La ministre de l’Education nationale, Anne Genetet, a présenté ce mardi le deuxième volet de la réforme du « Choc des savoirs », initiée en 2023 par Gabriel Attal, et destinée à renforcer le niveau des élèves. La droite sénatoriale, qui a soutenu cette réforme, regrette des allégements vraisemblablement imposés par le contexte budgétaire. La gauche, en revanche, épingle des annonces faites sans retour sur les dispositifs déjà entrés en vigueur.
Proposition d’une allocation pour les étudiants : « C’est le signe que le mal-être est profond »
Par Simon Barbarit
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Encore une fois, la rentrée étudiante se fait sous le signe de la précarité. Déjà lourdement impactées par la crise du Covid 19, l’inflation continue d’aggraver les conditions de vie des étudiants. Une étude de l’IFOP pour l’association de distribution alimentaire Cop1, publiée la semaine dernière, indique que près d’un étudiant sur deux (46 %) a déjà supprimé un repas à cause de l’inflation. Une proportion qui est constante depuis 2016.
Une réflexion est bien engagée par le gouvernement au sujet d’une réforme des bourses sur des critères sociaux qui permettrait d’intégrer 10 % d’étudiants. Au printemps dernier, la ministre de l’Enseignement supérieur, Sylvie Retailleau avait annoncé 500 000 millions d’euros supplémentaires et une revalorisation du montant des bourses étudiantes (de 37 euros par mois).
Insuffisant pour les 14 présidents d’université qui tirent la sonnette d’alarme dans une tribune publiée dans le journal Le Monde. « Ni les bourses sur critères sociaux, qui concernent environ 750.000 étudiants », ni les « aides exceptionnelles » débloquées fin 2022 par le gouvernement en faveur des associations soutenant les étudiants précaires « ne suffisent à juguler la pauvreté étudiante », écrivent-ils.
« On ne peut pas se contenter de faire des ajustements, il faut changer de modèle »
Dès lors, les signataires préconisent la mise en place d’une « réforme structurelle d’envergure des bourses avec pour objectif la mise en place d’une allocation d’études pour toutes les étudiantes et tous les étudiants, à l’instar de ce qui se pratique dans d’autres pays d’Europe ».
« On ne peut pas se contenter de faire des ajustements, il faut changer de modèle. 27 % des étudiants vivent sous le seuil de pauvreté. 40 % sont obligés de travailler en même temps que leurs études ce qui n’est pas en soi un problème, mais ce travail devient de plus en plus un temps plein. Il ne faut pas oublier que c’est la même génération qui a pris la crise covid de plein fouet. Il faut envoyer à la jeunesse le signal qu’on mise sur eux, remettre en marche l’ascenseur social. C’est l’avenir de notre pays qui est en jeu », appuie Carine Bernault, présidente de Nantes Université, signataire de la tribune.
Concernant l’aspect technique de cette mesure, les présidents d’université citent les travaux de l’économiste Philippe Aghion qui a lui aussi appuyé en faveur d’« un revenu universel de formation » qu’il voit comme « un co-investissement de chaque jeune et de l’Etat dans la formation et le capital humain, avec une exigence de résultat permanente ». Toujours dans Le Monde, Philippe Aghion prend l’exemple du Danemark où « tout étudiant qui quitte le foyer familial touche un revenu mensuel de 800 euros, mais ce revenu s’interrompt dès que l’étudiant prend plus de six mois de retard dans la poursuite de son cursus ».
« Il y a des d’aides, mais elles sont trop dispersées »
Au Sénat, de nombreux travaux ont été menés ces dernières années sur la précarité des jeunes et en particulier des étudiants. En 2021, à la sortie de la crise sanitaire, une mission d’information du Sénat sur les conditions de la vie étudiante préconisait une remise à plat total du système de bourses « pour mieux identifier les étudiants en difficultés financières ». Afin d’éviter « les effets de seuil », la mission proposait que le soutien financier se fasse à partir de la définition du « reste à charge » des étudiants et non plus du revenu de leur famille. C’est-à-dire défini en fonction du budget moyen lié à la poursuite des études, par rapport aux ressources de la famille, et aux revenus tirés d’une éventuelle activité salariée des étudiants.
