La ministre de l’Education nationale, Anne Genetet, a présenté ce mardi le deuxième volet de la réforme du « Choc des savoirs », initiée en 2023 par Gabriel Attal, et destinée à renforcer le niveau des élèves. La droite sénatoriale, qui a soutenu cette réforme, regrette des allégements vraisemblablement imposés par le contexte budgétaire. La gauche, en revanche, épingle des annonces faites sans retour sur les dispositifs déjà entrés en vigueur.
Education : face aux « faiblesses » du système actuel, un rapport du Sénat propose de revoir la formation initiale des professeurs
Par Alexis Graillot
Publié le
Bientôt une vaste réforme de la formation des enseignants ? C’est en tout cas le souhait de Max Brisson (LR) et d’Annick Billon (Union Centriste), rapporteurs de la mission d’information « Formation initiale et continuée des professeurs ». Un rapport qui fait suite aux annonces du chef de l’Etat, le 5 avril dernier, qui lors d’un déplacement dans une école primaire du IXe arrondissement de Paris, avait annoncé une réforme de la formation initiale des professeurs des écoles. Un plan qu’Emmanuel Macron veut structurer en trois axes : « La création d’une licence dédiée à la préparation au professorat des écoles », « le déplacement, dès 2025, du concours de professeur du premier et du second degré – à l’exception de l’agrégation – à la fin de la troisième année de licence (L3) au lieu de la fin de la deuxième année de master (M2), ainsi que « la mise en place de deux années de master professionnalisantes et rémunérées ».
« Depuis 35 ans, [l] es réformes successives n’ont pas permis de répondre aux besoins des futurs professeurs et aux attentes du ministère de l’Education nationale : l’entrée dans le métier reste compliqué et conduit à un nombre record de démissions dans les 5 premières années en poste », notent les sénateurs, qui proposent à travers leurs recommandations, d’« inscrire la formation dans un continuum allant de la licence à la formation tout au long de la carrière ».
Une formation initiale qui dispose de « nombreuses faiblesses »
Déplorant « l’absence d’une formation dédiée dès la première année de licence », alors même que le métier constitue une vocation pour « 60 % des étudiants » (Cnesco, 2021), les sénateurs souhaitent « favoriser le plus tôt possible, une confrontation avec le métier d’enseignant », face aux « nombreuses faiblesses » de la formation initiale. Plusieurs chiffres inquiètent particulièrement les élus : « 29.5 % des professeurs des écoles stagiaires n’ont jamais réalisé de stages d’observation au sein d’une classe avant leur prise de poste » et « plus de 50 % des enseignants français expriment un manque de préparation s’agissant de la pédagogie et des pratiques de classe à l’issue de leur formation » (Talis, 2018).
Autre donnée inquiétante, l’effondrement du nombre de candidats aux concours depuis 2019, avec une baisse significative pour le CAPES (-38 %). Pire encore, les élus dénoncent un « bizutage institutionnel », qui « conduit les enseignants stagiaires et néotitulaires dans les postes les plus difficiles, sans réel accompagnement ». Avec une conséquence notable : « 28 % des enseignants stagiaires ne se projettent pas à plus de 5 ans », et « près de la moitié des départs volontaires ont lieu dans les six premières années en poste ».
« Favoriser le plus tôt possible, une confrontation avec le métier d’enseignant »
Pour répondre à ces constats préoccupants, les sénateurs proposent de « favoriser le plus tôt possible, une confrontation avec le métier d’enseignant ». Concernant les professeurs des écoles, les élus souhaitent mettre en place de manière obligatoire « au moins un stage d’immersion en élémentaire et en maternelle et au cours des trois années de licence dans des cycles d’enseignement différents », dont au moins l’un d’entre eux au sein d’une école placée en réseau d’éducation prioritaire ou une école dite « orpheline ». Pour les enseignants du second degré, Max Brisson et Annick Billon recommandent de « faciliter l’organisation des stages courts », ainsi que de « mieux faire connaître les missions de métier de professeur du second degré via des unités d’enseignement en licence, portant sur la pédagogie ».
