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Antisémitisme : les présidents d’universités dénoncent une instrumentalisation politique, les sénateurs partagés

La parution d’une tribune signée par 70 présidents d’établissements d’enseignement supérieur dans Le Monde le 25 avril met en avant leur inquiétude face à l’ « instrumentalisation politique » de l’université. Publiée quinze jours après une audition très tendue au Sénat du président de France Universités sur l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur, ce texte est très mal reçu par la droite de l’hémicycle, alors que la gauche fait valoir son inquiétude face à une dérive « anti-libérale ».
Mathilde Nutarelli

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Depuis le 7 octobre, l’augmentation des propos et des actes antisémites en France inquiète. Après l’occupation en mars d’un amphithéâtre de Sciences Po par un groupe d’étudiants pro palestiniens, au cours de laquelle une étudiante juive dénonce avoir subi de l’antisémitisme, la commission de la culture du Sénat a lancé une mission d’information sur l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur. Le 10 avril, l’audition par la commission de la culture, très tendue, du président de France Universités, a débouché sur un communiqué sévère du groupement d’établissements d’enseignement supérieur. Hier, 70 présidents d’établissements membres de France Universités signaient dans Le Monde une tribune appelant à ne pas « instrumentaliser » les universités à des « fins politiques ». Les sénateurs de gauche partagent le constat, alors qu’elle passe mal auprès des sénateurs de droite.

Une audition très tendue au Sénat

Le 10 avril dernier, la commission de la culture du Sénat auditionnait Guillaume Gellé, président de France Universités, et Isabelle de Mecquenem, membre du Conseil des sages de la laïcité. Ce premier a alors rappelé les statistiques inquiétantes de la hausse des actes antisémites : depuis le 7 octobre, dans quatre-vingts établissements d’enseignement supérieur, 67 ont été recensés, alors que ce chiffre était de 33 sur l’année universitaire 2022-2023. Mais, alors que certains sénateurs lui en faisaient la demande, Guillaume Gellé n’a pas pu fournir de chiffres sur les sanctions prises envers des étudiants pour propos antisémites. « [Les présidents d’université] sont obligés de se baser sur un certain nombre de faits et d’avoir cette matérialité des faits pour pouvoir engager soit des plaintes soit des poursuites disciplinaires soit les deux. Cela prend d’ailleurs un petit peu de temps et c’est pour cela aussi que les réactions ne sont pas immédiates », avait-il expliqué. Une réponse qui n’a pas satisfait les sénateurs de droite et du centre.

La suite de l’audition s’est tenue dans un climat très tendu, les sénateurs de la majorité sénatoriale exprimant très directement leur indignation et leur désaccord envers les propos des personnes auditionnées. « Je suis stupéfait par ce que j’ai entendu, je ne suis absolument pas rassuré. 91 % des étudiants juifs se disent victimes d’antisémitisme, vous faites comme si cela n’existait pas », les avait alors interpellés le sénateur LR Max Brisson. Le sénateur LR Jacques Grosperrin avait même évoqué la possibilité de revenir sur la loi LRU, consacrant l’autonomie des universités et notamment le choix de leur président par leur conseil d’administration, en faisant nommer les présidents d’université par le ministre de l’Enseignement supérieur. « Si les présidents d’université sont en incapacité de faire régner une autorité une liberté [sur leur campus], il faut changer la loi et il faut peut-être réfléchir à nommer ces présidents, comme les recteurs, soit par le conseil des ministres, ou soit par le ministre de l’Enseignement supérieur. La LRU montre ses faiblesses, il y a une réflexion à avoir, et nous sommes prêts à avoir cette réflexion si les choses ne changent pas », avait-il asséné.

« Il y a eu une outrance dans les propos tenus par les sénateurs », juge Karine Daniel, sénatrice PS, présente à l’audition, « je suis choquée par la mise en cause des professionnels. Personne ne nie les faits d’antisémitisme dans l’université ». Le corapporteur de la mission d’information, le RDSE Bernard Fialaire le reconnaît, « il y a eu beaucoup de maladresses des deux côtés lors de cette audition, beaucoup d’émotion ».

Une audition qui a laissé des traces

Les échanges tendus entre les sénateurs de droite et le président de France Universités ont laissé des traces. A l’issue de l’audition, l’association a publié un communiqué sévère : « Contrairement à ce qu’affirment certains dont la connaissance de la chose universitaire est pour le moins étroite, les présidentes et présidents d’universités pratiquent la tolérance zéro face aux violences et aux discriminations, de quelque nature que ce soit. Il est par conséquent inadmissible de voir prospérer une propagande laissant entendre une quelconque « lâcheté », un « déni » ou un « laxisme » de la part des universités en matière de lutte contre l’antisémitisme. Ces attaques relèvent de la propagande et du mensonge, et sont indignes en démocratie », peut-on lire.

