Commission d’enquête TotalEnergies : « Aucune grande entreprise n’a une stratégie compatible avec les accords de Paris »
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La commission d’enquête sur les obligations climatiques de TotalEnergies auditionnait ce 12 février l’ingénieur et professeur à l’école des Mines, Jean-Marc Jancovici. Celui-ci a répondu aux questions des sénateurs, dont les travaux doivent notamment permettre d’établir si la stratégie de TotalEnergies est en corrélation avec les objectifs de l’accord de Paris : une baisse des émissions de gaz à effet de serre suffisante pour maintenir le réchauffement planétaire sous la limite des 1,5 °C d’ici 2100.
« 1,5 degré, c’est mort »
D’emblée, Jean-Marc Jancovici a douché les espoirs des sénateurs de la commission d’enquête : « 1,5 degré, c’est mort, et 2 degrés, sauf chute de comète ou effondrement économique, c’est parti pour être mort ». Selon l’ingénieur, une diminution des émissions de CO2 permettant de maintenir le réchauffement sous 2 °C impliquerait en effet « que les émissions planétaires baissent de 5 % par an, dès demain matin ».
Une telle baisse semble, d’un point de vue économique, impensable aujourd’hui. « Compte tenu du fait que les énergies fossiles sont le moteur du système industriel et économique moderne, baisser les émissions de CO2 de 5 % par an revient à contracter l’économie de 4 à 5 % par an », estime Jean-Marc Jancovici.
Une trajectoire de décroissance que TotalEnergies ne semble pas emprunter, à l’image d’une écrasante majorité des firmes : « Aucune grande entreprise n’a une stratégie compatible avec les accords de Paris. (…) Total est une entreprise qu’on assimile au diable, parce que c’est elle qui sort le pétrole, mais le pétrole irrigue la totalité de l’économie mondiale. »
La sobriété, « la priorité des priorités »
Une fois ce sévère constat dressé, des pistes de solutions existent tout de même, selon le professeur. Interrogé sur la question du déploiement du nucléaire pour décarboner la consommation énergétique française, Jean-Marc Jancovici estime que l’atome est « très loin d’être la totalité de la solution » : « Pour que le nucléaire soit une solution à des usages du pétrole, du gaz ou du charbon, cela signifie qu’il faudrait électrifier ces usages ». Une telle électrification, dans des domaines allant des transports aux logements, en passant par l’industrie, demanderait bien trop d’énergie. « Pour faire fonctionner un grand haut fourneau d’ArcelorMittal à Dunkerque, par exemple, il faudrait un réacteur nucléaire. Il y a cinq hauts fourneaux », explique l’ingénieur.
Se passer des énergies fossiles nécessitera ainsi « un effort massif de sobriété », c’est même « la priorité des priorités, l’urgence des urgences », estime Jean-Marc Jancovici. Cette transformation des modes de vie et de consommation des Français – et des Occidentaux en général – est d’autant plus nécessaire que, selon le professeur, ce serait l’unique manière de mener la planète vers une diminution de l’exploitation des énergies fossiles. « L’essentiel de l’argent que gagnent Total et ses concurrents se fait à l’étranger. Mais l’Etat français n’a pas la possibilité de taxer les opérations qui prennent place au Nigéria, aux Etats-Unis ou en Russie », indique le professeur. À l’échelle nationale, « le seul pari que l’on puisse faire, c’est de faire des efforts et de compter sur le fait que, les hommes étant des animaux sociaux, le mimétisme fera sa part ».
Un tournant que les Français semblent prêts à prendre. Selon une étude de l’Ademe publiée en novembre dernier, ils sont 83 % à souhaiter vivre dans une société où la consommation prendrait moins de place. Une aspiration qui peine pourtant à se traduire en actes. « Changer dans les esprits le fait qu’avoir une grosse voiture est un symbole de réussite, c’est un travail difficile », concède Jean-Marc Jancovici.
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