De nombreuses générations de Français entretiennent une relation particulière avec Duralex. Elle remonte à l’enfance, à la cantine scolaire, quand chacun donnait à voix haute le numéro inscrit au fond de son verre tout en feignant de croire qu’il correspondait à son âge. Ce rituel aurait pu disparaître pour les futurs écoliers si François Marciano, le directeur général, n’avait pas repris l’entreprise avec une forme originale : une société coopérative et participative (Scop). C’est pour présenter ce nouveau modèle, mais aussi donner les perspectives d’évolution du fleuron national que François Marciano a été auditionné par la commission des Affaires économiques du Sénat ce mercredi 23 octobre.
Duralex a frôlé la faillite plusieurs fois
« Présent dans toutes les cantines et dans de nombreux foyers depuis l’après-guerre, Duralex, c’est l’invention de la résistance accrue du verre trempé et d’un design intemporel qui fait partie de notre patrimoine commun ». Voilà comment Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des Affaires économiques, présente l’entreprise dans un propos liminaire. La sénatrice LR des Alpes-Maritimes retrace son histoire récente. La marque naît en 1945 et emploie jusqu’à 1 500 personnes dans les années 1970. Mais depuis cette période, les effectifs n’ont cessé de fondre. « A des difficultés structurelles, comme une concurrence asiatique croissante et un marché européen en voie de saturation, ce sont ajoutées des difficultés plus conjoncturelles liées à la modernisation de l’outil industriel », indique l’ancienne maire adjointe de Nice.
Duralex a plusieurs fois frôlé la faillite et changé de mains depuis le début des années 2 000. Mais c’est la crise des prix de l’énergie, dans le sillage de la guerre en Ukraine, qui a failli emporter définitivement l’entreprise implantée à la Chapelle-Saint-Mesmin (Loiret). La montée en flèche des prix du gaz et de l’électricité à l’automne 2022, a contraint La Maison française du verre (propriétaire de Duralex de 2021 à 2024) à mettre ses fours en sommeil. Sans l’arrêt de la production, la facture d’énergie aurait pu atteindre 40 % du chiffre d’affaires, rendant l’ouvrage déficitaire. La société est alors placée en redressement judiciaire à la demande de l’actionnaire. En juillet 2024, le tribunal de commerce d’Orléans retient le projet de Scop, porté par François Marciano et une majorité de salariés.
« Les Français sont les champions du verre creux »
Devant une dizaine de sénateurs, le directeur général se présente comme « un industriel qui a 40 ans de métier ». Après avoir travaillé 30 ans chez Arc, une autre grande entreprise française de fabrication de verre, il est arrivé à Duralex en février 2016. « Le jour de la Saint-Valentin, c’est peut-être un signe », ironise François Marciano. Le soir ou la Maison française du verre l’appelle pour le prévenir de la mise en liquidation judiciaire, il admet ne pas avoir beaucoup dormi. Si à ce moment-là, il se demande « quoi faire », le patron d’entreprise n’a pas voulu lâcher Duralex. « L’avantage, c’est que vous connaissez le produit. Et quand vous êtes verrier, vous savez que le verre creux, ce sont les Français qui le fabriquent. On est les champions du verre creux. Ça, c’est très important à avoir en tête et ça a pesé », lance-t-il.
Une fois la mise en liquidation judiciaire actée, François Marciano veut trouver une solution avec ses équipes. « On a essayé d’analyser la situation. On s’est dit qu’il y a déjà eu six dépôts de bilan et plusieurs pillages », souffle-t-il. Faisant référence aux anciens sites au Brésil, en Angleterre ou à Saint-Etienne passés sous une autre bannière ou tout simplement liquidés. Par exemple, au Brésil, la marque a été vendue. Conséquences : aujourd’hui, l’entreprise ne peut plus exporter et vendre sous le nom « Duralex ». « On est obligés d’y aller avec la marque ‘Verre & Co’ », peste le dirigeant.
Les collectivités au chevet de Duralex
Une fois la situation analysée et le projet lancé, François Marciano fait face à un nouvel « étonnement ». Il y avait trois candidats pour la reprise. « Une banque d’investissement, un opportuniste qui cherchait la bonne affaire et la Scop », indique-t-il. « L’Etat propose trois offres différentes. Ce que je ne comprends pas, car c’est le tribunal qui analyse la partie financière et technique. Mais aussi si le projet est viable. Les deux autres repreneurs voulaient licencier contrairement à nous et l’Etat leur proposait plus de fonds », s’agace le verrier.
