L’idée chemine, sans qu’il n’y ait pour le moment de traduction dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, actuellement en débat à l’Assemblée nationale. Défendue par des parlementaires de l’arc central, au palais Bourbon comme au palais du Luxembourg, l’introduction d’une deuxième journée de solidarité bénéficie d’un regard intéressé de la part du gouvernement. La semaine dernière, le ministre du Budget Laurent Saint-Martin estimait que cette mesure irait « dans le bon sens », s’en remettant au débat parlementaire à venir. « C’est une proposition très intéressante qu’on instruit, qu’il faut regarder de près », expliquait avant lui le ministre de l’Économie et des Finances, dont l’objectif est de parvenir à 15 milliards d’euros d’effort budgétaire dans les comptes sociaux.
Antoine Armand se montre toujours ouvert ce lundi, dans un entretien aux Échos : « Ouvrons le débat. L’objectif doit être, en tout cas, d’accroître le nombre d’heures travaillées sur l’année, pour pouvoir financer notre modèle de protection sociale auquel nous tenons tous. »
De 2,4 à 3,3 milliards d’euros de rendement par journée de solidarité
Ce débat pourrait avoir lieu au Sénat, où le projet de loi de financement de la Sécurité sociale sera étudié en commission le 13 novembre, puis en séance à partir du 18. C’est d’ailleurs au palais du Luxembourg qu’avait été poussée cette idée d’une nouvelle contribution des salariés, pour ramener de nouvelles recettes vers la Sécurité sociale. L’instauration d’une deuxième journée de solidarité faisait partie des principales recommandations d’un rapport de la commission des affaires sociales, fin septembre, pour répondre au défi du financement dans la prise en charge des personnes âgées dépendantes. C’était également l’une des pistes préconisées dans le rapport Vachey en 2020, juste avant la création de la branche autonomie de la Sécurité sociale.
Pour rappel, la journée de solidarité a été instituée par la loi du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l’autonomie, après la canicule meurtrière de 2003. Elle prend la forme d’une journée travaillée mais non payée. Les employeurs privés et publics versent à la Sécurité sociale une contribution pour un montant de 0,3 % de leur masse salariale, le surcroît de valeur produit par cette journée d’activité supplémentaire. Elle était initialement fixée le lundi de Pentecôte. Depuis 2008, les entreprises peuvent décider elles-mêmes du placement de ces 7 heures de travail dans l’année.
Cette contribution rapporte à la Sécurité sociale 2,4 milliards d’euros, du fait de l’activité supplémentaire des salariés. Il faut ajouter à cette somme 0,9 milliards d’euros, puisque la loi en 2013 a étendu cette contribution de 0,3 % aux pensions de retraité et d’invalidité.
« On ne remet pas en cause le 11 novembre, le 8 mai ou le jeudi de l’Ascension »
La sénatrice LR Chantal Deseyne, qui a co-rédigé le rapport sur la situation financière des Ehpad en septembre, se dit prête à proposer cette deuxième journée de solidarité à travers un amendement au PLFSS dans deux semaines. La rapporteure de la branche autonomie motive ce choix par le creusement entre recettes et dépenses au sein de la branche autonomie pour les années à venir. Le déficit de celle-ci pourrait atteindre 2,5 milliards d’euros en 2028, selon les prévisions du gouvernement.
Comme dans le système actuel, Chantal Deseyne plaide pour de la souplesse, renvoyant les modalités de ces 7 nouvelles heures travaillées, mais non rémunérées, aux accords d’entreprise ou de branche. « Il ne faut pas le présenter comme un jour férié ou une journée de congé en moins. On ne remet pas en cause le 11 novembre, le 8 mai ou le jeudi de l’Ascension. Les sept heures peuvent être réparties sur l’année, tout est envisageable », explique la sénatrice d’Eure-et-Loir.
