Transports : le Sénat adopte une proposition de loi pour limiter les grèves durant les périodes de grands départs
Le Sénat a adopté une proposition de loi du président du groupe Union centriste, Hervé Marseille, visant à « concilier la continuité du service public de transports avec l’exercice du droit de grève ». Avançant des « interrogations lourdes sur le terrain du droit et de l’opportunité », le gouvernement n’a pas souhaité soutenir le texte.
Le débat parlementaire a été frontal, entre la majorité sénatoriale de gauche, favorable à des « aménagements » au droit de grève dans les transports publics, et la gauche de l’hémicycle, qui y voyait une disposition « anticonstitutionnelle ». Au terme d’un après-midi d’échanges vifs, le Sénat a adopté par 221 voix contre 112 ce 9 avril une proposition de loi visant à « concilier la continuité du service public de transports avec l’exercice du droit de grève ».
Déposé par le président du groupe Union centriste Hervé Marseille à la mi-février, à l’issue d’une grève des contrôleurs de la SNCF qui a perturbé le départ d’environ 150 000 voyageurs, le texte prévoit des dispositions pour limiter le droit de grève dans les transports routiers publics à certaines périodes de l’année. « Depuis 1947 pas une seule année ne s’est écoulée sans une grève nationale à la SNCF. C’est dire que depuis 70 ans, les années sans grève sont encore plus rares que les années d’excédent budgétaire […] Trop c’est trop, nos concitoyens n’en peuvent plus. A chaque mouvement social ils sont des millions à faire les frais de ces débrayages », a grincé en ouverture des débats le sénateur, à la tête de l’UDI.
« La défense corporatiste des intérêts des uns se fait au détriment de la liberté des autres », regrette Hervé Marseille
« Notre volonté n’est pas d’écorner le droit de grève, mais de limiter les abus », a défendu le sénateur des Hauts-de-Seine, insistant vouloir « rétablir un équilibre » entre le droit de grève et d’autres libertés fondamentales comme la liberté de circulation. « La défense corporatiste des intérêts des uns se fait au détriment de la liberté des autres », a-t-il dénoncé (voir la vidéo ci-dessous).
Le texte, profondément remanié lors de son passage en commission de l’aménagement du territoire la semaine dernière, donne la possibilité au gouvernement de définir par décret 30 jours par an, durant lesquels les personnels des services publics de transport n’auraient pas la possibilité de faire grève. Cette interdiction est limitée à sept jours glissants. Le dispositif de jours sanctuarisés s’inspire du modèle italien. Lors des débats, les sénateurs ont limité ces jours à certaines périodes sensibles de l’année : vacances scolaires, jours fériés, élections et référendums ainsi que des événements « d’importance majeure ».
Initialement, le texte permettait la suspension du droit de grève dans les transports publics à raison de 60 jours par an. En commission, l’application a été limitée aux personnels dont le concours est « indispensable au bon fonctionnement du service », et aux circulations durant les heures de pointe. De plus, les transports aériens ont été sortis du dispositif. « Nous avons accentué cette logique de conciliation des droits et renforcé la proportionnalité du dispositif », a souligné le rapporteur (LR), Philippe Tabarot.
Les « doutes plus les plus sérieux » du gouvernement sur la solidité juridique du texte
En séance, le gouvernement s’est clairement opposé au texte, rendant de fait une adoption à l’Assemblée nationale – si le texte était inscrit – très incertaine. Tout en disant entendre « l’exaspération de certains de nos compatriotes », le ministre des Transports Patrice Vergriete a indiqué que l’exécutif ne partageait « pas les orientations » de la proposition de loi. L’ancien maire socialiste de Dunkerque a estimé que l’analyse de la constitutionnalité de ses mesures soulevait les « doutes plus les plus sérieux. » Patrice Vergriete a également affirmé que le gouvernement ne souhaitait pas « reléguer en second plan » la « mobilité du quotidien de la France qui travaille ». « Nous ne souhaitons pas monter les Français les uns contre les autres. »
Les groupes favorables au gouvernement n’ont d’ailleurs pas adopté la même position. Le Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI), présidé par François Patriat (Renaissance) s’est abstenu, quand le groupe République et territoires – les indépendants a décidé de soutenir l’initiative de la majorité sénatoriale.
