et encore », a promis Donald Trump. « Nous ferons baisser les prix, remplirons à nouveau nos réserves stratégiques jusqu’à ras bord et exporterons l’énergie américaine dans le monde entier. Nous redeviendrons une nation riche, et c’est cet or liquide sous nos pieds qui nous aidera à y parvenir. »
Le poids des marchés face à la volonté politique
Le milliardaire entend également mettre fin au « Green New Deal », l’ambitieuse politique d’investissement en direction de la transition écologique mise en place par Joe Biden. Il a révoqué un décret du démocrate obligeant l’industrie automobile américaine à produire 50 % de voitures électriques d’ici la fin de la décennie. « Vous allez pouvoir acheter la voiture que vous voulez ! », a promis Donald Trump, qui s’est engagé à « développer l’industrie automobile à un rythme jamais vu auparavant ». Des propos étonnamment prononcés à quelques mètres de l’un de ses principaux soutiens, le milliardaire Elon Musk, désormais directeur du département de l’efficacité gouvernementale, et surtout patron de Tesla, l’un des leaders du marché mondial de la voiture électrique.
« Sur la question des investissements, il y a la rhétorique politique et la logique économique », note François Gemenne. « Ces choses se jouent désormais essentiellement sur les marchés, or le coût des énergies propres a largement baissé, et j’observe par exemple que le Texas, terre de pétrole, est devenu le premier état producteur d’énergies renouvelables aux Etats-Unis ». En clair, l’essor des industries vertes et les sommes déjà engagées pourraient amener les investisseurs et les Etats fédérés à la prudence avant de s’embarquer vers un retour en arrière.