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Enseignement privé : la Cour des comptes pointe le recul de la mixité sociale et le manque de contrôle

La publication du premier rapport de la Cour des comptes sur l’enseignement privé sous contrat relance les débats autour du modèle scolaire français. Financé par l’argent public à plus de 75 %, l’enseignement scolaire privé cristallise de manière croissante les inégalités sociales et ouvre le débat sur les contreparties que l’Etat peut attendre des établissements d’enseignements privés.
Henri Clavier

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Alors que le ministre de l’éducation nationale, Pap Ndiaye, avait fait de la mixité sociale à l’école une de ses priorités, les annonces faites par le ministre ont déçu par la faiblesse de leur portée. Loin des objectifs chiffrés annoncés par le ministre pour favoriser la mixité sociale à l’école, un accord a finalement été signé entre l’Éducation nationale et le secrétariat général de l’enseignement catholique (SGEC). Pour rappel, l’enseignement privé représente 17 % des effectifs et est financé par l’Etat à hauteur de huit milliards d’euros.

Un débat sur la mixité sociale au sein de l’enseignement privé alimenté par le dépôt, début avril, d’une proposition de loi visant à conditionner les ressources attribuées aux établissements privés au niveau de mixité sociale. Le sénateur communiste des Hauts-de-Seine, Pierre Ouzoulias, espérait pouvoir inspirer Pap Ndiaye, mais au final « le contenu de l’accord entre l’Education nationale et le SGEN n’est pas satisfaisant, il n’y a rien de contraignant », regrette le sénateur communiste. C’est finalement la Cour des comptes qui s’inspire de cette initiative législative et formule plusieurs recommandations pour améliorer le contrôle de l’utilisation de l’argent public et le renforcement de la mixité scolaire à l’École. « Je suis un peu étonné que Pap Ndiaye n’ait pas attendu la publication du rapport de la Cour des comptes pour donner du poids à ses arguments », confie Pierre Ouzoulias.

Des contrôles financiers et pédagogiques presque inexistants

La Cour des comptes identifie, dans son rapport, un véritable angle mort de l’État concernant l’enseignement privé, l’absence quasi généralisée de contrôle de l’utilisation des fonds publics octroyés pour le fonctionnement de l’établissement. On peut notamment lire dans le rapport que « les directeurs régionaux des finances publiques sollicités dans le cadre de l’enquête (Hauts de France, Pays de Loire et Bretagne) ont indiqué que leurs services n’effectuaient pas ces contrôles [financiers] ». En effet, l’enseignement privé sous contrat est très largement financé par l’argent public notamment pour le salaire des enseignants pris en charge par l’Etat ou les infrastructures de fonctionnement dont la charge est assurée par les collectivités territoriales. En contrepartie, conformément aux contrats d’association prévus par la loi Debré de 1959, les établissements privés doivent notamment respecter les programmes scolaires.

Le rapport de la Cour des comptes met pourtant en lumière des contrôles particulièrement lacunaires des activités pédagogiques et financières des établissements d’enseignement privés. « Ce contrat apparaît essentiellement comme une formalité », peut-on lire dans le rapport qui rappelle que le contrôle financier est un moyen de s’assurer du bon engagement des crédits alloués. « Un tel contrôle peut permettre, par exemple, de vérifier qu’un professeur rémunéré par l’État n’enseigne pas sur son temps de service à des élèves qui sont scolarisés dans une classe hors contrat, que les emplois du temps des élèves respectent les termes du contrat, ou bien que les heures d’enseignement payées aux chefs d’établissement soient bien réalisées ». La plus haute juridiction financière évoque également un contrôle pédagogique « minimaliste ». Un laxisme qui interpelle puisque « l’Etat ne peut pas verser de l’argent public sans exercer de contrôle ou demander de contreparties sur la mixité sociale, c’est une règle de base », fustige Pierre Ouzoulias. De manière générale, la Cour affirme que « le dialogue de gestion entre l’État et l’enseignement privé sur les problèmes de fond – mixité sociale, équité territoriale dans la répartition des moyens, performances scolaires, politique éducative – est presque inexistant ».

La mixité scolaire continue de reculer dans l’enseignement privé

L’absence d’un véritable « dialogue de gestion » avec l’Etat, empêche, selon la Cour, de développer une approche répondant aux principaux enjeux, notamment la mixité sociale. Le rapport informe d’un recul important de la mixité sociale au sein de l’enseignement privé qui n’est pas assujetti à la carte scolaire. Par exemple, en 2000, 26,4 % des effectifs du privé venaient de milieux très favorisés contre un peu plus de 40 % en 2021*. En parallèle, 11,8 % des élèves du privé sont boursiers contre 29,1 % dans le public. Or si la part des effectifs issus de milieux favorisés ou très favorisés augmente dans l’enseignement privé c’est « uniquement pour des raisons sociales », affirme le sénateur des Hauts-de-Seine.

La Cour des comptes identifie un enseignement de « recours », c’est-à-dire qu’il n’est pas forcément motivé par des raisons religieuses. Une forme de stratégie d’évitement qui est « tout à fait légitime puisqu’elle est alimentée par les lacunes du public », estime Jacques Grosperrin, sénateur LR du Doubs. Les statistiques des régions de l’ouest de la France, où l’enseignement privé est historiquement très fort, tendent à confirmer l’existence d’une stratégie d’évitement puisque le rapport précise que « même en Bretagne, où l’enseignement privé catholique est traditionnellement implanté et populaire, la mixité sociale a tendance à reculer au sein de l’enseignement privé sous contrat ». Pour Jacques Grosperrin, « la Cour des comptes fait fausse route en ciblant le privé qui fonctionne bien alors qu’il faut aussi se demander pourquoi le public n’arrive pas à attirer les élèves les plus favorisés ».

« L’enseignement privé ne devrait pas avoir droit à autant de moyens sans réelles contreparties »

Parmi les solutions éventuelles formulées dans ses recommandations, la Cour des comptes reprend l’essence de la proposition de loi de Pierre Ouzoulias et suggère d’« intégrer, dans les modèles d’allocation des moyens aux établissements privés sous contrat, des critères tenant compte du profil des élèves scolarisés, des caractéristiques spécifiques de l’établissement, notamment géographiques, en s’appuyant sur un contrat d’objectifs et de moyens signé par chaque établissement privé sous contrat ». Une idée potentiellement consensuelle pour Jacques Grosperrin qui assure que « la prise en compte de l’IPS (l’indice de position sociale) et de la mixité sociale est évidemment importante, il faut réfléchir aux solutions, il faut se demander comment assurer la présence d’élèves socialement plus favorisés dans l’enseignement public ».

Les moyens pour atteindre une plus grande mixité sociale suscitent davantage de controverses. « Il faut de la contrainte dans la relation avec l’Etat, l’enseignement privé ne devrait pas avoir droit à autant de moyens sans réelles contreparties », estime Pierre Ouzoulias. Une solution contestée par Jacques Grosperrin qui craint que « l’augmentation de la contrainte ne suffise pas pour ramener un public qui s’est détourné du public, le problème de fond c’est la défiance envers l’enseignement public ».

 

* La Cour des comptes reprend les catégories socioprofessionnelles de l’INSEE pour déterminer les catégories, comme la Direction de l’évaluation de la prospective et de la performance.

– très favorisée : cadres et assimilés, chefs d’entreprise, professeurs des écoles et assimilés

– favorisée : professions intermédiaires

– moyenne : employés, agriculteurs, artisans, commerçants

– défavorisée : ouvriers, inactifs.

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