La polémique autour de la scolarisation des enfants d’Amélie Oudéa-Castéra, la nouvelle ministre de l’Education, dans l’établissement privé parisien Stanislas, n’en finit plus de rebondir. Après les explications confuses de la ministre sur les heures non remplacées dans le public ; les dérives autoritaires, sexistes et homophobes évoquées dans un rapport de l’administration sur le collège-lycée Stanislas – qui a vu la subvention publique que lui accorde la ville de Paris suspendue à titre conservatoire – ; cet établissement huppé du 6e arrondissement est à nouveau pointé du doigt pour avoir mis en place un système de contournement de Parcoursup, la plateforme numérique d’admission post-bac dans l’enseignement supérieur. Contournement dont aurait bénéficié le fils d’Amélie Oudéa-Castéra, selon des révélations de Mediapart.
D’après le site d’information, qui cite le rapport d’enquête réalisé l’année dernière par l’inspection générale de l’Education, les élèves de terminale du lycée Stanislas qui souhaitent poursuivre leur formation à l’intérieur de l’établissement, en classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE), sont « incités » à ne formuler qu’un seul vœu sur Parcoursup – contrairement aux recommandations du ministère -, contre la garantie d’une place dans l’une des quatre filières préparatoires que propose l’établissement. Sur les 600 000 lycéens ayant formulé des vœux en 2023 dans toute la France, seuls 41 candidats n’en ont fait qu’un seul, au risque de se retrouver sans aucune formation post-bac. Parmi eux : 38 élèves de Stanislas, dont le fils aîné de la ministre. Le ministère de l’Enseignement supérieur aurait été informé de ce système de contournement dès le mois d’août, et l’établissement se serait vu adresser la semaine dernière un courrier appelant au respect de la charte de Parcoursup.
La procédure Parcoursup
Parcoursup est régi par un algorithme national dont le code – c’est-à-dire la suite d’instructions qu’il est chargé d’exécuter – est accessible en open source, accompagné d’une description. Toutefois, ces informations restent difficilement compréhensibles pour les non-initiés. Cet algorithme, dont le fonctionnement est fixé par un texte de loi, ne sélectionne pas les élèves contrairement à une idée reçue, mais gère seulement la répartition des vœux. La décision finale revient aux établissements d’enseignement supérieur.
Une fois que le lycéen a rempli son dossier en ligne – il peut sélectionner jusqu’à 10 vœux et 20 sous-vœux différents -, Parcoursup s’occupe d’adresser les milliers de dossiers aux différents établissements. Ceux-ci opèrent une sélection en fonction des critères d’admission propres à chaque formation, sur la base d’un système de points qui permet d’identifier les dossiers qui satisfont au plus grand nombre de critères. Cette liste est ensuite renvoyée à Parcoursup qui met à jour les vœux de chaque candidat en fonction de l’offre et de la demande. L’algorithme peut néanmoins procéder à des réajustements dans le classement des candidats fait par les établissements, si celui-ci ne respecte pas certains critères académiques, par exemple sur le nombre de boursiers à intégrer chaque année.
L’opacité au cœur du système
« Des années que je me bats contre Parcoursup, pour la mixité scolaire et une réforme du financement de l’école privée. Aujourd’hui, ces sujets sont dans la lumière et je le dois à une personne qui a fait mieux en une semaine que moi en sept années. Merci Madame la ministre ! », a ironisé le sénateur communiste Pierre Ouzoulias, spécialiste des questions d’éducation, sur X (anciennement Twitter) ce week-end. Cet élu, avec l’un de ses collègues, le sénateur PCF Ian Brossat, a d’ailleurs saisi la justice aux côtés de l’association SOS Homophobie, « au titre de l’article 40 du code de procédure pénale », après les premières révélations de Mediapart.
Au-delà des accusations d’homophobie qui visent aujourd’hui Stanislas, Pierre Ouzoulias réclame depuis 2018 et le lancement de Parcoursup une transparence totale sur le mode de sélection des établissements. Au nom d’un principe de non-discrimination, d’égalité de traitement et d’équité, il demande la publication de ce qu’il appelle les « algorithmes locaux », c’est-à-dire les codes d’analyse des candidatures utilisés par les établissements du supérieur.
