Ubérisation : des sénateurs PS soutiennent une directive européenne en faveur de « la présomption de salariat » pour les travailleurs de plateformes

Ubérisation : des sénateurs PS soutiennent une directive européenne en faveur de « la présomption de salariat » pour les travailleurs de plateformes

La Fondation Jean Jaurès et le sénateur socialiste Olivier Jacquin ont organisé ce lundi 24 octobre 2022 une table ronde pour discuter des réponses européennes et françaises face à l’ubérisation, en présence d’acteurs de cette économie et du commissaire européen Nicolas Schmit. Une directive déposée par le commissaire propose la présomption de salariat pour les travailleurs de plateformes et est actuellement à l’étude au Parlement européen.
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Par Emo Touré

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« On est dans cette fiction où tout le monde voudrait de la flexibilité au travail […] mais où personne ne voudrait des droits associés au salariat », s’est étonné Nicolas Schmit, commissaire européen responsable de l’emploi et des droits sociaux. Ce lundi 24 octobre, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat et la fondation Jean Jaurès l’ont invité, ainsi que des acteurs du monde du travail en ligne. Les responsables de Just Eat, Heetch, de l’entreprise de portage salarial Jump, d’un syndicat européen, d’une coopérative de VTC et de confédérations des sociétés coopératives ont ainsi pu débattre et donner leur opinion concernant la directive européenne menée en faveur de la « présomption de salariat » des travailleurs de plateformes actuellement examinée par le Parlement européen.

Fin 2021, 2,23 millions d’actifs étaient enregistrés comme autoentrepreneurs en France. Pour Nicolas Schmit, « la question de leur statut est au cœur de la régulation des plateformes ». Depuis 2018, la Cour de cassation en France, comme d’autres instances en Europe, s’est prononcée pour la requalification en contrat de travail. Face à la multiplication des requalifications, la Cour de cassation a déposé un arrêt le 4 mars 2020 consacrant la notion « d’indépendance fictive » qu’elle justifie ainsi : « la qualification de « prestataire indépendant » donnée par le droit national n’exclut pas qu’une personne doive être qualifiée de « travailleur », au sens du droit de l’Union, si son indépendance n’est que fictive, déguisant ainsi une véritable relation de travail. »

En France, où seuls deux statuts existent - celui du salarié et celui du travailleur indépendant -, les livreurs ou chauffeurs VTC liés à ces plateformes sont payés à la tâche et non à l’heure selon le système de l’auto-entreprenariat. Enregistrés comme indépendants, les « entrepreneurs du vélo », n’ont aucune couverture en cas d’accident, ni de reconnaissance de maladies professionnelles. Impossible aussi de prétendre à des indemnités de licenciement en cas de fermeture de leur compte par la plateforme.

Ce modèle économique et ses conséquences sociales sont aujourd’hui de plus en plus décriés par la gauche de l’échiquier politique, mais aussi par des anciens employés. Pour Brahim Ben Ali, PDG d’une coopérative de taxis formée à la suite d’un mouvement contre le géant Uber, la directive européenne est un premier pas dans la bonne direction.

» Lire notre article : Les coopératives, solutions pour garantir des droits aux travailleurs des plateformes numériques ?

Pour Olivier Jacquin, « On a compris que la carte se joue en Europe ! »

La question du statut des travailleurs de plateformes n’a pas attendu la directive européenne pour se poser dans plusieurs pays. En Espagne, la présomption de salariat est devenue une réalité en 2021, provoquant la sortie du marché espagnol de Deliveroo. En France, le sénateur socialiste Olivier Jacquin a participé à l’élaboration de plusieurs propositions de loi en 2019 et en 2021 à ce sujet. Plaidant pour un « renversement de la charge de preuve », le sénateur l’assure : « la carte se joue en Europe ».

Auteur de la proposition de directive, Nicolas Schmit souhaite voir « les plateformes prouver que leur employé n’est pas salarié, mais un indépendant » et non l’inverse comme en France où la présomption de non-salariat d’un travailleur indépendant est entérinée depuis les lois Madelin de 1994 et Fillon de 2003.

Déposée en janvier 2021 et comprenant cinq ou sept critères selon la version du texte, la directive concernant la présomption légale de salariat sera déclenchée automatiquement si deux de ces critères sont remplis. Parmi ces derniers : la capacité des plateformes à sanctionner ou superviser son travailleur ou l’impossibilité pour ce dernier de fixer ses tarifs et d’accepter ou de refuser certaines tâches.

Parmi les soutiens inattendus à la directive, se trouve Patrik Bergareche, directeur du management de Just Eat France et Espagne. La plateforme de livraison en ligne a annoncé fin 2021 le recrutement de 4 500 livreurs salariés, sans pour autant s’empêcher de licencier massivement près des ¾ de sa flotte de travailleurs. « Nous ne pouvons pas faire ce choix du salariat seul », a expliqué le représentant de la marque, qui plaide pour « une directive européenne avec des critères clairs ». L’idée pour Just Eat est « d’avoir une vraie sécurité juridique ». Sans cette dernière, « nous ferons face à de la concurrence déloyale », a justifié Patrik Bergareche. Selon ce dernier, la différence de coût entre l’embauche d’un salarié et celle d’un auto-entrepreneur est comprise « entre 30 et 60 % ».

» Lire notre article : Ubérisation : une proposition de loi PS pour asseoir les droits des travailleurs précaires

« La flexibilité demandée par les indépendants et celle des plateformes n’est pas la même » selon Brahim Ben Ali, PDG d’une coopérative de chauffeurs privés

Mais tous les acteurs du secteur ne soutiennent pas nécessairement la directive. Julien Merceron, chef des opérations financières de Heetch a jugé « que certains critères ne finissent pas de tirer les prix pour les travailleurs vers le bas », ajoutant avoir déjà fait des concessions sociales : « Nous avons le taux de commission le plus bas du marché, à seulement 15 %. », a-t-il affirmé.

« La flexibilité demandée par les indépendants et celle des plateformes n’est pas la même », a déclaré Brahim Ben Ali. Face à Nicolas Faillon, cofondateur de « Jump ! », une entreprise de portage salarial qui emploie les indépendants en jouant le rôle d’interface entre eux et les plateformes. Le secrétaire général de l’Intersyndicale nationale des VTC a souligné que ces dernières ne seraient pas la solution miracle : « Nous avons 38 chauffeurs que nous défendons avec notre syndicat, aujourd’hui toujours impayés par une entreprise de portage salarial qui a fixé des taux minimums ».

La question des algorithmes et de leur manque de transparence a aussi été un des enjeux de cette table ronde. Si Olivier Jacquin affirme qu’il « ne reproche rien à un algorithme », il nuance : « La question, ce sont les mauvais usages qu’on peut faire aux algorithmes appliqués au droit du travail ». La directive européenne concernant la présomption salariale contient aussi tout un pan sur la gestion algorithmique des ressources humaines et des données des futurs salariés. Avec comme objectif pour le commissaire européen la possibilité de « pouvoir contester des décisions algorithmiques, […] et que les plateformes ne puissent plus se cacher derrière ».

 

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