Le projet de bulletin de paie simplifié de Bruno Le Maire rencontre ses premiers écueils au Sénat

Auditionné devant la commission spéciale sénatoriale sur le projet de loi relatif à la simplification économique, Bruno Le Maire a fait face au scepticisme de plusieurs sénateurs, de gauche comme de droite, au sujet d’une refonte importante du bulletin de paie.
Guillaume Jacquot

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De toutes les évolutions inscrites dans le projet de loi de simplification, c’est probablement la disposition qui suscite le plus de commentaires. L’idée d’une simplification drastique du bulletin de paie a également fait beaucoup réagir ce 14 mai au sein de la commission spéciale du Sénat, qui travaille au pas de charge depuis la présentation du projet de loi en Conseil des ministres il y a trois semaines. À gauche comme à droite, la pertinence de la mesure interroge.

« Simplifier de cette façon-là, c’est un gage de transparence, de lisibilité et de démocratie », a justifié Bruno Le Maire, auditionné sur le projet de loi ce mardi. Le ministre de l’Économie et des Finances a une nouvelle fois défendu l’introduction d’un nouveau bulletin de salaire contenant une quinzaine de lignes, « dans un format resserré et davantage compréhensible », plutôt que la version actuelle pouvant totaliser jusqu’à 55 lignes obligatoires. « La situation actuelle est coûteuse pour l’entreprise, et illisible pour le salarié », a fait valoir l’exécutif dans un document de présentation du projet de loi.

Fini le détail des cotisations sociales en direction de tous les risques couverts par la Sécurité sociale, le bulletin de paie devrait réunir à terme, dans le projet du gouvernement, quelques grands agrégats : le total versé par l’employeur, les rémunérations en brut et net du salarié, ainsi que les cotisations et contributions respectives des deux parties. « Notre objectif, c’est que l’entreprise n’ait pas à remplir la feuille complète qui, elle, sera mise à disposition dans une banque de données sociales d’ici 2027 », accessibles aux salariés d’ici 2027. Le salarié, lui, « verra que nous avons un modèle social très particulier », a poursuivi le ministre.

« Peut-on vraiment parler de simplification du bulletin de paie ? »

L’un des deux rapporteurs du projet de loi, le centriste Yves Bleunven, a fait de ce sujet l’un de ses principaux points d’interrogations lors des échanges avec les ministres. « Peut-on vraiment parler de simplification du bulletin de paie quand on demande parallèlement aux employeurs, chaque mois, de collecter, de conserver, et de mettre à disposition l’ensemble des informations qui font l’objet de cette simplification », a sourcillé le sénateur du Morbihan.

La gauche est aussi montée au créneau. Le sénateur communiste Fabien Gay a partagé les craintes du rapporteur d’un risque de surcoût, voire de « complexification » pour les entreprises. « Il va falloir que le service de paie fasse une nouvelle fiche, mais en même temps se tienne prêt à en faire une deuxième ». Au-delà de cette difficulté d’ordre pratique, le parlementaire de Seine-Saint-Denis y voit une « offensive politique » du ministre de l’Économie, pour « rapprocher » le salaire brut du salaire net. « Vous mettrez en situation les salariés de comprendre réellement à combien s’élèvent le salaire socialisé et l’importance de chacune des cinq branches de la Sécurité sociale. En mettant simplement une somme globale, vous construisez l’allergie aux cotisations, car les salariés se disent oh là là, c’est un gros tas », a renchéri la sénatrice écologiste Raymonde Poncet-Monge.

« Il y aura un surcoût de maintenance informatique »

Pour ne pas donner l’impression que les récriminations ne venaient que « d’un seul côté de l’hémicycle », la sénatrice LR Pascale Gruny est elle aussi venue en appui. « L’entreprise aura toujours besoin des informations, entre la caisse de l’Urssaf, les Assédics, les retraites, donc vous ne simplifiez absolument rien du tout. En revanche, bien entendu, il y aura un surcoût de maintenance informatique », a opposé cette ancienne directrice administrative et financière avant son engagement au Sénat, qui a confié avoir réalisé des bulletins de paie jusqu’en « décembre 2021 ».

La sénatrice de l’Aisne s’est par ailleurs montrée surprise sur la volonté de l’exécutif de remettre une nouvelle fois à plat le bulletin de salaire. Ce dernier a déjà fait l’objet d’un toilettage en 2018, avec une nouvelle formule déjà simplifiée, plus claire, avec le regroupement de lignes. « Est-ce que le bulletin va s’appeler super très simplifié ? Je ne sais pas », a ironisé la sénatrice, sceptique de façon plus globale sur l’efficacité réelle des lois de simplification.

En réponse, Bruno Le Maire a admis qu’il y aurait effectivement une phase de transition, d’ici l’installation du « Portail national des droits sociaux » à l’horizon 2027, service sur lequel un salarié aura accès au détail des cotisations. « Transférer la charge de l’émission de ces données sur l’intégralité des données de la feuille de paie, de l’entreprise à ce portail, cela va prendre effectivement un peu de temps. Mais l’objectif est bien que ce soit le portail qui donne l’information aux salariés s’ils le souhaitent. Et le chef d’entreprise ait une tâche allégée avec un bulletin de paie simplifiée », a complété le ministre.

« On pourrait presque imaginer que vous ne faites pas confiance aux parlementaires » : des ordonnances qui crispent déjà le débat

Au-delà de cet exemple qui semble constituer une certaine divergence entre l’exécutif et plusieurs membres de la commission spéciale, d’autres points constituent de véritables « irritants ». À commencer par trois habilitations à légiférer par ordonnance, inscrites dans le texte. Il est question de réforme du droit des contrats spéciaux, ou encore de sécuriser les prises de position d’une administration sur l’application d’une norme. Certains délais d’habilitation s’étendent même sur deux ans, de quoi brusquer le Sénat de plus en plus froissé face à la multiplication des ordonnances. « Qui pourrait imaginer que la simplification des démarches administratives n’intéresse pas la représentation nationale ? En réalité, on pourrait presque imaginer que vous ne faites pas confiance aux parlementaires pour traiter de ces sujets », s’est exclamée la rapporteure LR Catherine Di Folco.

« Je tiens à avoir des textes de loi clairs et simples », a répondu le ministre. Ce procédé lui permet, selon lui, d’être « plus efficace ». Il n’exclut cependant la possibilité de faire figurer « en dur » dans la loi, plutôt que par ordonnance, certains sujets comme sur la question des rescrits, ces prises de position d’une administration sur l’interprétation d’une norme. « Je suis tout à fait prêt à ce qu’on passe par la voie législative sur la base des propositions faites par les parlementaires », a déminé le ministre.

Autre mesure, placée dès l’article 1er, qui risque de créer des remous au Parlement : la suppression de certaines instances, où siègent des parlementaires. La Commission supérieure du numérique et des postes, fait partie des institutions qui font doublon et appelées à disparaître, selon le gouvernement. « Vous demandez aux parlementaires de cautionner un affaiblissement de leur contrôle, c’est insensé », s’est insurgé le corapporteur Yves Bleunven. « À force de multiplier des instances, des commissions, des conseils, on affaiblit le pouvoir de contrôle des parlementaires », a objecté Bruno Le Maire. Avant de conclure que le sort de la commission reviendra au droit « souverain » des députés et sénateurs.

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