Un point très sensible du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 s’est joué au Sénat ce 19 novembre, dans la soirée. Sous l’impulsion de la commission des affaires sociales, les sénateurs ont adopté un compromis, au sujet d’un article les plus clivants du texte au sein des forces favorables au gouvernement de Michel Barnier. Il s’agit aussi d’une des dispositions les plus importantes financièrement, puisqu’elle devait ramener initialement quatre milliards d’euros de recettes supplémentaires. Le dispositif a sensiblement évolué en séance.
Un objectif d’allègements plus progressifs sur l’échelle des salaires
L’article 6 du projet de loi est en effet la première étape d’une réforme visant à refondre le système des allègements de cotisations sociales, inspirée en partie du rapport des économistes Antoine Bozio et Etienne Wasmer. Ce dernier avait été commandé après la conférence sociale sur les salaires de l’automne 2023. Pour lutter contre les trappes à bas salaire et rendre le coût du travail plus progressif, le gouvernement souhaitait réduire les allègements de cotisations patronales qui se situent au niveau du Smic. C’est ici que les exonérations les plus importantes se concentrent, dans l’idée de soutenir l’emploi peu qualifié. L’exécutif proposait de réduire de deux points les allègements de cotisations payées par les employeurs sur les salaires allant de 1 à 1,3 Smic en 2025 et de limiter les allègements sur les cotisations maladie et famille aux rémunérations inférieures à 2,2 Smic et 3,2 Smic (contre 2,4 et 3,5 actuellement).
Le deuxième temps de la réforme se jouerait en 2026, avec un renforcement cette fois, des allègements de cotisations pour les salaires intermédiaires, entre 1,3 et 1,8 Smic, et une diminution des allègements à partir de ce seuil, pour progressivement les éteindre au niveau des salariés rémunérés à 3 Smic.
Progression « exponentielle » de la facture des allègements de cotisations pour la Sécu
Le dispositif gouvernemental se démarque du rapport Bozio-Wasmer, puisque dans leurs recommandations les économistes plaidaient pour une réforme à budget inchangé. Or, le projet de loi initial visait à augmenter les rentrées nettes de recettes pour la Sécurité sociale de 4 milliards d’euros.
Pour la commission des affaires sociales, tout comme le gouvernement, cette recherche d’économies est justifiée, en raison de la montée en charge inquiétante des allègements généraux de cotisations, qui représentent un coût aujourd’hui d’environ 80 milliards d’euros. Avec l’inflation et les revalorisations successives du Smic, le volume des allègements de cotisations a augmenté de 20 milliards d’euros uniquement ces trois dernières années. « Cela a été exponentiel ces dernières années. Cet article est fait pour casser cette dynamique », a insisté la rapporteure générale de la commission des affaires sociales Élisabeth Doineau (Union centriste).
La commission des affaires sociales veut limiter les destructions d’emplois
L’hémicycle a suivi la proposition de la commission des affaires sociales, qui consiste principalement à ne pas toucher aux allègements de cotisations au niveau des salaires proches du Smic. Plusieurs secteurs d’activité reposent beaucoup sur ce type de rémunération : les entreprises du nettoyage, du gardiennage ou encore de l’aide à domicile. Élisabeth Doineau a expliqué vouloir « préserver l’emploi », les postes peu qualifiés étant très sensibles à leur coût. En octobre, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) estimait que la mesure du gouvernement pourrait détruire 50 000 emplois en trois ans, dont 15 000 dès 2025. « Les calculs de la commission retrouvent cet ordre de grandeur », a confirmé Élisabeth Doineau.
Pour compenser en partie ce statu quo sur les allègements de cotisations au niveau du Smic, l’amendement de la commission a ramené la fin des allègements de cotisation famille à 3,1 Smic (contre 3,2 dans le projet de loi), et celle des allègements de cotisation maladie à 2,1 Smic (2,2 dans le projet de loi). Le rendement du compromis de la commission réduit toutefois le rendement de la réforme. L’article dégagera trois milliards de recettes, contre quatre dans le projet de loi. La commission a en outre neutralisé les effets de l’article sur des dispositifs spécifiques, comme des régimes liés à l’Outre-mer ou aux travailleurs saisonniers agricoles.
