La ministre de l’Education nationale, Anne Genetet, a présenté ce mardi le deuxième volet de la réforme du « Choc des savoirs », initiée en 2023 par Gabriel Attal, et destinée à renforcer le niveau des élèves. La droite sénatoriale, qui a soutenu cette réforme, regrette des allégements vraisemblablement imposés par le contexte budgétaire. La gauche, en revanche, épingle des annonces faites sans retour sur les dispositifs déjà entrés en vigueur.
Derrière la grève des profs en Seine-Saint-Denis, un ras le bol général contre « un sentiment de relégation »
Par Romain David
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Nouvelle journée de grève pour les enseignants de Seine-Saint-Denis. L’intersyndicale enseignante appelait à la mobilisation des agents et des personnels ce lundi 22 avril, en marge du retour des vacances de Pâques pour les élèves de la zone C. Selon les chiffres communiqués par les syndicats, le mouvement a été suivi par 30 % des enseignants du premier et du second degré, avec plusieurs écoles fermées dans le département. « C’est une mobilisation qui n’est pas majoritaire mais qui reste tout de même très forte, six semaines après le début du mouvement », salue auprès de Public Sénat, Grégory Thuizat, professeur de français et co-secrétaire du Snes-FSU 93, qui s’exprime au nom de l’intersyndicale. « Le gouvernement a misé sur une stratégie dilatoire. Il espérait que le mouvement s’étiole à la faveur des vacances, mais nous ne retournerons pas dans nos établissements avec des mesurettes. »
Depuis plusieurs mois, enseignants, parents d’élèves et élus dénoncent la situation de l’enseignement en Seine-Saint-Denis, un territoire grevé par les pénuries de remplaçants et la vétusté du bâti scolaire. La CGT, la FSU, Sud et la CNT réclament l’abandon de la réforme du « choc des savoirs », portée par le Premier ministre Gabriel Attal, et la mise en place d’un plan d’urgence qu’ils chiffrent à 358 millions d’euros pour couvrir les besoins humains et horaires dans le département, soit 5 000 enseignants et plus de 3 600 postes de vie scolaire.
« Avec les pénuries d’enseignants, un élève de Seine-Saint-Denis qui arrive au baccalauréat a perdu en moyenne une année de scolarité »
Le 22 mars, un collectif d’une centaine d’élus de Seine-Saint-Denis appelait dans une tribune publiée par Libération à « un choc d’égalité pour l’école publique », dénonçant « la sous-dotation des établissements de Seine-Saint-Denis par rapport à d’autres territoires plus favorisés », et ses conséquences sur la formation des élèves dans le plus jeune département de France métropolitaine. En parallèle, douze municipalités séquano-dyonisiennes de gauche ont pris, début avril, des arrêtés qui mettent en demeure l’Etat d’appliquer un plan d’urgence pour l’enseignement dans le département. Les édiles se sont appuyés sur un arrêt du Conseil d’Etat daté du 27 octobre 1995, et qui consacre les pouvoirs de police du maire lorsqu’un évènement est susceptible de menacer la dignité humaine. Or, ces élus considèrent que l’absence d’action de la part de l’Etat en matière d’éducation constitue une atteinte à la dignité humaine de nature à générer des troubles à l’ordre public.
« C’est une mesure essentiellement symbolique, qui va peut-être un peu loin mais je comprends cette volonté de provocation pour obtenir une réponse des pouvoirs publics », commente auprès de Public Sénat la sénatrice socialiste de Seine-Saint-Denis Corinne Narassiguin. « C’est à la fois un sujet de recrutement et de condition de travail. La Seine-Saint-Denis n’est pas une priorité du ministère. Il faudrait, a minima, fournir un effort sur les remplacements pour garantir la fin de l’année scolaire », explique l’élue.
« La question des remplacements non pourvus est un enfer. Je l’ai vécue en tant que parent d’élèves, avec deux enfants scolarisés dans le public. Vous pouvez rester des semaines sans voir la queue d’un remplaçant », soupire le sénateur communiste de Seine-Saint-Denis Fabien Gay. « Désormais, l’année scolaire commence en sous-effectif, avec des postes manquant dès la rentrée. Avec les pénuries d’enseignants, un élève de Seine-Saint-Denis qui arrive au baccalauréat a perdu en moyenne une année de scolarité », avance cet élu.
« S’agissant de la Seine-Saint-Denis, les remplacements sont effectivement problématiques, le nombre d’heures perdues s’élevant à 13,5 millions, ce qui reste bien sûr énorme. Ce département pose des difficultés particulières, notamment pour assurer que l’on fait le plein dans les concours d’enseignants, et ce en dépit de toute l’énergie que nous déployons et des efforts des élus », a reconnu la ministre de l’Education nationale Nicole Belloubet début avril, lors d’une audition au Sénat.
Une prime pour « fidéliser » les personnels
Pour l’heure, le gouvernement s’en tient au plan « Pour un État fort en Seine-Saint-Denis », lancé en 2019 par Edouard Philippe. L’objectif : renforcer la présence des services publics dans le département. Il inclut notamment une prime individuelle de « fidélisation », versée aux personnels des premier et second degré au bout de cinq ans d’ancienneté dans le département. Selon le rapport de suivi de l’Assemblée nationale, un peu plus de 900 enseignants l’ont déjà touchée. Son montant de 10 000 euros a été revalorisé à 12 000 euros au 1er janvier dernier, avec un versement prévu en mai. « On a eu quelques retours positifs, mais pour l’instant c’est un peu court pour juger de l’efficacité réelle de ce dispositif », relève Corinne Narassiguin.
