La ministre de l’Education nationale, Anne Genetet, a présenté ce mardi le deuxième volet de la réforme du « Choc des savoirs », initiée en 2023 par Gabriel Attal, et destinée à renforcer le niveau des élèves. La droite sénatoriale, qui a soutenu cette réforme, regrette des allégements vraisemblablement imposés par le contexte budgétaire. La gauche, en revanche, épingle des annonces faites sans retour sur les dispositifs déjà entrés en vigueur.
Craintes de coupes dans le budget de la Recherche : « Renoncer à la loi de programmation serait une erreur majeure », estiment des sénateurs
Publié le
Menace sur le budget de la Recherche ? C’est en tout cas la crainte de Sylvie Retailleau, et plus généralement de tous les chercheurs, ou futurs chercheurs. Juste avant son départ du gouvernement, elle avait sévèrement critiqué la trajectoire promise à son ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, dans une lettre adressée au Premier ministre démissionnaire Gabriel Attal, début septembre. Pour elle, l’évolution envisagée est « irréaliste, voire dangereuse ». Outre les dossiers relatifs à la vie universitaire, comme la réforme des bourses étudiantes, cette physicienne avait également tiré la sonnette d’alarme sur les moyens consacrés à la Recherche, pourtant promis à un bel avenir avec la loi de programmation (LPR), promulguée le 24 décembre 2020.
Sur la base des plafonds de crédits établis par le gouvernement Attal, le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche pourrait baisser de 300 millions d’euros l’an prochain (à 31,3 milliards). Ces lettres-plafonds décidées par le gouvernement démissionnaire ne constituent qu’une « base technique » pour préparer le budget, et ne « préjugent pas » des arbitrages du gouvernement Barnier. Mais la dégradation plus forte qu’attendu du déficit public en 2024 laisse la porte ouverte à des choix difficiles. D’autant que le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche était l’un des postes les plus affectés par le décret d’annulation de février. Ce domaine s’est fait amputer de 900 millions d’euros, sans compter les gels de crédits qui pourraient in fine se transformer en annulations en fin d’année.
Sylvie Retailleau inquiète pour « l’attractivité des carrières scientifiques en France »
Dans sa lettre révélée par le Monde, Sylvie Retailleau se disait très inquiète sur le respect de la loi de programmation. « Renoncer à la LPR serait une erreur majeure qui entraînerait inévitablement une remise en cause des transformations en cours du paysage de la recherche, un climat social et politique, très tendu dans l’écosystème », a-t-elle alerté. Elle a répété ses mises en garde au moment de la passation de pouvoir le 23 septembre, estimant nécessaire de protéger les investissements à venir mais aussi « l’attractivité des carrières scientifiques en France ».
Son discours a reçu un certain écho auprès des sénateurs investis sur ces questions. « Une programmation n’a de sens que si on peut s’appuyer durablement dessus. Quand on vote cela, c’est quand même bien de tenir ses engagements », estime Stéphane Piednoir (LR) rapporteur pour avis des crédits de l’enseignement supérieur, au sein de la commission de la culture et de l’éducation. « Il peut y avoir des ajustements à la marge, mais ce n’est pas de nature à colmater le déficit de l’ordre de 6 % qu’on nous annonce, ni à fragiliser la recherche dans notre pays. »
« On entend des rumeurs comme quoi la recherche va prendre un coup. Je pense que malheureusement que ça peut arriver. On va se battre », annonce Laure Darcos (ex-LR), ancienne rapporteure pour avis des crédits de la recherche à la commission de la culture et de l’éducation.
« Toute la partie des revalorisations salariales ne serait pas remise en cause », espère Stéphane Piednoir (LR)
« Ce serait extrêmement préjudiciable. L’Europe est sur un déclin technologique qui est conséquent. On va transmettre à la génération suivante une dette en matière en de connaissances », s’inquiète le sénateur communiste Pierre Ouzoulias. Ce chargé de recherche au CNRS parle d’un « risque terrible pour l’avenir » et redoute un « signal catastrophique envoyé aux chercheurs et aux jeunes ». Plus largement, le sénateur des Hauts-de-Seine y verrait alors une inquiétante remise en cause du principe même des lois de programmation. « Si les parlementaires ont le sentiment que ces lois ne sont jamais respectées, on refusera de les voter, voire de les discuter », prévient-il.
Pour plusieurs de nos interlocuteurs, le principal risque se situe sur l’Agence nationale de la recherche (ANR). « Il va y avoir des priorités, et la priorité, ce sont les revalorisations des salaires des enseignants-chercheurs. Et il y aura une baisse sur l’ANR. Je vois très bien quelle est l’arithmétique budgétaire future », pressent Pierre Ouzoulias. « À tout le moins, toute la partie des revalorisations salariales ne serait pas remise en cause », imagine également de son côté Stéphane Piednoir.
Les agences étatiques sont, comme l’an dernier, dans le viseur de la droite sénatoriale. Dans un amendement, le rapporteur général Jean-François Husson avait proposé une réduction de 100 millions d’euros de la trésorerie du CNRS (8 % du total), « compte tenu » des moyens disponibles. Sa proposition avait finalement été retirée, face à une majorité d’opposants dans l’hémicycle. Qu’en sera-t-il cette année ? Au moment du vote de la loi de finances 2024, le déficit était attendu à 5,1 %, il pourrait atteindre plus de 6 % en l’absence de mesures de redressement, ce qui aboutira à des arbitrages très difficiles. « Un autre sujet que je vois monter, ce sont les crédits impôts recherche », anticipe Laure Darcos.
« On a fait remarquer que les gouvernements sont peu prompts à respecter les lois de programmation »
En l’absence d’un projet de loi de finances en bonne et due forme, qui ne parviendra pas aux parlementaires cette année avant le 9 octobre, le président de la commission de la culture et de l’éducation, Laurent Lafon (Union centriste) se montre « prudent » mais attaché à la préservation de la LPR. « Je serai attentif aux engagements pris à travers cette loi, que nous avions soutenue fortement. On continuera d’être vigilant », indique-t-il.
Reste à savoir si Patrick Hetzel, le nouveau ministre l’Enseignement supérieur et de la Recherche parviendra à décrocher des arbitrages favorables, ou à tout le moins, à limiter la casse. Le député LR, devenu le nouvel hôte du Pavillon Boncourt, rappelle d’ailleurs à Pierre Ouzoulias quelques souvenirs qui ne manquent pas de sel dans le contexte actuel. « Nous étions tous les deux extrêmement actifs pour demander que l’essentiel du surcroît budgétaire pour la recherche, dans le cadre de la LPR, porte sur les premières années et pas les dernières. On a fait remarquer que les gouvernements sont peu prompts à respecter les lois de programmation et qu’il fallait commencer par de très hauts niveaux, par une hausse rapide. » L’avenir leur donnera-t-il raison ? Réponse en octobre.
Pour aller plus loin