France-Royaume-Uni : à l’unanimité, le Sénat souhaite lutter contre le dumping social

La proposition de loi de lutte contre le dumping social sur la ligne maritime Transmanche a été votée à l’unanimité dans la soirée de mercredi. Les sénateurs approuvent la proposition du député breton Didier Le Gac (Horizons), après quelques modifications du texte, en réponse à une loi du Parlement britannique, pour protéger les marins des liaisons outre-manche.
Thomas Fraisse

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Unanimité, si ce n’est une abstention. Sur 343 sénateurs inscrits au vote dans la soirée du mercredi 21 juin, 342 se sont exprimés en faveur de la proposition de loi de lutte contre la concurrence déloyale des compagnies maritimes étrangères, qui ne respectent ni le droit du travail français, ni celui britannique. « Ça montre que le Sénat tient aux modèles sociaux français face à des modèles low cost », se satisfait Catherine Procaccia, sénatrice LR et rapporteure du texte. L’année dernière, un tollé médiatique a réveillé les velléités des deux côtés de la Manche afin de prendre des mesures fortes face à cette problématique. En mars 2022, la société anglaise P & O, basée à Douvres, notifie par courriel 786 de ses salariés de leur licenciement. « Leur remplacement, par des marins ressortissants de pays à bas coût de main-d’œuvre, illustre le risque de dégradation des conditions sociales et de travail des marins, maintes fois décrit par la France », se désole le député issu du parti Horizons Didier Le Gac, qui a déposé la proposition de loi en janvier dernier en réponse à ces licenciements, et en parallèle d’une loi britannique sur le même sujet.

Comment une entreprise britannique peut-elle embaucher des salariés sans respecter le droit de son propre pays ? La subtilité du droit maritime le permet. Selon la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, signée en 1982 à Montego Bay, « chaque État fixe les conditions auxquelles il soumet l’attribution de sa nationalité aux navires ». Ainsi, une compagnie britannique peut très bien déménager son siège dans un autre pays et respecter le Code du travail de ce dernier. Comme le résume la sénatrice Catherine Procaccia dans son rapport d’information sur la proposition de loi, « les armateurs sont libres de choisir le pavillon de leurs navires, sous réserve de respecter les conditions fixées par l’État du pavillon ». Or, P & O Ferries et Irish Ferries battent pavillon à Chypre et bénéficient en ce sens des lois du travail chypriotes. Au total, sur les cinq compagnies transmanche, seulement deux sont domiciliées soit en France, soit au Royaume-Uni (Brittany Ferries et DFDS).

Ainsi, les lois chypriotes permettent aux deux compagnies anglo-saxonnes « d’avoir des coûts de personnel 60 % inférieurs à ceux des autres compagnies », d’après les calculs de Nadège Havet, sénatrice Renaissance du Finistère, qui a rédigé un avis sur la proposition de loi avant le vote du Sénat. Par répercussion, les prix proposés par ces compagnies peuvent être de 35 % inférieurs à ceux proposés par les armateurs franco-britanniques, au détriment d’une rémunération juste des marins. Une « concurrence déloyale » liée aux normes sociales, aussi appelée dans le jargon économique « dumping social », et décriée par le secrétaire d’État chargé de la Mer Hervé Berville. « Elle emportera si nous ne faisons rien, comme une vague scélérate, un pan entier de notre économie maritime ».

Mieux protéger les marins grâce au droit français

Cette proposition de loi est inscrite sous la dénomination « police », c’est-à-dire une disposition prévue par le règlement européen Rome I qui permet à des États de l’UE d’appliquer des lois nationales à des zones communes à d’autres pays afin de préserver des intérêts jugés cruciaux (politiques, économiques, sociaux…). Sa première application sera de placer une rémunération minimale à hauteur du SMIC horaire français pour tous les salariés des compagnies des bateaux qui relient la France. De plus, ces salariés devront aussi bénéficier d’un système de parité entre le temps à bord du bateau et le temps de repos au sol, existant dans de nombreuses « compagnies historiques », comme le soulève Nadège Havet. « Dans les conventions de l’entreprise Brittany Ferries, ce sont 14 jours de travail maximum », note Catherine Procaccia. « En droit maritime, tout dépend de normes fixées au niveau international. Ce sont donc aux entreprises de s’adapter. La loi n’exige uniquement le fait qu’une parité existe à bord de tous les bateaux dans la zone transmanche ».

Selon les deux sénatrices, ces deux dispositions, permettant de calquer le modèle salarial des entreprises sur les normes françaises, permettront de garantir également la sécurité de la navigation. « Les navires sur le transmanche peuvent effectuer jusqu’à 10 manœuvres d’accostage par jour. Les rythmes de travail sont donc élevés pour les équipages, avec une quasi-impossibilité de se reposer alors que ces opérations fréquentes impliquent des bruits et des vibrations permanentes. L’épuisement au travail est une source majeure d’accroissement du risque d’accidents maritimes. Il ne serait pas raisonnable d’attendre qu’une catastrophe humaine ou écologique arrive pour légiférer », argumente Nadège Havet. En cas de non-respect de la loi, une compagnie sera sanctionnée d’une amende de 7 500 euros par salarié et 15 000 euros en cas de récidive.

« Il a intérêt à publier les décrets rapidement »

Face à l’unanimité du Sénat, le texte reprend sa navette parlementaire en direction du Palais Bourbon pour une seconde lecture. « Les députés étaient aussi unanimes en première lecture », note Catherine Procaccia. « Or, ce n’est plus le même texte. Le ministre (Hervé Berville) voulait que l’on vote le texte de l’Assemblée mais au Sénat, nous l’avons renforcé ». Face à un texte que la sénatrice jugeait « mal ficelé », les sénateurs ont réussi dans des délais restreints à rapprocher le cadre de la loi de celui des normes internationales en matière de droit de la mer. Hervé Berville s’est même engagé, dorénavant, à faire passer ce texte sans aucune modification dans les plus brefs délais.

« Il n’y avait même pas de date d’application du texte avant l’arrivée du texte au Sénat », s’étonne la sénatrice. « On l’a instauré pour le 1er janvier 2024 ». Ainsi, la sénatrice plaide pour que les décrets d’application de la loi, après son passage à l’Assemblée nationale, soient déposés de manière instantanée. « Si la situation était importante pour le gouvernement, les décrets seraient déjà prêts. Maintenant avec la date du 1er janvier, il a intérêt à publier les décrets rapidement ».

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