Education : les sénateurs PS veulent « adosser le financement de l’enseignement privé au respect des obligations de mixité »
Par François Vignal
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En janvier dernier, la polémique sur la ministre Amélie Oudea Castera, qui a placé ses enfants dans le collège privé catholique Stanislas, établissement prisé des élites, avait rappelé un vieux débat : celui qui oppose enseignement public et privé. Derrière, c’est l’enjeu de la mixité qui est posé. Avec une réalité plus complexe qu’un simple retour à la guerre scolaire, car public comme privé sont concernés.
C’est pour que « les chances soient les mêmes pour tous les gamins », que la sénatrice PS de Paris, Colombe Brossel, a déposé une proposition de loi (PPL) qui vise à « assurer la mixité sociale et scolaire dans les établissements d’enseignement publics et privés » et « à garantir davantage de transparence dans les procédures d’affectation et de financement des établissements privés sous contrat ». Ecoles, collèges et lycées sont visés par le texte de la socialiste, examiné en commission ce mercredi matin.
« Beaucoup de collectivités territoriales mettent en place des politiques publiques en matière de mixité »
« La PPL part de deux constats. Le premier, largement documenté par l’ensemble des chercheurs et la publication des IPS (indice de position sociale, qui résume les conditions socio-économiques et culturelles des familles des élèves accueillis dans un établissement, ndlr), c’est l’absence de mixité sociale et scolaire dans un certain nombre d’établissements. Et le sujet n’est plus aujourd’hui qu’un sujet parisien, ou de grandes métropoles. Cela touche les villes moyennes, toutes les villes. On a des phénomènes de ségrégation qui sont à l’œuvre. Donc il faut agir », avance Colombe Brossel.
« Le second constat, c’est que beaucoup de collectivités territoriales mettent en place des politiques publiques en matière de mixité. La bonne nouvelle, c’est que ça marche », ajoute la sénatrice PS. Celle qui a été 6 ans adjointe aux affaires scolaires de la maire de Paris, Anne Hidalgo, vante l’action menée dans la capitale : « Il y a les secteurs multicollèges à Paris. Par exemple, c’est un collège avec un IPS de 75 et l’autre de 115, qui sont séparés d’un boulevard. La ségrégation n’est pas le fait du territoire. Donc on a dit qu’il n’y a plus qu’un seul secteur de recrutement, et les enfants vont dans un collège en 6e, puis l’autre en 5e, etc ». Elle cite aussi « la politique menée en Haute-Garonne ».
« En Haute-Garonne, ils ont fait le choix de fermer deux collèges, et de redispatcher les élèves sur onze autres collèges. On a observé que pour la cohorte des enfants des deux collèges fermés, qui étaient en zone d’éducation prioritaire, le taux de réussite au brevet est passé de 50 à 70 %. Et ça n’a pas dégradé les résultats des autres élèves », explique la sénatrice PS Karine Daniel, rapporteure du texte. Elle ajoute :
La situation économique et sociale d’un quartier n’explique pas à elle seule le manque de mixité. « Les chercheurs soulignent que 50 % de la ségrégation scolaire est lié à la ségrégation au sein des territoires, mais 50 % est due à l’évitement, lié au privé », relève Colombe Brossel.
« Donner une base légale aux indices de position sociale » des établissements pour en faire « un outil » pour les collectivités
Pour changer la donne, « la proposition de loi vise à renforcer, dans la loi, les obligations en matière de mixité. Le Code de l’éducation dit qu’il faut « veiller » à la mixité, nous, on dit qu’il faut la « garantir ». Pour ça, il faut des outils de politique publique : c’est donner une base légale aux IPS, et obliger leur transmission annuelle aux collectivités », défend la sénatrice PS de Paris. De quoi en faire « un outil d’analyse et de construction des politiques publiques des collectivités dans le domaine de la mixité scolaire et sociale », ajoute Karine Daniel.
Autre proposition du texte : donner une base légale a Affelnet, la plateforme qui permet d’affecter les collégiens dans les lycéens. Pour Colombe Brossel, il faut aussi « faire entrer les établissements privés dans ce dispositif, qui permet la transparence dans les critères de sélection ».
« Le dernier étage de la fusée, beaucoup plus polémique au Sénat », reconnaît Colombe Brossel, « c’est dire que l’obligation s’impose à tout le monde, et aussi à l’enseignement privé. On propose ainsi d’adosser le financement de l’enseignement privé au respect des obligations de mixité ». Un point sensible pour la majorité sénatoriale de droite. Le texte entend ainsi mettre en place une modulation des dotations aux établissements privés. La PPL entend aussi ne pas autoriser l’ouverture d’un établissement privé là où il y aurait des fermetures de classes équivalentes dans le public.
« Il y a une accélération du phénomène de ségrégation dans le privé »
S’agit-il, au travers de cette PPL, de viser l’enseignement catholique privé ? « Ce n’est pas qu’un sujet du privé. L’absence de mixité peut exister entre deux établissements publics », commence Colombe Brossel, « mais on ne peut pas travailler sur la question de la mixité sociale sans parler du privé. Et c’est très documenté ».
« Le vrai mouvement depuis 20 ans, ce n’est pas l’augmentation des effectifs dans le privé – c’est en gros 80 % dans le public et 20 % dans le privé – mais le privé accueille quasiment pour moitié des enfants issus de catégories sociales favorisées. Il y a une accélération du phénomène de ségrégation dans le privé. Cela nous conduit à dire, si on fixe dans la loi des objectifs en termes de garantie, ça doit s’appliquer à tous », soutient la sénatrice socialiste de Paris. Et d’interroger :
« On veut que le privé prenne sa part dans les enjeux de mixité »
Pour avoir une idée des différences, la sénatrice de Paris donne quelques chiffres clefs : « En 2022, un collège en REP, c’est un ISP moyen de 74, un collège public, c’est un niveau moyen de 105 et dans les collèges privés, l’ISP moyen est de 124 ». « On veut que le privé prenne sa part dans les enjeux de mixité. Et c’est normal, comme ils reçoivent des fonds publics », ajoute Karine Daniel, qui souligne que « dans le privé, il y a de fait une sélection financière. Et par ailleurs, les établissements privés font une sélection individuelle, famille par famille ».
Si on imagine mal la majorité sénatoriale suivre sur ces propositions, il y a pourtant urgence à agir, selon Colombe Brossel : « Si on veut réparer les fractures de ce pays, on ne peut pas faire comme s’il n’y avait pas un sujet à l’école et au collège ». La suite lors des débats prévus en séance, le 13 juin, dans le cadre de la niche parlementaire du groupe socialiste.