La sénatrice affirme que le groupe LR, le premier groupe en termes d’effectifs au Sénat, est « favorable » à cette piste. La réaction du gouvernement lui semble également de bon augure pour la discussion à venir. « Je pense qu’on a une oreille attentive », constate-t-elle. Devant la commission des affaires sociales, le ministre des Solidarités, Paul Christophe, confiait n’avoir « aucun tabou » en termes de nouvelles recettes.
L’adoption du rapport sur la situation financière des Ehpad, comportant cette recommandation, montre qu’une majorité de sénateurs pourrait suivre. Les trois groupes de gauche, en minorité dans l’hémicycle, s’y opposent. « Mon groupe rejette cette idée totalement. C’est une mesure injuste, qui reposerait uniquement sur les salariés. Ce n’est pas la bonne solution pour trouver de nouvelles recettes », s’oppose par exemple la sénatrice socialiste Corinne Féret. La rapporteure écologiste, Anne Souyris, encourageait plutôt un relèvement de la CSG, prélèvement qui frappe l’ensemble des revenus, y compris ceux du patrimoine et du capital.
Au sein de la majorité sénatoriale de droite du centre, le dépôt d’un amendement instituant une deuxième journée de solidarité n’est pas arrêté à cette heure. « On est encore sur une hypothèse », précise ce lundi Élisabeth Doineau, la rapporteure générale de la commission des affaires sociales (Union centriste). Celle-ci doit être soumise à l’appréciation de la majorité sénatoriale ce mardi, en particulier chez les centristes. Ou encore chez les sénateurs macronistes. Personnellement favorable à la piste d’une deuxième journée de solidarité, à condition qu’elle soit « bien appliquée », le président du groupe RDPI (Renaissance) François Patriat va consulter ses troupes.
D’autres mesures en balance dans le projet de loi
La rapporteure générale doit également s’entretenir mercredi avec le président du Sénat. Il faut dire que les arbitrages sur le PLFSS dépassent largement le seul cadre de cette éventuelle deuxième journée de solidarité. Car plusieurs dispositions suscitent des questionnements au Sénat, parmi lesquelles : le décalage de six mois dans la revalorisation des pensions de retraite sur l’inflation, la baisse des allègements généraux de cotisations sur les bas salaires, ou encore la hausse des cotisations employeurs retraites dans la fonction publique ou hospitalière. La majorité sénatoriale entend respecter le cadre fixé par Michel Barnier : rester a minima dans le même quantum d’économies dans le champs de la Sécurité sociale. Tant que le déficit de la Sécu est stabilisé à 16 milliards d’euros l’an prochain, des marges de manœuvre existent. « Il y a beaucoup de sujets qui heurtent. Chacun cherche à prendre des mesures, sans que cela ne pèse. On cherche un équilibre », résume Élisabeth Doineau.
À titre personnel, la sénatrice de la Mayenne préconise de retarder par exemple la revalorisation des pensions de retraite à seulement un trimestre, au lieu des deux inscrits dans le projet de loi (3,6 milliards d’euros d’économies attendues par le gouvernement). Cette modification aurait l’avantage de rendre le système plus lisible, en calquant le calendrier de la hausse des pensions (actuellement le 1er janvier) sur celui des autres prestations sociales et familiales, qui intervient chaque année au 1er avril.
Avec un seul trimestre de gel, la mesure aurait surtout l’avantage d’être deux fois moins douloureuse pour les retraités. « Deux trimestres, cela me paraît beaucoup », considère Élisabeth Doineau. D’où l’importance pour la sénatrice centriste de compenser en face ce compromis par de nouvelles recettes, comme la journée de solidarité.
La majorité sénatoriale n’a pas non plus tranché sur la question du calendrier de revalorisation des pensions. « Quitte à se faire mal, autant le faire une fois pour toutes », relève un membre du groupe LR. D’autres imaginent un mécanisme qui préserverait les plus petites retraites de l’effort budgétaire. Il reste une semaine pour trancher.
Alors que les députés pourraient ne pas avoir terminé l’examen du PLFSS dans les temps, le Sénat compte bien tenir la plume sur le projet de loi du début à la fin.