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Un accord européen sur les travailleurs des plateformes numériques : « C’est une immense victoire pour l’Europe sociale »

Un accord autour d’un projet de directive pour renforcer la protection des travailleurs des plateformes numériques en Europe a été approuvé par vingt-cinq Etats membres lundi. Pour l’heure, la France s’oppose à ce texte, craignant un détricotage des accords collectifs conclus ces dernières années, notamment dans le secteur de la livraison et celui de la mobilité.
Romain David

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Un compromis a été trouvé lundi entre les Etats membres de l’UE pour renforcer la législation sur les travailleurs des plateformes numériques. Toutefois, l’Allemagne et la France n’ont pas soutenu cette directive, Berlin s’est abstenue en raison d’un désaccord politique au sein de la coalition au pouvoir, Paris a voté contre pour des motifs juridiques. Ce texte vise à faciliter la requalification des livreurs à deux roues et chauffeurs VTC, employés par des plateformes numériques telles que Delivroo, Uber ou encore Freenow. Les travailleurs y sont généralement considérés comme des indépendants, tout en étant soumis à de nombreuses obligations salariales. L’objectif de cet accord : clarifier leur situation et notamment renforcer leur protection sociale.

« C’est une immense victoire pour Nicolas Schmit, le commissaire européen à l’emploi et pour l’Europe sociale », salue auprès de Public Sénat le sénateur socialiste Olivier Jacquin, auteur d’une proposition de loi pour renforcer la protection des travailleurs indépendants. « C’est une amélioration encore insuffisante, mais c’est un premier pas ».

Une première mouture de ce texte, déjà critiquée par la France, visait à créer « une présomption de salariat » sur la base de critères européens. In fine, le compromis conclu laisse pleine liberté aux Etats de définir eux-mêmes la nature de la requalification. Or, c’est cette marge de manœuvre qui a poussé Paris a marqué son opposition, estimant qu’elle installait une ambiguïté juridique susceptible d’avoir de nombreux effets de bord. « J’observe que l’on termine cette mandature européenne avec une France totalement isolée, alors qu’Emmanuel Macron se voulait le chantre des solutions européennes », cingle Olivier Jacquin.

Un modèle français

Interpellée ce mercredi 12 janvier à ce sujet à l’Assemblée nationale, la ministre du Travail s’en est expliquée. « La France a pleinement joué le jeu de la négociation », a assuré Catherine Vautrin. « La France a cherché à définir des critères plus clairs, plus solides juridiquement pour pouvoir déclencher la présomption de salariat prévue par la directive, le sujet est là. Nous avons malheureusement constaté dans le texte qui a été examiné ces dernières semaines que le régime instauré était devenu plus flou et n’instaurait aucune harmonisation à l’échelle européenne, créant clairement un risque d’insécurité juridique », a expliqué la ministre du Travail.

Et d’ajouter un peu plus tard : « Nous sommes à la recherche d’une distinction entre les vrais et les faux travailleurs indépendants. »

L’exécutif rappelle que la France a construit « un modèle social » particulier pour les travailleurs des plateformes, avec neuf accords collectifs conclus depuis 2022, notamment dans le secteur de la mobilité et de la livraison. Le gouvernement semble désormais redouter que Bruxelles ne vienne détricoter ce qui a été mis en place. Néanmoins Paris s’est engagée à soutenir le texte pour son adoption finale, si « des clarifications » sont apportées par Bruxelles.

« Quand on dit à la ministre que 90 % des livreurs à Paris ne sont pas en règle, cela ne l’émeut pas ! », s’agace Olivier Jacquin. « Sur ces questions la France défend une position radicale qui vient de l’époque où le président de la République était ministre de l’Economie et voulait de la disruption ! », estime encore le socialiste.

« Il faut être lucide, il y aura de la casse avec cette directive »

« Il est vrai que nous avons un gouvernement extrêmement libéral, qui a fait des plateformes un enjeu de sa politique économique, mais qui est aujourd’hui prisonnier d’une méthode qui a atteint ses limites », explique la sénatrice LR Frédérique Puissat, co-auteure d’un rapport sur la protection sociale des travailleurs des plateformes en France. Elle reproche à certaines entreprises leur manque de transparence. « Être plus coercitif ne me choque pas, si cela nous permet d’aller voir ce qui se passe dans leurs comptes. »

« Il faut être lucide, il y aura de la casse avec cette directive », poursuit Frédérique Puissat. « Avec la première mouture de l’accord, Nicolas Schmit évoquait 5 millions de postes sur 30 millions en Europe assainis ou supprimés – chacun y mettant le mot qu’il souhaite. En France, cela représente 40 000 personnes. On n’est jamais satisfait quand des emplois disparaissent, mais il faut reconnaître que ces plateformes n’opèrent pas les contrôles qu’elles sont obligées de faire. Dans certains cas, on peut légitimement s’interroger sur l’exploitation de personnes issues de l’immigration, peut être sans papiers. »

Avant d’entrer en vigueur, le compromis doit encore faire l’objet d’une adoption formelle par les 27 et le Parlement européen. Interviendra alors un travail de transposition de la directive dans le droit national : « Nous allons nous assurer qu’il n’y ait pas de confusion opportune entre autonomie et indépendance, et faire en sorte que les critères retenus ne rendent pas inapplicables les requalifications », explique Olivier Jacquin.

Mais pour aller plus loin, cet élu estime que le législateur doit aussi regarder ce qu’il se passe dans d’autres secteurs, également touchés par cette « ubérisation » du marché du travail. Il évoque ainsi la situation des guides interprètes, des pigistes dans la presse et même de certaines professions médicales. « En réalité, les livreurs et les chauffeurs VTC sont l’arbre qui cache la forêt. La gangrène en est déjà à un stade avancé dans bien des domaines. »

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