À l’échelle des 10 milliards d’économies supplémentaires prévues par le gouvernement cette année, c’est presque une goutte d’eau. En revanche, pour les salariés qui en font l’usage, l’effet se fera bien sentir. Ce lundi, le ministère des Comptes publics annoncé la mise en place « dès cette année » d’une participation forfaitaire des salariés pour l’utilisation de leur compte personnel de formation (CPF).
Le gouvernement espère 200 millions d’euros d’économie, sachant que les dépenses relatives au CPF sont attendus à environ deux milliards d’euros. Le dispositif n’est pas seulement financé par les entreprises, mais aussi par France Travail ou encore l’Etat. Invité ce mardi matin de la matinale de France Inter, le ministre des Comptes publics, Thomas Cazenave, a confirmé la piste d’une contribution à hauteur de 10 % du coût de la formation demandé par le salarié. Ce niveau est « en train d’être affiné », a-t-il précisé, et « donnera lieu à un décret pris courant avril ».
Une disposition législative dont le décret n’a toujours pas été publié
Pour être précis, la disposition était prévue depuis fin 2022. Elle avait été intégrée dans la loi de finances pour 2023, par voie d’amendement à l’Assemblée nationale. La mesure n’a donc pas fait l’objet d’une étude d’impact préalable.
L’article précise que les demandeurs d’emploi ne seront pas redevables de cette participation, ce qu’a rappelé le ministre chargé des Comptes public en début de semaine. La participation ne sera pas non plus due par les salariés qui bénéficient d’un abondement de leur entreprise.
L’article promulgué doit encore faire l’objet d’un décret en Conseil d’État, qui doit préciser les modalités de mise en œuvre. Celui-ci était attendu à la fin de l’année 2023.
Pour rappel, le CPF permet aux salariés de faire valoir leur droit à la formation. Depuis 2019, leur compte, accessible via une application, est abondé de 500 euros chaque année (il était crédité en heures auparavant).
Quand la Cour des comptes appelait à réagir face à la « croissance non maîtrisée » des dépenses liées au CPF
Dès juillet 2022, à l’occasion d’un référé sur France compétences, la Cour des comptes épinglait « la croissance non maîtrisée » des dépenses « liées au CPF », appelant à des « nouvelles mesures d’encadrement ». En 2021, un budget prévisionnel de 1,4 milliard d’euros a été alloué au CPF. Signe d’un certain engouement, le coût total sur l’année s’est finalement élevé à 2,6 milliards d’euros.
Dans un rapport sur la stratégie et le financement de la formation professionnelle des salariés remis en juin 2023, les magistrats de la Rue Cambon préconisait « l’instauration d’une participation modulable » des bénéficiaires des formations financées « afin de mieux responsabiliser les titulaires d’un compte sur leur choix de formation », mais aussi de limiter la fraude.
La Cour soulignait que le reste à charge devait être fixé « à un niveau assez bas », notamment pour ne « pas dissuader » les personnes « disposant de faibles revenus » d’utiliser le CPF. Elle avait suggéré de fixer une participation à « 5 % ou 10 % » du coût de la formation, un niveau modulable « en fonction du niveau de qualification de la formation souhaitée par le bénéficiaire ». Dans ses recommandations, la Cour des comptes avait également insisté sur le point suivant : « Il est souhaitable que ce reste à charge ne réponde pas seulement à une préoccupation budgétaire mais qu’il incite aussi au choix de formations permettant d’élever le niveau de compétences et l’employabilité. »
Quelques semaines plus tôt, le gouvernement avait suggéré un niveau de participation bien plus élevé. Le 9 mai 2023, sur France Culture, Bruno Le Maire avait évoqué la possibilité d’instaurer un reste à charge de 30 %. La mesure n’avait toutefois pas fait encore l’objet d’un arbitrage.
En effet, la mesure doit faire l’objet d’une phase de concertation entre ministère chargé du Travail et les partenaires sociaux. C’est d’ailleurs ce qu’a voulu rappeler la première organisation syndicale, lundi soir. « Pour l’instant, il n’y pas de décision prise sur le reste à charge. Il y a une intention du ministère de l’Économie, ce n’est pas la première fois », a indiqué Yvan Ricordeau, secrétaire national de la CFDT, chargé de la formation professionnelle. Selon ce responsable syndical, les échanges n’ont pas encore commencé avec la ministre Catherine Vautrin.
Comme en 2022, les syndicats restent fortement opposés au projet de l’instauration d’une participation du salarié. « Là, le ministre de l’Économie veut tordre le cou à la promesse d’origine du CPF », a réagi Yvan Ricordeau. Sandrine Mourey, membre de la direction de la CGT, qualifie le projet de « scandaleux ». « Ce qu’il risque de se passer, c’est une injustice incroyable, c’est que les plus fragiles, ceux qui ont des difficultés, ne pourront pas aller à la formation », s’est-elle indignée.
Une mission sénatoriale appelait à sauvegarder les formations offrant une certification professionnelle
Au Sénat, l’idée d’un ticket modérateur avait reçu le soutien de majorité sénatoriale. « Ce qui est gratuit n’a pas de valeur. Si l’on veut pleinement engager les gens dans un processus de formation […] il faut les faire participer un peu et avoir ainsi la garantie qu’ils seront véritablement acteurs de leur formation », avait défendu la sénatrice (LR) Christine Lavarde. De leur côté, la commission des finances et des affaires sociales appelaient à agir en fonction des formations proposées.
En juin 2022, un rapport transpartisan de Frédérique Puissat (LR), Corinne Féret (PS) et Martin Lévrier (Renaissance) appelait à « recentrer le financement mutualisé de la formation professionnelle sur les enjeux d’employabilité ». Parmi ses propositions, la mission recommandait l’instauration d’un reste à charge des utilisateurs du CPF, « pour les formations qui ne débouchent pas sur l’obtention d’une certification inscrite au répertoire national des certifications professionnelles ».
Selon la sénatrice Frédérique Puissat, certaines des formations les plus demandées comme la préparation au permis de conduire ou les formations en langues étrangères seraient concernées par un tel reste à charge, « même modique ».