La ministre de l’Education nationale, Anne Genetet, a présenté ce mardi le deuxième volet de la réforme du « Choc des savoirs », initiée en 2023 par Gabriel Attal, et destinée à renforcer le niveau des élèves. La droite sénatoriale, qui a soutenu cette réforme, regrette des allégements vraisemblablement imposés par le contexte budgétaire. La gauche, en revanche, épingle des annonces faites sans retour sur les dispositifs déjà entrés en vigueur.
Education : « J’ai l’impression que Gabriel Attal valide un grand nombre des préconisations de la droite républicaine », juge Max Brisson
Par Henri Clavier
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« Je n’ai aucun tabou […] J’assume de dire qu’il faut revoir notre organisation si on veut élever le niveau général. » Dès le 22 novembre, le ministre de l’Education nationale donnait le ton devant le congrès de l’Assemblée des maires de France. Pour « rehausser le niveau d’exigence », Gabriel Attal prévoit la création de trois groupes de niveaux au collège, dès la rentrée 2024 pour les classes de sixième et cinquième. Le dispositif doit être introduit en 2025 pour les classes de quatrième et de troisième. Le ministre souhaite également prendre un décret en 2024 pour faciliter le redoublement, celui-ci pourra néanmoins être évité en participant à des stages durant les vacances scolaires ou des rentrées anticipés. Un décret de 2014, pris par la ministre de l’époque Najat Vallaud Belkacem, rendait le redoublement exceptionnel mais possible lorsqu’il est dans l’intérêt de l’élève. Parmi les autres mesures défendues par le ministre, on retrouve la fin de l’harmonisation académique des notes au Diplôme national du brevet et au Baccalauréat ou la labellisation des manuels scolaires. L’obtention du brevet sera d’ailleurs une condition pour pouvoir entrer au lycée.
Si Gabriel Attal distille ses pistes de travail depuis la rentrée scolaire, le timing des annonces concorde avec la publication du classement Pisa dans lequel la France observe une chute historique du niveau en mathématiques des élèves de 15 ans. Ce classement, publié par l’Organisation pour la coordination et le développement économique tous les trois ans, fait figure de référence pour les politiques éducatives.
« Je me réjouis qu’il entreprenne le démantèlement de la structure rigide du collège »
Selon le classement Pisa 2022, 10 % des élèves français de 15 ans ont redoublé au cours de leur scolarité, à titre de comparaison, ce pourcentage s’élevait à 28 % en 2012. « Je me réjouis de la mesure sur les redoublements », déclare Max Brisson, sénateur et chef de file de LR sur l’éducation. Un avis partagé par Laure Darcos, sénatrice Les Indépendants de l’Essonne, qui considère que le ministre « s’appuie à juste titre sur la concertation auprès des professeurs qui en très grande majorité voulait le retour du redoublement ». Début octobre, Gabriel Attal avait lancé une consultation sur plusieurs points dont le redoublement. 70 % des 230 000 participants se déclarent en faveur d’un retour du redoublement, avance le ministre dans une interview accordée à l’Obs. Pierre Ouzoulias, sénateur communiste des Hauts-de-Seine, regrette « une réforme pour plaire aux LR » et estime, en reprenant les conclusions d’un rapport de l’OCDE de 2015, que « le redoublement avait été limité car il n’avait pas d’apport pédagogique et la question est également de savoir ce que l’on va faire des élèves n’ayant pas obtenu le brevet et qui ne pourront pas accéder au lycée »
Concernant, la mise en place de groupes de niveaux aux collèges, la mesure est bien accueillie à la droite de l’hémicycle. « Je me réjouis qu’il entreprenne le démantèlement de la structure rigide du collège, il y a quelques semaines encore, parler de la fin du collège unique était un tabou », souligne Max Brisson. Le sénateur qui plaide depuis longtemps pour la fin du collège unique regrette néanmoins l’absence de mesure sur « le développement du pré-apprentissage et la possibilité de s’orienter dès la quatrième vers les filières professionnelles ». La répartition en groupes de niveaux selon les disciplines était également plébiscitée par 80 % des enseignants consultés. « Contrairement à ses prédécesseurs, il prend à bras-le-corps la question des mathématiques, en rajoutant 1h30 de mathématiques », se réjouit Laure Darcos qui souligne que « toute une génération de jeunes ne dispose pas d’un niveau suffisant en mathématiques à cause de leur retrait du tronc commun par Jean-Michel Blanquer ».
