Les doutes s’accumulent sur la durée de vie du « conclave » sur les retraites, trois semaines à peine après son lancement officiel, sous l’impulsion de Matignon. Les propos, tenus ce dimanche par François Bayrou, ont eu de quoi ébranler les syndicats, engagés depuis la fin février dans des discussions avec les organisations patronales sur les paramètres du régime de retraites, deux ans après une dernière réforme mal acceptée en France. L’idée est de faire émerger en trois mois des solutions d’amélioration partagées, tout en garantissant le retour à l’équilibre budgétaire du système d’ici 2030. « Non », a répondu sans détour le Premier ministre lors d’un entretien sur France Inter, au sujet de la possibilité de revenir à un âge légal de départ à la retraite à 62 ans, une demande actuellement formulée par plusieurs organisations syndicales.
« Je ne crois pas que la question paramétrique, comme on dit, c’est-à-dire la question de dire voilà l’âge pour tout le monde, soit la seule piste », a poursuivi le chef du gouvernement. La prise de position sur le sujet central de l’âge a braqué plusieurs centrales. « Scandaleux », a jugé le négociateur de la CGT. En totale opposition à la réforme de 2023, le syndicat menace de quitter la table des négociations, et de rejoindre FO, qui s’était retirée dès le premier jour après la demande de Matignon d’assurer un retour à l’équilibre dès 2030. La CFDT estime que les déclarations du Premier ministre sur les 62 ans sont « incompréhensibles », sachant que le gouvernement devait laisser « la main » aux partenaires sociaux. Le syndicat réformiste va rencontrer François Bayrou pour s’expliquer.
« Il était évident que de toute façon les débats étaient tronqués à l’avance ! » selon Monique Lubin (PS)
L’interview dominicale a également fait des vagues dans les oppositions politiques à la dernière réforme des retraites, d’abord dans les deux groupes à l’Assemblée nationale les plus hostiles au gouvernement, la France Insoumise et le Rassemblement national. Mais aussi chez les socialistes, qui s’étaient laissés convaincre en février de ne pas censurer cette fois le gouvernement, à cause en partie de cette renégociation sociale des retraites. Sur le réseau social X, le chef des députés socialistes Boris Vallaud a fustigé une « trahison ». « C’est insupportable. François Bayrou souffle le chaud et le froid. Il commence en disant que les partenaires sociaux sont indispensables, puis il dit qu’il n’est pas question de revenir sur la retraite à 64 ans », s’élève aussi la sénatrice socialiste Monique Lubin.
« Il était évident que de toute façon les débats étaient tronqués à l’avance. On essaye à chaque fois de mettre des conditions qui rendent la mission impossible à tenir. Et là maintenant, compte tenu du contexte international, c’est hors de question de revenir sur l’âge ? C’est malsain vis-à-vis d’eux », fulmine la sénatrice des Landes.
Oppositions comme syndicats rappellent depuis hier l’engagement qu’avait pris Français Bayrou durant sa déclaration de politique générale, à la mi-janvier. Sans fermer de portes, le Premier ministre a estimé qu’il était possible d’explorer « une voie de réforme nouvelle, sans aucun totem ni tabou, pas même l’âge de la retraite ». « Toutes les pistes méritent d’être explorées, toutes les questions doivent être posées », avait-il annoncé, tout en précisant que la condition serait de ne « pas laisser dégrader l’équilibre financier ».
Un service après-vente bien différent entre le ministre de l’Economie et la ministre des Comptes publics
Dans son camp, François Bayrou n’a d’ailleurs pas pu compter sur une solide cohésion exempte de dissonances. En témoignent les deux tonalités à l’œuvre dans sa propre équipe, à Bercy. La ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, est allée ce matin sur Europe 1 directement dans son sens, en estimant qu’un retour à 62 ans n’était « pas réaliste ». Selon elle, la prise de position de François Bayrou revient à exprimer « un cadrage, parce qu’on ne peut pas aggraver le déficit ». La veille sur BFMTV, Éric Lombard, le ministre de l’Économie, s’était montré moins tranché, en assurant que c’était « aux partenaires sociaux de décider ». Un point que n’aura pas manqué de relever les opposants. « Il y a une cacophonie au gouvernement », en conclut la socialiste Monique Lubin.
Cette situation serait presque un comble pour François Bayrou. Le mois dernier, il avait demandé à son équipe de rester le plus discret possible sur le conclave, pour éviter justement toute interférence politique qui pourrait perturber le huis clos des syndicats et du patronat. Déjà en brandissant il y a deux semaines l’éventualité d’un référendum sur la question des retraites, le chef du gouvernement avait créé quelques remous.
