Groupes de niveau au collège : Gabriel Attal et Nicole Belloubet ont-ils la même vision ?
Par Stephane Duguet
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Entre « la souplesse » évoquée par Nicole Belloubet, ministre de l’Education, et « la règle » rappelée par Gabriel Attal mercredi, il ne s’est écoulé qu’une semaine. Sept jours et aucune clarification pour les enseignants sur la mise en place des groupes de niveaux à la rentrée 2024. Ce dispositif est une mesure phare du « choc des savoirs », annoncé en décembre 2023 par Gabriel Attal, alors en poste à l’Education nationale.
Les syndicats enseignants sont très remontés contre cette mesure. « Nous, ce qu’on attend c’est qu’on nous dise qu’il n’y aura pas de groupes de niveaux à la prochaine rentrée », tranche Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU, syndicat majoritaire. La mesure est très décriée car cela reviendrait à « trier » les élèves en fonction de leur niveau. Entre les élèves qui ont des facilités et ceux en difficulté, « les groupes de niveaux stables creusent les inégalités », note Patrick Rayou, professeur émérite en sciences de l’éducation à l’Université Paris 8. « Les meilleurs s’améliorent mais les plus faibles perdent beaucoup », résume Marie Duru-Bellat, professeur émérite de sociologie à Sciences Po. « Dans le projet de Gabriel Attal, les élèves n’étaient pas assignés à un groupe », précise Sébastien Vieille, secrétaire national du syndicat SNALC, plutôt favorable « sur le principe » aux groupes de niveaux en français et en mathématiques.
Avec son interview donnée à l’Agence France Presse mercredi, Gabriel Attal a repris la main sur les groupes de niveau, au détriment de Nicole Belloubet. Le Premier ministre rappelait que les groupes de niveau seront « la règle » en sixième et cinquième sur « les trois quarts de l’année au moins », alors que dans Le Monde, la ministre de l’Education indiquait qu’il « appartiendrait aux chefs d’établissements de voir à quels moments dans l’année il faut rassembler les élèves en classe entière, afin de réexaminer la composition des groupes dans ces deux matières fondamentales ».
Communications différentes
« On a l’impression d’avoir deux ministres de l’Education nationale qui chacun leur tour annonce la réforme sans dire la même chose », regrette Sophie Vénétitay. Nicole Belloubet avait même assuré sur BFMTV qu’elle « refuserait tout système de tri social ». « Sur ce sujet-là, elle est d’accord avec une bonne partie de la communauté éducative, mais pas avec Gabriel Attal », relève la professeur de SES secrétaire général du SNES-FSU. « Le tri social existe déjà », fait remarquer Patrick Rayou, mentionnant les inégalités scolaires déjà présentes. « Au sein des établissements, les différences sont importantes avec les options, les classes internationales », explique le chercheur en sciences de l’éducation.
Si la communication entre Gabriel Attal et Nicole Belloubet diffère sur les groupes de niveau, « ils n’ont pas une vision différente de l’enseignement », avance Marie Duru-Bellat. Selon elle, les différences sémantiques s’expliquent par « la position politique » du Premier ministre et de la ministre de l’Education. D’un côté, « après avoir défendu assez fermement son choc des savoirs, Gabriel Attal ne peut revenir dessus », de l’autre, « Nicole Belloubet ne peut pas directement se mettre à dos les syndicats enseignants », observe la professeure émérite en sociologie qui émet l’hypothèse que « Nicole Belloubet connaît peut-être mieux la littérature scientifique qui dit que les groupes de niveaux sont nocifs ».
Risque de « figer » les inégalités
La mise en place de ces groupes de niveau à la rentrée dans les classes de sixième et cinquième est redoutée par les enseignants qui demandent plus de moyens. Gabriel Attal avait promis l’embauche de 2 300 contractuels à la rentrée. « On demandait à reculer la mise en place d’un an », détaille Sébastien Vieille du SNALC. Pour l’instant, ils ne savent pas sous quelle forme se déploieront ces groupes de niveaux. « Ça ne respire pas la sérénité, on attend toujours les textes avec les ajustements », désespère Sophie Vénétitay du SNES-FSU.
Si pour Patrick Rayou, les groupes de niveau sont à bannir car « l’hétérogénéité permet un effet locomotive » en tirant les élèves vers le haut, il estime que s’ils sont mis en place avec la « souplesse » dont parlait Nicole Belloubet, « ça ferait moins de dégâts ». Comme Marie Duru-Bellat, le professeur en sciences de l’éducation considère qu’avec le débat sur les groupes de niveau « on prend le problème par le petit bout de la lorgnette ». « S’il faut faire un choc des savoirs, il ne faut pas attendre le collège. Les élèves ont huit ans de scolarité derrière eux », abonde la professeure de sociologie à Sciences Po Paris. « Avec les groupes de niveaux, on entérine les inégalités et on risque de les figer », s’inquiète-t-elle.
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