La prise en charge des demandeurs d’emploi de plus de 53 ans va sensiblement évoluer à la fin de l’année. Partant du recul de deux ans de l’âge légal de la retraite, depuis l’an dernier, le gouvernement modifie les règles d’indemnisations spécifiques aux séniors, dans les nouvelles règles de l’assurance chômage.
Pour bien comprendre les évolutions qui s’annoncent pour cette tranche d’âge, marquée des difficultés spécifiques dans la reprise d’un emploi, il faut partir des règles actuelles. C’est ce qu’on appelle la « filière seniors », dans l’assurance chômage. Elle est composée de deux bornes. Aujourd’hui, les salariés âgés de 53 et 54 ans peuvent être indemnisés jusqu’à 22 mois et demi, et ceux âgés de 55 ans et plus jusqu’à 27 mois, contre 18 mois pour le reste des chômeurs.
Une durée d’indemnisation nettement réduite pour certains seniors
Les conditions vont évoluer pour les nouveaux entrants, à compter du 1er décembre. Le premier palier (53-54 ans) va disparaître et la durée d’indemnisation maximale de ces demandeurs d’emploi va s’aligner sur celle des autres, en diminution, elle ne sera plus que de 15 mois. En perdant une couverture pendant 7 mois et demi, les chômeurs de 53 et 54 ans sont donc les plus durement touchés par le durcissement des règles. La filière seniors est maintenue, mais l’entrée est reculée de 55 à 57 ans, et la période d’indemnisation passe de 27 à 22 mois et demi. « Je refuse que cette filière seniors soit supprimée, car il est important de maintenir une protection et des règles spécifiques », a défendu Gabriel Attal, dans La Tribune dimanche. Matignon a donc rejoint en partie une idée portée par Bercy, dès le mois de novembre (relire notre article). Le ministre de l’Économie plaidait pour une convergence avec les autres demandeurs d’emploi.
Jusqu’à présent, les organisations syndicales ne s’attendaient qu’à un simple décalage des deux paliers de deux ans, pas à la suppression du premier. « Les 53-57 ans vont être perdants. Cela va générer énormément de précarité », réagit Jean-François Foucard, secrétaire national CFE-CGC. Le syndicaliste alerte d’ores et déjà sur l’émergence probable de coûts induits. « L’État pense qu’il va faire des économies, mais il va perdre par exemple en consommation. À un moment, les coûts seront plus importants. Collectivement, on y perd. »
Pour rappel, selon l’Unédic, en charge de la gestion de l’Assurance chômage, les seniors restent en moyenne bien plus longtemps inscrits à France Travail que les autres : 520 jours en moyenne en 2021, contre 340 pour les 25-49 ans.
Au Sénat, la sénatrice LR Pascale Gruny, bien au fait des questions liées à la retraite tout comme au chômage, se montre très critique envers les décisions du gouvernement, qui se matérialiseront, selon elle, dans un « texte très financier et anxiogène ». « De toute façon, ils sont en train de chercher de l’argent partout. Ils ne se préoccupent pas du tout de la personne humaine, ça devient inacceptable », dénonce-t-elle. « Le dialogue social n’est pas là, or, il est essentiel. »
L’Unédic devra compenser une perte de salaire des seniors pendant un an
En contrepartie, le gouvernement annonce un « bonus emploi senior » pour « mieux accompagner la reprise d’emploi », dans le cas où ce dernier serait moins bien rémunéré que le précédent. Ce dispositif permettra à l’Assurance chômage de compléter ce nouveau revenu, pendant un an, pour atteindre la rémunération précédente. Gabriel Attal a précisé qu’il y aurait un « plafonnement ». La disposition fait grincer des dents dans les organisations syndicales. « Il faut dire que cette compensation après avoir accepté un emploi moins bien rémunéré ne durera pas. C’est seulement un an, et c’est l’Assurance chômage qui paye. On va se retrouver avec une trappe à bas salaires », redoute Michel Beaugas, secrétaire confédéral FO, en charge de la formation professionnelle et de l’emploi.
Dans un communiqué, la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) aurait aimé voir d’autres choses que ce simple bonus emploi senior. « Il est cependant regrettable qu’aucune mesure incitative à l’embauche d’un senior n’ait été prévue pour les entreprises », a souligné l’organisation dans un communiqué publié ce lundi 27 mai.
Le gouvernement a promis d’aller « plus loin », « dans l’acte 2 de la réforme du travail ». Le Premier ministre veut inclure de nouvelles mesures, en profitant du prochain projet de loi travail.
Le ministère du Travail prévoit de lancer une concertation préalable des partenaires sociaux d’ici la fin de l’été. Sa présentation en Conseil des ministres interviendrait à l’automne, et le ministère espère un passage à l’Assemblée nationale d’ici à la fin de l’année. « L’idée est d’utiliser comme base de travail les négociations des partenaires », explique-t-on dans l’entourage de la ministre du Travail et de la Santé, Catherine Vautrin. En avril, les négociations autour du pacte de la vie au travail ont achoppé entre organisations patronales et syndicats, notamment à cause des discussions sur l’employabilité des séniors et la prévention de l’usure professionnelle.
Annonce d’un projet loi intégrant des dispositions sur les seniors
Gabriel Attal souhaite que la proposition d’un « CDI senior » soit étudiée. Cette piste, poussée par le patronat, vise à favoriser l’embauche des seniors de 60 ans ou plus. Elle consisterait pour les employeurs à pouvoir rompre un contrat dès que l’employé obtient ses trimestres pour pouvoir partir en retraite à taux plein. Le Sénat avait également imaginé un CDI senior dans la réforme des retraites de 2023, avec des exonérations de cotisations pour les entreprises qui s’en saisirait. La mesure avait été limitée à une expérimentation, lors du compromis avec le gouvernement, avant d’être censurée par le Conseil constitutionnel au motif que la disposition était trop éloignée avec l’objet initial du projet de loi.
Les organisations syndicales s’étaient opposées d’un seul bloc contre le CDI senior au printemps. L’annonce de Gabriel Attal de s’en emparer passe plutôt mal. « Cela fait une discussion déséquilibrée. Le patronat va arriver avec l’accord du gouvernement », désapprouve Michel Beaugas (FO). « On n’était pas pour le CDI seniors. La vérité, c’est qu’à un moment les entreprises ne veulent pas payer. Il y a des entreprises qui ne jouent pas le jeu de la formation, pour maintenir l’employabilité », pointe Jean-François Foucard (CFE-CGC).
L’index seniors devrait, lui aussi, faire son retour, dans ce projet de loi travail. Cette disposition de la réforme des retraites avait été également censurée l’an dernier dans le cadre de la réforme des retraites. Michel Beaugas (FO) se montre sceptique. « Pourquoi pas, sauf que l’index égalité femmes-hommes ne fonctionne pas, il y a toujours 20 % d’écart de salaires entre les femmes et les hommes. Un index sans sanctions, ça ne sert à rien. »
Les syndicats se montrent pour le moment troublés par la méthode employée sur l’assurance chômage, dont le projet de décret devrait être transmis dès la semaine prochaine au Conseil d’Etat. « Tout est réglé. On a le droit de choisir la couleur du papier peint mais les motifs sont déjà choisis. Le gouvernement ne concerte rien, il impose », fulmine Jean-François Foucard.
« Si on ne procède que par petits bouts, on ne pourra aboutir à un équilibre, qui peut aider à faire accepter les choses. Et pour cela, le dialogue social est essentiel », rappelle la sénatrice LR Pascale Gruny.