Dans l’enseignement supérieur, des ingérences étrangères aux frontières de plus en plus « floues et incertaines »

Deux ans et demi après la publication d’un rapport sénatorial sur les influences extra-européennes à l’université, la commission d’enquête sur les ingérences étrangères se penche de nouveau sur le sujet. Face à une menace de plus en plus diffuse et dans un contexte de forte autonomie des établissements, les recommandations des sénateurs peinent encore à s’appliquer.
Rose Amélie Becel

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En octobre 2021, l’ex-sénateur Renaissance André Gattolin rendait son rapport sur « les influences extra-européennes à l’université », avec un constat central : les dispositifs de sécurité qui existent pour protéger le « patrimoine scientifique et technique de la nation » ne s’appliquent pas suffisamment au champ des sciences humaines et sociales.

Ce jeudi 2 mai, l’audition d’Edouard Geffray, directeur général de l’enseignement scolaire, et Benjamin Leperchey, adjoint à la directrice générale de l’enseignement supérieur, confirme les faiblesses qui continuent d’exister dans ce domaine. Entendus dans le cadre de la commission d’enquête sur les opérations d’influences étrangères, les deux fonctionnaires ont insisté sur la complexité d’identifier ces cas d’ingérence.

« De manière générale, les pays d’origine de ces opérations sont à peu près toujours les mêmes : la Chine, la Russie, l’Afrique du Nord et un petit peu moins le Moyen Orient, la Turquie et l’Azerbaïdjan. Pour les opérations les plus visibles, les deux premiers pays cités sont les plus intrusifs », a précisé Benjamin Leperchey.

Des ingérences dans les sciences humaines et sociales difficiles à détecter

« Aujourd’hui, les opérations menées sont moins frontales qu’elles ne l’étaient il y a quelques années, ce qui rend les frontières beaucoup plus floues et incertaines et les mécanismes de détection toujours difficiles », note également l’adjoint à la directrice générale de l’enseignement supérieur. De manière générale, les établissements qualifiés de sensibles, à l’image de l’institut national des langues et des civilisations orientales (Inalco), sont « parfaitement sous contrôle », estime le fonctionnaire.

À l’inverse, dans les universités et « établissements plus généralistes », si la prise de conscience des dangers de l’ingérence est « réelle », le recensement des actes malveillants reste difficile. Pour lutter contre ces ingérences de plus en plus insidieuses, la protection du patrimoine scientifique et technique s’étend peu à peu à d’autres disciplines. « La protection est désormais étendue à des sujets comme l’ergonomie ou la cognitique [domaine des sciences cognitives], qui sont des leviers pour développer des technologies sensibles comme la robotique et l’intelligence artificielle », précise Benjamin Leperchey.

Si les recommandations du rapport d’André Gattolin pour lutter contre les ingérences peinent à être appliquées, c’est aussi parce qu’elles se heurtent pour certaines à la question de l’autonomie des établissements. Le sénateur demandait, par exemple, la mise en place de déclarations d’intérêts pour contrôler les intervenants extérieurs. Un dispositif qui ne peut pas s’étendre uniformément à toutes les écoles, estime Benjamin Leperchey : « On entre vraiment dans l’autonomie des établissements et leur liberté de partenariats de recherche. Il n’appartient pas au ministère d’imposer la forme que pourraient prendre ces déclarations et encore moins d’établir une liste de ce qui serait permis ou non. »

Pas d’ingérences étrangères dans les manifestations étudiantes pro-palestiniennes

Depuis le rapport sénatorial d’octobre 2021, la situation dans les établissements a tout de même largement évolué. Alors que les occupations d’établissements français se multiplient, pour dénoncer les opérations militaires d’Israël et la situation humanitaire dans la bande de Gaza, les sénateurs ont également questionné les fonctionnaires sur les éventuelles influences étrangères de ces mouvements.

« Ce n’est pas ce qui ressort des signalements qui nous sont faits », indique Benjamin Leperchey, « aujourd’hui, nous observons que les porteurs de ces manifestations sont plutôt des syndicats étudiants ou des partis politiques ».

Alors que ces mobilisations étudiantes sont souvent décrites comme influencées par les mouvements sur les campus américains, les deux fonctionnaires affirment que les Etats-Unis ne figurent pas parmi les pays les plus surveillés en matière d’ingérence dans les établissements. « C’est évidemment un point d’attention, mais il y a moins d’opérations claires et manifestes », affirme Benjamin Leperchey.

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