Les rapporteurs souhaitent également « tirer les conséquences » d’un concours qui serait désormais positionné à bac +3 (au lieu de bac +5 précédemment), en permettant aux futurs professeurs du second degré, de « poursuivre leur formation disciplinaire au sein du master professionnalisant afin de leur assurer un haut niveau de maîtrise de leur discipline ». Petite nouveauté également sur l’agrégation, puisque les élus souhaitent « réorienter » les professeurs agrégés vers les classes de terminale et postbac, « dans un délai de 5 ans » après leur prise de poste.
« Penser la formation des enseignants sur 8 ans »
En outre, les sénateurs souhaitent porter une attention toute particulière à la « formation continuée », en d’autres termes, « un continuum allant jusqu’à la troisième prise de poste ». « Il est illusoire de penser qu’une formation initiale de 5 ans pour le 1er degré et de 2 ans pour le 2e degré est suffisante pour permettre à un jeune professeur, une entrée sereine dans le métier », souligne le rapport, prenant appui sur une étude Talis de 2018, qui concluait que « seulement 22 % des enseignants de collège disent se sentir bien ou très bien préparés à la gestion des comportements des élèves de la classe à l’issue de leur formation initiale ». Le texte sénatorial propose ainsi de « rendre obligatoire une formation continuée pour tous les enseignants du premier et second degrés pendant les trois années suivant leur titularisation ».
Une application d’un tel dispositif n’est en revanche rendue possible que si les futurs enseignants exercent leur formation sur 8 ans au sein de la même unité de lieu. « Pour les professeurs du second degré, il est actuellement difficile de mettre en place un continuum de formation […], car l’étudiant n’est pas nécessairement nommé dans son académie de formation ». Le rapport propose ainsi de rapprocher le lieu de formation du lieu de première affectation, afin de permettre la « respiration » des enseignants.
« Rendre effective l’obligation de formation continue inscrite dans la loi depuis 2019 »
Autre chantier des sénateurs, qui constitue régulièrement un serpent de mer en France, l’exécution réelle des dispositions fixées par la loi. Alors que la formation continue est inscrite dans la loi depuis 2019, force est de constater la « tendance chronique d’absence de formation continue au sein du ministère de l’Education nationale ». Un chiffre illustre bien cette tendance : la consommation des crédits dédiés à la formation représentait 87 % en 2018, contre… seulement 37.5 % en 2023. Une donnée qui fait tiquer les sénateurs : « Il est paradoxal que l’un des principaux ministères en charge de la formation soit l’un de ceux qui s’occupent aussi peu de celles de ses propres agents », dénoncent-ils, déplorant que « la formation continue reste en France, le parent pauvre de l’enseignement scolaire ».
Pour pallier ces carences, les élus recommandent de créer « une obligation horaire annuelle de formation continue », ainsi que de « prendre obligatoirement en compte celle-ci dans le déroulement de carrière pour le passage de classe et dans la mobilité pour les postes spécifiques ou à profil lorsque le professeur a suivi une formation correspondant à ceux-ci ».
Améliorer la gouvernance
Enfin, les sénateurs jugent « indispensable de renforcer le lien organique liant le ministère et les organismes de formation initiale des enseignants ». Rappelant leur « profond attachement » à l’autonomie des universités, ils proposent cependant que le ministère ait un « pouvoir de contrôle spécifique sur la formation des professeurs ». « L’Education nationale a des attentes vis-à-vis de ses agents », rappelle Max Brisson, pour qui « l’Etat employeur doit avoir la possibilité de dire la formation qu’il entend donner ».
Pour cela, les sénateurs entendent « établir une gouvernance des Inspé (Institut national supérieur du professorat et de l’éducation) […] qui donne la prééminence au ministère de l’Education nationale. Pour éviter l’écueil d’une formation « hors-sol », les élus proposent de plus de limiter à cinq ans, la durée maximale de décharge totale pour enseignement dans les ENSP pour les formateurs « de terrain ».
Le rapport ne devrait cependant pas déboucher sur une proposition de loi, le gouvernement disposant de la compétence pour légiférer par décret. Reste à savoir si les recommandations des sénateurs seront retenues, la majeure partie d’entre elles ayant fait consensus au sein de la commission.
Pour aller plus loin