Côté budget, cette reprise a finalement été permise grâce aux collectivités territoriales. « Sans eux, l’usine aurait fermé », lance François Marciano. Sans l’aide d’Orléans Métropole et de la région Centre-Val-de-Loire, le tribunal de commerce n’aurait pas jugé ce projet comme « cohérent et sérieux » possédant des « garanties fortes ». La Métropole a investi entre cinq et huit millions d’euros. De son côté, la région est rentrée dans le capital.
« Duralex va rester en France »
Pourquoi avoir choisi une Société coopérative de production ? « Ça permet de figer la marque en France et rend la délocalisation impossible. Duralex va rester ici dans les 30 ou 40 ans à venir. Les salariés vont pouvoir profiter de leur travail. Voilà pourquoi on a choisi la Scop. Pour figer la marque et protéger l’entreprise », explique-t-il.
La Scop « n’est pas une solution miraculeuse », admet le chef d’entreprise. Le principe est une gouvernance démocratique. Une fois par an, les salariés votent les budgets lors d’une assemblée générale. Ensuite, un comité composé de dix-huit personnes veille à la bonne application des mesures. « Dans les quatre ans à venir, les salariés ne vont toucher aucun dividende. Tout l’argent sera investi dans l’usine. Pour devenir une entreprise viable, l’objectif est d’arriver à 40 millions de chiffre d’affaires par an dans les années à venir », ajoute-t-il.
Sur les plus de 230 salariés, une centaine n’a pas voulu rentrer dans la Scop. « Mon but est d’amener 100 % des travailleurs de l’usine dans ce modèle », souligne le directeur général. Certains ne veulent pas pour des raisons idéologiques. D’autres n’ont pas les moyens. Il faut mettre 500 euros dans l’entreprise pour avoir le statut « d’associé ». « On verra pour mettre une prime et qu’une partie obligatoire de celle-ci rentre au capital de la Scop », soumet François Marciano. Gouailleur, il ajoute : « Un autre avantage de cette administration est que du jour au lendemain, les salariés se sont mis à vérifier s’il y avait des fuites d’eau et que les lumières étaient bien éteintes ».
Le poids de l’énergie
Les premiers mois de l’entreprise sont une réussite. En l’espace de quarante jours, rien qu’avec le site internet, les salariés ont fait autant de chiffre d’affaires que sur toute la dernière année. Cependant, Duralex fait face à un autre problème : le coût de l’énergie. « On a mis plus de deux millions sur la table pour acheter un filtre. Il a été placé en haut de la cheminée. Ensuite, on vous dit, il faut quand même payer la taxe carbone. Et après, que l’énergie va augmenter. On ne peut pas faire face à tout ça », se désole François Marciano. « Quand vous augmentez le coût de l’énergie d’un euro, c’est 100 000 euros en moins pour nous à la fin du mois », poursuit-il. Le patron se réjouit tout de même d’avoir récupéré 600 000 euros sur le coût du gaz. Par solidarité, son nouveau fournisseur ne lui demande pas de caution. L’usine marche avec 90 % de gaz. Dans l’avenir, Duralex souhaite se diversifier. Notamment avec d’avantage d’électricité, d’hydrogène ou de biogaz.
Désormais, la société sera plus agressive sur le marketing. Une personne dédiée a d’ailleurs été recrutée. « On va créer une marque premium avec un package : tablier, cuillère en bois et saladier », annonce le patron de Duralex devant les sénateurs. Une campagne marketing baptisée « Allons enfants de la cantine » a déjà été lancée avec Le Slip Français, autre marque Made In France. Des packs de six verres sont vendus, gravés de diverses maximes dont le fameux « Et toi t’as quel âge ? ». « Bien entendu, l’objectif était de faire un gros coup et de relancer Duralex », sourit François Marciano. Dans les prochaines semaines, une nouvelle opération aura lieu avec La Poste et Stéphane Bern, représentant du label Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV), dont fait partie Duralex. Dans le même esprit, une autre campagne est déjà prévue l’année prochaine pour les 80 ans de l’entreprise. Si d’habitude, les chiffres au fond des verres ne vont jamais au-delà de 50, spécialement, certains porteront le numéro 80. Les clients qui auront la bonne surprise de tomber dessus recevront des cadeaux.