Cuisine interne
« Voilà des années que j’essaye de prouver l’existence de ces algorithmes, des années que les ministres nous répètent que les dossiers sont traités manuellement, ce qui est matériellement impossible puisque certaines formations reçoivent des milliers de demandes », explique Pierre Ouzoulias à Public Sénat. Pour y faire face, certains établissements ont la possibilité de mettre en place leur propre suite d’instructions informatiques en s’appuyant sur l’algorithme de Parcoursup – puisque celui-ci est en accès libre – mais en y intégrant les éléments de sélection souhaités. Un peu à la manière d’une recette de cuisine dont on changerait les ingrédients. « Dans certains cas, il peut s’agir d’un simple classeur Excel avec une dizaine critères », explique l’élu, qui reconnaît toutefois qu’en bout de course, les dossiers retenus sont généralement repassés au crible par un conseil d’admission.
Mais l’opacité pratiquée par certains établissements autour de leurs modalités de sélection jette une forme de discrédit sur l’ensemble de la procédure Parcoursup. C’est l’un des constats d’un rapport du Sénat publié en juin dernier. « Après avoir auditionné les représentants de plusieurs catégories d’établissements d’enseignement supérieur (universités, lycées à classes préparatoires aux grandes écoles – CPGE –, écoles de commerce et d’ingénieur, Sciences Po Paris, institut de formation en soins infirmiers…), l’effort de transparence sur l’ensemble des pondérations que les commissions d’examen des vœux utilisent, avec ou sans traitement algorithmique, est très variable d’un établissement à l’autre », lit-on dans ce document, rédigé à la suite d’une mission d’information pilotée par le sénateur LR Jacques Grosperrin. « Dans les universités, l’existence d’un algorithme de préclassement, non rendu public, est quasi systématique au vu du nombre très important de candidatures. Dans les lycées à CPGE, le traitement humain est prépondérant, avec un spectre de critères plus large à mesure que la sélectivité de l’établissement augmente, et dont la pondération quantitative reste parfois vague. »
Notons que certaines formations rendent totalement publics leurs modalités de recrutement, c’est le cas notamment des licences STAPS, de Louis Le Grand ou encore de Science Po Paris.
« Les dégâts sur l’image de l’enseignement peuvent être considérables »
« Ce manque de transparence pose à la fois un problème moral et pédagogique, puisque les élèves ne peuvent pas savoir précisément les raisons d’un refus de candidature », explique encore Pierre Ouzoulias. « Dans le cas de Stanislas, on peut s’interroger sur les garanties que l’établissement apporte aux élèves et aux familles pour les pousser à ne formuler qu’un seul vœu. Pourquoi prendre un tel risque si, en face, l’établissement ne vous apporte pas quelque chose ? », relève le sénateur.
« Si les élèves et les parents sont prêts à ne faire qu’un seul choix, c’est que le système mis en place fonctionne. Il y a un côté petit arrangement en bande organisée, c’est inacceptable. Face à ce genre de situation, les grandes déclarations sur la nécessité de relancer l’ascenseur social sonnent comme une tartufferie », s’agace Jacques Grosperrin. « Les dégâts sur l’image de l’enseignement peuvent être considérables. Pour que Parcoursup fonctionne, tout le monde doit jouer le jeu ! », martèle l’élu. Il entend soulever, lors de la prochaine réunion de son groupe au Sénat, l’hypothèse d’une commission d’enquête parlementaire sur ce sujet. « Si un établissement aussi réputé s’adonne à ce genre de pratique, on peut imaginer qu’il y en a d’autres… »
Les élèves de Stanislas décident « eux-mêmes » du choix qu’ils font après avis de l’établissement, a précisé Frédéric Gautier, le directeur de Stanislas, dimanche sur BFM TV. « Ce n’est pas un avantage. Nous avons 350 élèves en première année. Il y en a 80 qui veulent venir chez nous. Nous avons largement de la place pour tous les autres élèves qui veulent postuler, donc il n’y a pas de délit d’initié », a-t-il balayé.