Le plan « Pour un État fort en Seine-Saint-Denis » prévoit également, à titre expérimental, le pré-recrutement d’étudiants comme enseignants, via des contrats de préprofessionnalisation avec un objectif de 500 étudiants par an. Mais le manque d’expérience d’une partie des personnels, tout juste formés, est aussi pointé du doigt. Selon les chiffres de l’académie de Créteil, 14 % des instituteurs du premier degré ont moins de 30 ans. Ils sont 18 % dans le second degré.
« On pourra toujours réclamer un plan d’urgence et lancer des recrutements en masse, ce qu’il se passe dans ce département est l’illustration dramatique et paroxystique d’un système à bout de souffle », épingle le sénateur LR Max Brisson, spécialiste des questions d’éducation. « Les organismes syndicaux doivent reconnaître que le système d’affectation qui repose sur l’ancienneté ne fonctionne plus. Envoyer des jeunes profs, encore inexpérimentés, sur les postes les plus difficiles là où nous aurions besoin des plus chevronnés, n’a aucun sens », soupire cet ancien inspecteur académique. Sa proposition : des contrats de mission, « avec une rémunération adaptée », et qui seraient pris en compte pour l’avancement des carrières. Il souhaite également régionaliser le concours du second degré : « Est-ce la meilleure politique que de faire travailler en Seine-Saint-Denis des gens qui n’y sont pas nés, et qui n’ont pas nécessairement les codes de ce territoire ? »
« Nous ne demandons pas l’aumône, mais simplement l’égalité républicaine »
« Avec la ministre, nous avons un désaccord sur le constat. Elle estime que la Seine-Saint-Denis touche sa juste part et nous, nous estimons que nous sommes dans un département hors-normes, qui appelle des réponses hors normes », explique Fabien Gay. « Nous cumulons des retards dans tous les domaines par manque d’investissements : l’état du bâti, l’absence d’équipements sportifs… Aujourd’hui, un élève de sixième sur deux ne sait pas nager. L’héritage des jeux olympiques et paralympiques va nous apporter un rattrapage, mais derrière il faudra dégager des créneaux, trouver des agents… Nous ne demandons pas l’aumône, mais simplement l’égalité républicaine. Lorsque nous serons au même niveau que les autres territoires, alors nous pourrons rentrer dans des politiques publiques normales », estime le communiste.
Son collègue, le sénateur socialiste Adel Ziane abonde : « Il faut une acceptation de la part de l’Etat sur la nécessité d’un traitement différencié en Seine-Saint-Denis, comme ce qui a été fait à Marseille. Le rapport rendu en 2018 par les députés de Haute-Marne François Cornut-Gentille (LR) et de Seine-et-Marne Rodrigue Kokouendo (LREM) sur l’action de l’Etat en Seine-Saint-Denis montre que dans de nombreux domaines nous ne bénéficions pas du même soutien que les autres territoires. Je bats en brèche le discours qui consiste à dire que l’Etat surinvestit dans le département ». Grégory Thuizat du Snes-FSU 93 renchérit : « Le sentiment de relégation des populations n’est pas qu’une impression. Il est documenté par le travail parlementaire ! » À l’époque, la publication de ce rapport avait fait bondir de nombreux élus, dont le LR Philippe Dallier, maire de Pavillons-sous-Bois, alors sénateur. « Qu’est-ce que vous entendez faire pour donner un peu de sens au terme d’égalité républicaine dans ce département ? », s’était-il ému lors d’une séance de questions au gouvernement.
Une spirale infernale
Selon une étude publiée en 2021 par l’Insee, la Seine-Saint-Denis est le département le plus pauvre de France métropolitaine, avec un niveau de vie médian à 17 740 euros. 28,4 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Pour l’année scolaire 2023-2024, plus de 220 000 élèves sont scolarisés dans le département, de la maternelle à la terminale. Or, 56 % des effectifs du 1er degré et 60 % des effectifs au collège se trouvent en zone d’éducation prioritaire. Par ailleurs, l’indice moyen de position sociale des collèges de Seine-Saint-Denis – un indicateur qui permet de situer le niveau socio-économique des familles par établissement – se situe à 92, contre 103 au niveau national.
La crise de recrutement qui frappe l’enseignement est exacerbée par d’autres problématiques ; vétusté du bâti, qualité de vie dégradée, des taux de délinquance important, mais aussi la désertification médicale. En Seine-Saint-Denis, seuls 17 postes de médecin scolaire sur 50 sont pourvus. Le département cristallise à lui seul nombre des difficultés qui minent d’autres territoires.
« C’est un département qui absorbe des populations qui cumulent plus de problèmes sociaux qu’ailleurs », concède Corinne Narassiguin. « Parce qu’on y trouve davantage de logements sociaux, parce qu’on a pris l’habitude d’y envoyer les étrangers primo-arrivants… La politique conduite par l’Etat a créé des situations qui appellent à mettre en place des solutions complexes. En termes de mixité sociale, nous avons besoin d’un rééquilibrage à l’échelle de la région. ». Les sénateurs Fabien Gay et Adel Ziane évoquent de leur côté la possibilité d’une fusion de la Seine-Saint-Denis avec l’académie de Paris. Cette proposition est portée par le président (PS) du département Stéphane Troussel, mais pas par l’intersyndicale qui redoute « la fausse bonne idée ».
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