Depuis, une conférence de Jean-Luc Mélenchon et de la candidate insoumise et militante pro palestinienne Rima Hassan a été annulée à l’université de Lille. Le candidat à la présidentielle de 2017 a ensuite tenu des propos pour le moins ambigus, rapprochant le président de l’université d’Eichmann.

C’est dans ce contexte que 70 présidents d’établissements d’enseignement supérieur signent une tribune dans Le Monde le 25 avril. Ils y écrivent : « Affirmer que les universités ne combattent pas l’antisémitisme relève de la propagande. C’est un mensonge que de dire que les présidentes et présidents d’établissements d’enseignement supérieur sont dans le déni quant à ce fléau qui constitue d’abord un délit ». Ils y dénoncent également des « accusations abjectes dès lors qu’un président est comparé à un collaborateur du régime nazi ». Ils s’inquiètent pour l’autonomie des universités et affirment : « Les universités ne doivent pas être instrumentalisées à des fins politiques ». Des mots forts qui révèlent une certaine inquiétude et un malaise chez les présidents d’université.

« C’est une dérive antilibérale, proche de ce qu’il s’est passé en Hongrie ou en Pologne »

A gauche, le constat est partagé par les sénateurs. Le communiste Pierre Ouzoulias se dit inquiet. « J’entends, même au Sénat, des critiques formulées sur l’université, qui sont dangereuses pour elles et pour la démocratie, qui préconisent presque une reprise en main par l’Etat des universités. C’est une dérive antilibérale, proche de ce qu’il s’est passé en Hongrie ou en Pologne », explique-t-il à publicsenat.fr. Il dénonce de la radicalité des deux côtés de l’échiquier politique, celle qui, d’un côté, voit une « pensée anti-Français » se développer à l’université et qui veut la museler, et celle, de l’autre, incarnée par la France Insoumise, qui provoque la radicalité pour l’utiliser politiquement. Pierre Ouzoulias craint une « trumpisation » de la société française, où le débat intellectuel serait « muselé ».

« Il y a en ce moment une hypervisibilité de ce type d’incidents quand ils se déroulent à l’université », explique Karine Daniel, « on doit pouvoir tenir des débats sereins dans l’université. On demande tout à l’université avec des moyens réduits. Son rôle c’est de former, de faire de la recherche ». L’élue appelle les politiques à « apaiser, à argumenter », afin de « revenir à la raison ».

Les sénateurs de gauche ne fustigent pas les présidents d’université pour leur traitement des actes antisémites à l’université. Ils saluent au contraire leurs actions. « Ils n’ont pas la main qui tremble », affirme Pierre Ouzoulias, « il faut être intraitable avec l’antisémitisme. Mais les sanctions doivent suivre des procédures ».

« L’indignation des présidents d’universités m’indigne avant tout »

Sur les bancs de la droite, le discours est tout autre. Le LR Max Brisson ne décolère pas depuis l’audition du 10 avril. « Les présidents d’université ne sont ni au-dessus de la Constitution, ni au-dessus des lois. Dans ce cas, la liberté académique camoufle un ‘pas de vagues’ », assène-t-il, « le président de l’Union des étudiants juifs de France nous dit que certains d’entre eux ont la trouille d’aller en cours. L’indignation des présidents d’universités m’indigne avant tout. Il est temps de réagir ». Il déplore le traitement « froid, technocratique » par certaines universités, de la lutte contre l’antisémitisme. « Les présidents d’université doivent assumer leur responsabilité d’assurer la sécurité des étudiants juifs sur leurs campus », assure-t-il. Pour lui, donc, pas de dérive illibérale, mais un manque de prise de conscience et de sanctions de la part des établissements d’enseignement supérieur. Il affirme : « Je souhaite que l’université vive pleinement son autonomie, mais quand le politique pointe un vrai sujet, elle doit le prendre en compte ».

Au-delà des sanctions, lutter contre l’antisémitisme par l’enseignement et la connaissance

Il y a pourtant un point qui met d’accord la gauche et la droite au Sénat sur le sujet, c’est la nécessité de mieux enseigner l’apport du judaïsme à l’Histoire de France. Max Brisson met en avant le rôle des Juifs français, en particulier de gauche, dans la construction de la laïcité à la française, pas suffisamment enseigné en cours d’Histoire et d’éducation civique. Pour Pierre Ouzoulias, « les Juifs n’apparaissent dans les cours d’histoire que dans l’affaire Dreyfus et la Shoah, alors que le judaïsme est constitutif de l’Histoire de France ». Et le sénateur communiste de rappeler : « L’antisémitisme est bimillénaire, il n’est pas arrivé avec les jeunes maghrébins dans les quartiers ».

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