Toujours fervent défenseur de la réforme de 2023, et du report de l’âge légal de 62 à 64 ans, le sénateur centriste Olivier Henno reconnaît une difficulté sur la forme du message. « J’ai du mal à comprendre le pourquoi de cette phrase. À partir du moment où l’on fait confiance au paritarisme, il faut attendre les conclusions de ce conclave, avant de s’exprimer. Si on croit à ce conclave, on ne peut pas déjà baliser les conclusions, sinon la démocratie sociale ne fonctionne pas », réagit le sénateur UDI du Nord, joint par Public Sénat. « Ça ne veut pas dire que l’on est obligés de valider », précise-t-il toutefois. Un éventuel accord des partenaires sociaux doit ensuite passer par le Parlement.
Pour François Patriat (Renaissance), il était « illusoire d’avoir pu penser » que l’on pouvait revenir sur les 64 ans
Pour François Patriat, le patron des sénateurs Renaissance, François Bayrou est « victime de sa lucidité et de sa sincérité ». « Au détour d’une question, il n’a pas été langue de bois et il a dit ce qu’il pense. On sait très bien qu’il n’y aura aucun accord du patronat pour revenir à 62 ans. C’est illusoire d’avoir pu le penser et cela aurait été cynique d’affirmer que c’était possible », s’exclame le sénateur de la Côte-d’Or. « À mon avis, il s’agit de retravailler la loi sur trois dimensions : les carrières longues, la pénibilité et l’emploi des seniors. C’est ce qui peut donner lieu à correction. De là à revenir sur l’âge ? Qui peut aujourd’hui penser que la France, à contre-courant de tous les pays européens, pourrait revenir à 62 ans », ajoute-t-il.
Ce marcheur de la première heure estime en revanche que la tonalité des propos d’Edouard Philippe, le même jour, est « bien plus brutale ». En congrès à Lille, le leader d’Horizons (lire notre article), en préparation pour 2027, a estimé que le conclave était « déjà totalement dépassé » ces discussions du fait du contexte international. « Là au moins avec la démarche de conclave, François Bayrou a le même mérite de dire que la loi est imparfaite, alors allons-y, arrangeons-là », poursuit François Patriat.
La sortie d’Edouard Philippe fait grincer au Modem
Les proches du Premier ministre ne sont pas tendres avec le maire Horizons du Havre, sans qui la polémique sur l’âge de départ n’aurait pas repris de plus belle. « Il a savonné la planche, il ne veut pas que François Bayrou réussisse. On est déjà dans les prémices de 2027 », reproche le sénateur (Union centriste), Jean-Marie Vanlerenberghe, engagé au Modem. Interrogé hier, l’actuel Premier ministre a simplement constaté une « divergence » avec son prédécesseur.
Quant à la polémique qui enfle sur l’âge de départ, Jean-Marie Vanlerenberghe juge que les propos de François Bayrou n’ont pas été retenus dans leur globalité. « Au Premier ministre de faire attention à la façon dont il s’exprime, mais je pense qu’il a nuancé son propos. Il n’a pas donné carte blanche en disant que l’on pouvait revenir à 62 ans. Arrêtons de nous focaliser sur un âge de départ, et il l’a dit. Il y a aussi la durée de cotisation. À supposer que les partenaires veuillent revenir sur l’âge de départ, en abaissant à 63 ans par exemple, il faudrait trouver l’équivalent en durée de cotisation. Et quand, dans le même temps, on veut trouver des abattements pour la pénibilité. L’équation est là », rappelle le parlementaire, qui siège au Conseil d’orientation des retraites.
Au cours de cet entretien en direct, très commenté ce lundi, François Bayrou en a profité pour remettre le doigt sur les retraites publiques, alors que le conclave se concentre sur le régime général. « Nous devons à tout prix avoir deux discussions : une sur le privé, avec l’exigence de revenir à l’équilibre en 2030, ce qui a été constamment pour moi le contrat avec les organisations professionnelles et syndicales ; et deuxièmement, à se demander quelle méthode nous pouvons trouver pour ce qui est des retraites du public, pour qu’on ait à terme un retour à un meilleur équilibre des finances publiques », a fait savoir le Premier ministre. Une façon pour lui de garder la totalité du spectre de la question, à l’heure où la France reste toujours sous surveillance au niveau de l’état de ses finances publiques.