La gauche dénonce un texte « dogmatique et idéologique »
Les groupes de gauche, qui ont tenté en vain de rejeter le texte en amorce de la discussion à travers deux motions de rejet, ont multiplié les interventions pour s’opposer. « Toutes ces mesures sont anticonstitutionnelles au sens où elles portent atteinte disproportionnellement au droit de grève », a attaqué le sénateur communiste Pierre Barros, évoquant une « ligne rouge ». L’écologiste Jacques Fernique a mis en cause un texte « inconsidéré, inopportun, inopérant et contreproductif » (voir la vidéo ci-dessous). Son collègue Olivier Jacquin (PS) a ciblé une proposition de loi « dogmatique et idéologique », constituant à ses yeux une « boîte de Pandore ».
Plusieurs orateurs de gauche ont d’ailleurs rappelé le contexte particulier de cet été 2024. « A trois mois des Jeux olympiques, ce texte est une provocation qui risque de mettre le feu aux poudres dans un contexte de grave crise sociale qui touche la majorité des Françaises et des Français », a mis en garde la sénatrice communiste Marie-Claude Varaillas.
Favorable au « renforcement » du dialogue social entre directions et syndicats, le ministre des Transports a d’ailleurs appelé à la « responsabilité » les « entreprises et les syndicats du secteur à l’approche des Jeux olympiques et paralympiques cet été à Paris ». « Personne n’a à gagner à l’inflexibilité d’un côté, à l’escalade de l’autre », a-t-il plaidé.
Un texte qui allonge le délai de prévenance et s’attaque aux grèves de « 59 minutes »
Dans son contenu, le texte du jour a été également nourri de la proposition de loi de Bruno Retailleau, le président du groupe LR, adopté en 2020 mais jamais transmis à l’Assemblée nationale. Le sénateur Hervé Reynaud (LR) a souligné qu’il s’agissait de prolonger la loi de 2007 sur le service minimum, « qui a atteint ses limites ». La proposition de loi Marseille, telle qu’adoptée ce mardi, allonge le délai de déclaration des grévistes de 48 à 72 heures, prévoit un processus de réquisitions.
Le texte impose également aux salariés souhaitant faire grève de rejoindre le mouvement dès le début de leur service et non plus en cours de journée, afin de mettre fin au phénomène des « grèves de 59 minutes ». « Elles désorganisent le bon fonctionnement des services, elles sont naturellement excessives », a argumenté le sénateur Philippe Tabarot.
La proposition instaure par ailleurs un mécanisme rendant caducs les préavis non suivis d’effet au bout de 48 heures, afin de lutter contre les « préavis dormants » qui courent parfois pendant plusieurs mois. Selon Philippe Tabarot, certains préavis de grève à la RATP courent jusqu’en 2040.
Les sénateurs ont instauré dans le budget 2025 de la Sécurité sociale une « contribution de solidarité », destinée à financer les dépenses croissantes liées aux personnes âgées dépendantes. Celle-ci prendra la forme de 7 heures supplémentaires de travail dans l’année, non rémunérées. Les entreprises verseront à ce titre 2,5 milliards d’euros à la branche autonomie. Le gouvernement était défavorable à l’amendement, mais considère que « la question du temps de travail doit être posée ».
Après un long débat, le Sénat a validé la proposition du gouvernement de réduire les exonérations dont bénéficient les entreprises et les salariés en apprentissage. Face à l’opposition de nombreux sénateurs à la mesure, tous groupes politiques confondus, le gouvernement a tout de même assoupli son texte. La suppression des exonérations ne s’appliquera pas aux apprentis actuellement en contrat, mais seulement à partir du 1er janvier 2025.
Les sénateurs ont modifié ce 19 novembre la réforme des allègements de cotisations, inscrite au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025. Redoutant des destructions d’emplois, la majorité de droite et du centre a annulé la hausse du coût du travail sur les salaires autour du Smic. En guise de compensation, l’article modifié limite davantage les allègements de cotisations sur des rémunérations plus élevées.
Au premier soir des débats sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, les sénateurs ont rejeté deux amendements de la gauche visant à revenir sur la réforme des retraites de 2023.