Les sénateurs proposaient aussi d’évoluer vers un dispositif de « guichet unique » en matière d’aides directes, qui pourrait être le réseau des Crous. Une réforme qu’appelle de ses vœux Carine Bernault. « Il y a des aides mais elles sont trop dispersées, entre les bourses, les APL, ce qui se met en place au niveau local… A Nantes, par exemple, nous avons mis en place un chèque énergie et une aide pour le matériel informatique ».
Le sénateur communiste, Pierre Ouzoulias, qui fut président de cette mission voit dans cette tribune « un appel au secours de présidents d’universités qui ne sont pas connus pour avoir des positions de gauche. C’est bien le signe que le mal-être est profond », relève-t-il.
« C’est le mal français, un pays qui n’aime pas ses universités »
Pierre Ouzoulias se félicite par ailleurs du terme choisi « allocation et non pas revenu ». « Toucher une allocation et toucher un salaire, ce n’est pas la même chose. Un revenu correspond à un travail. Et sauf pour ceux qui sont en thèse, être étudiant, ce n’est pas un travail. D’une façon plus générale, on ne pourra pas sortir de cette crise sociale et institutionnelle sans un investissement massif dans l’enseignement et la recherche. Ça passe par une approche pluri-ministérielle qui doit aborder les problèmes d’accès à la santé au logement aux transports. L’université n’est pas une charge mais l’instrument de rénovation de toute la société. Mais la plupart des élites sont passées par les grandes écoles et ne connaissent rien aux universités. C’est le mal français, un pays qui n’aime pas ses universités ».
En 2021, le groupe socialiste du Sénat avait déposé une proposition de loi visant à étendre le RSA pour les 18-25 ans. « Ce que je disais à l’époque c’est qu’au lieu de mettre 3 milliards sur le SNU, on aurait mieux fait de les flécher vers une allocation étudiante. Les étudiants n’ont déjà plus le choix de leurs études avec Parcoursup, ils ne peuvent désormais plus choix de leurs loisirs ou ce qu’ils mettent dans leur frigo. Comment se fait-il que les 18-25 soient la seule tranche qui ne bénéficie pas des outils de lutte contre la pauvreté ? », se désole le sénateur socialiste Rémi Cardon qui avait cosigné la proposition de loi.
« Il y a plusieurs dispositifs sur la table. Le fait que 14 présidents d’université proposent ce qu’on pourrait appeler un nouveau projet de société, c’est assez rare. Ça démontre qu’il y a urgence pour l’Etat d’agir », note la sénatrice PS, Sylvie Robert.
Une proposition qui « va à l’encontre de la condition d’étudiant »
Pierre-Antoine Lévi, sénateur centriste, qui a fait passer cette année une proposition de loi visant à favoriser l’accès de tous les étudiants à une restauration à tarif modéré, est dubitatif sur l’idée d’une allocation d’études. « C’est d’abord une tribune qui n’est pas partagée par l’ensemble des présidents d’université. Cette proposition pose des questions sur les critères qui devraient être mis en place. L’allocation serait-elle conditionnée à l’assiduité de l’étudiant ? Serait-elle applicable en cas de changement d’orientation ? Est-ce que l’Etat doit financer des étudiants de trente ans qui changent de Master ? La tribune a au moins le mérite de poser le débat. L’Etat doit faire davantage, ça, c’est sûr. J’attends d’ailleurs de voir ce que la ministre mettra comme moyens dans le prochain budget la mise en œuvre de ma proposition de loi ».
Stéphane Piednoir (LR), rapporteur pour avis au nom de la commission de l’Education pour les crédits de l’enseignement supérieur, estime quant à lui que la proposition avancée par les présidents d’université « va à l’encontre de la condition d’étudiant ». « Je ne conteste pas les difficultés, mais on ne peut pas avoir une condition de salarié quand on est étudiant ». Le sénateur du Maine et Loire milite à la place pour une centralisation des aides et la création d’un échelon supplémentaire pour les bourses.
« Donner à tous sans regarder les revenus ne me paraît pas être la solution la plus efficace», a réagi sur franceinfo Sylvie Retailleau. la ministre de l’Enseignement supérieur a rappelé que sa priorité était la réévaluation des bourses qui « ont augmenté davantage que l’inflation, d’au moins 6%. Chacun a eu entre 37 et 127 euros de plus par mois. C’est historique, ça n’a pas eu lieu depuis 10 ans », a-t-elle insisté.