Rétablir l’autorité des professeurs
De manière générale, Gabriel Attal cherche à conforter l’autorité des professeurs jugent plusieurs sénateurs. « Le dernier mot du professeur est un des éléments que nous demandions pour rétablir l’autorité des professeurs dans le cadre des redoublements », affirme Max Brisson. Le sénateur LR prône « le retour d’un conseil de classe souverain » dans le cadre du redoublement insistant sur l’importance de ne pas accorder ce dernier mot à l’équipe pédagogique, plus large. Un prisme réducteur, « symptomatique d’une certaine culture pédagogique française, un peu autoritaire », note Pierre Ouzoulias qui aurait souhaité que le ministre « aille plus loin sur le sujet de la liberté pédagogique des enseignants qui avait été particulièrement menacée par Jean-Michel Blanquer ».
Sur la question de la liberté pédagogique et notamment la labellisation des manuels scolaires, Laure Darcos affirme être plus réservée. « Je suis dubitative sur la labellisation des manuels scolaires, les éditeurs ont toujours respecté les programmes et il y a la sacro-sainte liberté éditoriale ! Si un extrême accédait au pouvoir cela pourrait être très dangereux », souligne la sénatrice. Pour Max Brisson, au contraire, la labellisation empêchera certaines dérives comme l’introduction de l’écriture inclusive dans les manuels. « Cependant attention, il faut rétablir l’autorité des professeurs par des actions pas juste par des mots », prévient Max Brisson.
« Gabriel Attal est un très bon politique, un bon communicant, mais il n’aborde pas les problèmes structurels »
Les mesures, annoncées le jour de la publication du classement Pisa, suscite un certain agacement à gauche qui y voit une manière efficace de détourner l’attention. « Gabriel Attal est un très bon politique, un bon communicant, mais il n’aborde pas les problèmes structurels que sont l’attractivité du métier et la mixité sociale à l’école, toute sa stratégie politique vise à utiliser les résultats de l’enquête pour appuyer ses réformes mais sans réellement en tirer les conséquences », analyse Pierre Ouzoulias. « Il est très rare que l’OCDE pointe les défauts structurels de l’enseignement et notamment le poids des inégalités socio-économique sur la réussite scolaire. Gabriel Attal est beaucoup plus politique que Pap Ndiaye et donc il refuse de s’attaquer au problème central de la mixité sociale, c’est une réforme pour plaire aux LR », fustige le sénateur des Hauts-de-Seine. Alors que Pap Ndiaye était vivement critiqué par la droite sénatoriale, Max Brisson avait averti Gabriel Attal de l’importance de reprendre certaines propositions du Sénat. « J’ai l’impression que Gabriel Attal valide un grand nombre des préconisations de la droite républicaine, je ne vais pas me plaindre s’il glisse à droite », se réjouit Max Brisson.
Enfin, la réduction des effectifs d’élèves dans le cadre des groupes de niveaux soulève plusieurs interrogations, notamment à cause de la suppression de 2 190 postes d’enseignants dans le primaire et le secondaire dans le projet de loi de finances 2024. « Quand Gabriel Attal parle de faire des petits groupes en collège je ne vois pas comment il va y arriver avec la dotation actuelle », s’interroge Laure Darcos qui est néanmoins convaincue que « le gouvernement avait une vraie volonté de poursuivre la revalorisation salariale des professeurs sur le quinquennat ». Interrogé sur le sujet en conférence de presse, le ministre de l’Education nationale a confirmé que cela impliquerait de créer plusieurs milliers de postes sans rentrer dans le détail. Si le budget de l’éducation nationale a augmenté de 12 milliards depuis 2017 et que le sénat a adopté une hausse de 6,5% des crédits dans le projet de loi de finances 2024, Pierre Ouzoulias doute du maintien de cet effort financier. « Il y a eu une revalorisation cette année mais je doute qu’elle se poursuive par la suite, il faudrait un plan décennal. Tout le problème du ministre c’est qu’il propose une réforme à budget constant », ironise Pierre Ouzoulias.
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