Inclusion scolaire : un nombre croissant d’élèves handicapés accueillis à l’école, au prix d’un « parcours du combattant » pour les familles
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Depuis la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, qui a donné naissance au principe d’une « école inclusive », le nombre d’enfants en situation de handicap scolarisés en « milieu ordinaire » a été multiplié par trois. En 2022, plus de 436 000 élèves handicapés poursuivaient ainsi leur scolarité en école primaire, au collège ou au lycée, contre près de 155 000 en 2006.
Selon un rapport de la Cour des comptes, publié ce 16 septembre, l’introduction de ce principe d’inclusion depuis 2005 a bel et bien « modifié l’organisation du système scolaire de manière indiscutable, tant au niveau institutionnel que dans les pratiques professionnelles des personnels ».
Mais, malgré ces progrès quantitatifs, beaucoup reste à faire en matière de qualité d’accueil et d’accompagnement des élèves. « Si on s’arrête aux chiffres, la dynamique d’inclusion est indéniable. Pour autant, le parcours des enfants et des familles reste complexe », observe le premier président de la Cour, Pierre Moscovici.
« Un parcours administratif long et souvent complexe »
Pour les magistrats, le premier obstacle rencontré par les politiques d’inclusion tient au manque de coordination et de dialogue entre l’Education nationale et le secteur médico-social. La faute, notamment, à un déficit de personnels pour assurer le lien entre ces deux entités. Les « enseignants référents », responsables de ce travail, prennent en effet en charge le suivi « d’une centaine à parfois plus de 300 dossiers », précise le rapport. Des personnels qui doivent parfois également compenser le déficit de place dans des établissements spécialisés. À l’occasion de sa conférence de presse de rentrée, Nicole Belloubet avait annoncé que 24 000 élèves lourdement handicapés ont fait leur rentrée dans un établissement scolaire ordinaire, faute de place en institut médico-éducatif.
Pour bénéficier de cet accompagnement, bien que lacunaire, les familles souhaitant scolariser leur enfant en milieu ordinaire se heurtent par ailleurs à « un parcours administratif long et souvent complexe ». « Les familles rencontrées en cours d’évaluation ont quasi unanimement qualifié la scolarisation de leurs enfants de « parcours du combattant » », révèle le rapport. En moyenne, selon la Cour, les délais de traitement des dossiers permettant la scolarisation des enfants oscillent entre 3 mois et demi et près de 5 mois, avec de fortes disparités selon les départements.
« Il est essentiel de faciliter le parcours des élèves et des familles », souligne Pierre Moscovici, qui recommande pour ce faire de « fluidifier le parcours entre le milieu scolaire et le secteur médico-social » qui souffre aujourd’hui de « cloisonnement ». Dans son rapport, la Cour des comptes recommande ainsi de construire une « culture commune de travail », un « cadre juridique » et des « formations croisées » entre les deux corps de métier.
Des enseignants « démunis », face au manque d’accessibilité de l’école
Pour mesurer l’efficacité du modèle français d’inclusion scolaire, la Cour des comptes a également évalué les deux leviers mis en place par cette politique depuis le début des années 2000 : l’accessibilité et la compensation. D’un côté, le principe d’accessibilité doit permettre à tous les jeunes de bénéficier d’un enseignement adapté, dans l’école la plus proche de son domicile. D’un autre côté, le principe de compensation garanti aux élèves handicapés de bénéficier de mesures d’accompagnement individualisées.
En pratique, en termes d’accessibilité d’abord, la Cour des comptes déplore des « insuffisances » à tous les niveaux : difficultés d’accès aux installations sportives, manque d’outils pédagogiques adaptés, faiblesse des équipements dans les salles de classe… « D’importantes marges de progrès subsistent pour identifier les besoins à couvrir et pour programmer les réponses adaptées au bien-être des élèves en situation de handicap », expliquent les magistrats. Conséquence de ce manque d’adaptation, « les enseignants se sentent souvent démunis pour répondre aux besoins spécifiques de ces élèves », souligne Pierre Moscovici.
Les « effets discutables » du « recours massif » aux AESH
À l’inverse, en matière de compensation, le constat de la Cour n’est pas celui d’un manque de moyens. Ce volet de la politique d’inclusion scolaire est essentiellement porté par les accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), dont les effectifs ont augmenté de 90 % en l’espace d’une décennie. Les magistrats s’inquiètent ainsi de « la soutenabilité » de cette hausse considérable, « au regard des contraintes budgétaires actuelles et futures ». La masse salariale des AESH a en effet augmenté de 278 % entre 2013 et 2022, souligne le rapport.
Pour la Cour, ce « recours massif à l’accompagnement humain » a des « effets discutables », il peut même dans certains cas « constituer un obstacle à la prise d’autonomie » de l’élève en situation de handicap. Sans recommander une diminution des effectifs d’AESH, le rapport recommande donc de ne pas faire reposer la politique d’inclusion uniquement sur ces professionnels, en mettant davantage de moyens dans l’acquisition de matériel pédagogique adapté. En parallèle, la Cour des comptes reconnaît tout de même un déficit de formation et de reconnaissance des personnels œuvrant pour l’inclusion scolaire. Les magistrats recommandent donc de « renforcer l’attractivité de la certification » des enseignants spécialisés, ou encore de mettre en place des formations « inter-métiers » entre accompagnants d’élèves et enseignants.
En mai 2023, le Sénat s’était déjà saisi de cette question de l’école inclusive. Dans un rapport d’information, le sénateur Les Républicains Cédric Vial avait appelé à « inverser l’ordre des valeurs » entre mesures d’accessibilité et de compensation, « en faisant de l’accessibilité la priorité qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être ».
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