Le gouvernement a accompagné ce changement sans aucune hostilité. La ministre du Travail et de l’Emploi s’en est remise à la « sagesse du Sénat » pour statuer sur les propositions « extrêmement intéressantes » de la rapporteure. Astrid Panosyan-Bouvet a précisé que la mesure ainsi modifiée tenait « compte d’une partie des objectifs et des contraintes inhérentes à la réforme ». Déjà au premier jour des débats, elle avait indiqué que le gouvernement était « prêt à revoir le rendement de cette mesure ».
« Cette mesure va à l’encontre des politiques de soutien à l’emploi menées depuis 2017 », s’oppose le sénateur Xavier Iacovelli (Renaissance)
Signe de l’inquiétude que la réforme des allègements de cotisations suscite dans le monde économique, qui plus est dans une période marquée par plusieurs plans sociaux, de nombreux amendements de suppression de l’article ont été déposés, par le camp présidentiel (Renaissance, Horizons), le groupe RDSE (Rassemblement Démocratique et Social Européen) à majorité radicale, les trois sénateurs Rassemblement national, mais aussi par une partie importante de la droite. De nombreux sénateurs ne voulaient pas entendre parler de baisse des allègements, quels qu’en soient les paramètres. Les amendements ont finalement été rejetés par 287 voix contre 31. Plusieurs ont également été retirés, devant l’insistance de la rapporteure générale. Et même du président de la commission, qui a dû rapidement intervenir. « Pour un amendement à quatre milliards d’euros, je me lève », s’est inquiété Philippe Mouiller (LR). « Nous n’avons pas le choix, on doit amorcer des économies, et malheureusement au plus vite », a appuyé également la sénatrice Frédérique Puissat (LR).
Comme lors des débats à l’Assemblée nationale, les opposants les plus marqués à l’article venaient de l’ancienne majorité présidentielle. « Cette mesure va à l’encontre des politiques de soutien à l’emploi menées depuis 2017, qui ont permis de réduire significativement le coût du travail, et de stimuler l’emploi au niveau des petites entreprises », s’est exclamé le sénateur Renaissance Xavier Iacovelli, inquiet de dispositions qui « menaceraient directement la compétitivité des entreprises ».
La gauche regrette des mesures trop timides dans la reprise en main des allègements de cotisations
Opposée à la progression continue des allègements ou des exonérations de cotisations sociales, la gauche a en revanche apporté un soutien à la proposition du gouvernement de resserrer les allègements généraux de charges patronales. « Nous prenons cet article pour ce qu’il est, c’est-à-dire un premier pas vers la remise en question des allègements de cotisations sociales », a fait savoir la sénatrice communiste Cathy Apourceau-Poly. Une grande partie de la gauche aurait aimé que les allègements ne puissent pas s’appliquer aux salaires de plus de deux Smic, à partir desquels l’impact sur l’emploi n’est plus démontré selon eux. « Le gouvernement n’abaisse que de peu les points de sortie, il manque de courage », a déploré la sénatrice écologiste Raymonde Poncet Monge. « Nous estimons au vu des différents rapports, qu’il est raisonnable d’aller au-delà du projet du gouvernement, de quatre milliards d’euros (d’économies) initialement, et de passer à huit milliards d’euros (d’économies) », a défendu le sénateur Bernard Jomier, du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Dans un deuxième amendement, adopté par l’hémicycle, la rapporteure générale a ramené la fin des exonérations de cotisation maladie à 2,05 Smic (contre 3 Smic dans le projet de loi transmis au Sénat). Le gouvernement n’a pas apporté son soutien à cette deuxième modification.