Face aux attaques de Donald Trump contre la science, les chercheurs américains ou établis aux Etats-Unis sont au plus mal. Dans ces conditions, la France est prête à devenir une terre d’accueil pour ces chercheurs en déshérences.
Auditionné mercredi par la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport du Sénat, le ministre chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Philippe Baptiste, a rappelé son souhait que les universités françaises leur ouvrent leurs portes. D’autant que le mouvement de départ est potentiellement massif. « Un article de Nature, il y a une quinzaine de jours, disait que 75 % des chercheurs résidant aux Etats-Unis envisageaient de quitter les Etats-Unis. Il y a une vraie rupture. C’est une véritable rupture partout dans le monde », souligne Philippe Baptiste.
« On aura quelques très grandes stars internationales qui vont vouloir venir, pour lesquels il faudra faire un effort »
« Au niveau national, plusieurs universités ont acté des dispositifs d’accueil, comme Aix-Marseille, PSL (Paris sciences & lettres, qui rassemble plusieurs universités et écoles, ndlr), Jussieu. Nous les soutiendrons, avec de l’argent additionnel qui sera mis en place pour les aider », affirme le ministre.
S’il ne « peut pas » encore dire combien de chercheurs seront accueillis, « l’ampleur de la demande est significative. A Aix-Marseille, ils ont reçu des centaines de candidatures. J’ai entendu la même chose pour PSL ». On trouve « pas mal de post doctorants qui sont là-bas depuis pas longtemps », « des gens de 35 ans qui n’ont pas encore de poste de full professor » (professeur titulaire), explique le ministre, évoquant pour ces chercheurs des financements « d’un million d’euros pendant trois ans, ce qui inclut la rémunération, leur équipe, leurs équipements ». Et « à côté de ça, on aura quelques très grandes stars internationales qui vont vouloir venir, pour lesquels il faudra faire un effort ad hoc, spécifique. Là, ce sera du cas par cas », ajoute Philippe Baptiste. Le dispositif détaillé « sera annoncé dans les semaines qui viennent, mais on sera en soutien avec de l’argent en plus », insiste le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
En parallèle, « au niveau européen, on a cosigné avec une quinzaine de pays un courrier au commissaire chargé de ces questions, sur notre capacité à accueillir les chercheurs établis aux Etats-Unis, qui voudraient venir en France » et en Europe. Le ministre « attend les premiers éléments de réponse du commissaire qui travaille sur cela ».
« Nous sommes aujourd’hui dans une situation que personne n’aurait imaginé »
Philippe Baptiste décrit un paysage devenu aux Etats-Unis plus qu’inquiétant pour le monde de la recherche. « Nous sommes aujourd’hui dans une situation que personne n’aurait imaginé. On se retrouve avec des pans entiers de la recherche menacés par la politique de l’administration américaine, avec non seulement des agences, qui ne sont peut-être pas fermées, mais réduites à proportion congrue. Je pense à NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration), qui travaille sur l’environnement, le climat et la météo, qui était une pépite américaine. Les coupes sont absolument considérables », dénonce le ministre français. « C’est aussi le cas au NIH (National Institutes of Health), l’équivalent de l’Inserm américain, qui se retrouve avec des coupes problématiques ».
Philippe Baptiste, qui a par ailleurs souligné son attachement aux « libertés académiques », est revenu sur la question des nombreuses bases de données, qui ont été supprimées sur des contenus liés à la diversité, à l’identité de genre, au climat ou à l’environnement. « Des bases de données nourries de données mondiales de la recherche de tous les pays du monde, sur une relation de confiance, parfois avec accords juridiques, parfois sans accord, qui ont nourri ces bases de données utilisées par tous les acteurs mondiaux. Et du jour au lendemain, vous vous retrouvez sans ces bases de données là. […] Partout dans le monde, l’émotion est très forte », alerte le ministre, scientifique de formation.
« Nous, Européens, avons probablement été un peu naïfs, sur ces questions des bases de données »
« Ça nous renvoie aussi à notre propre naïveté, rétrospectivement. Nous, Européens, avons probablement été un peu naïfs, sur ces questions. Ça nous arrangeait bien aussi, car une grande partie des investissements ont été faits par les Américains », souligne l’ancien patron du Centre national d’études spatiales (CNES). Pour Philippe Baptiste, « ça nous pose des questions sur notre autonomie stratégique en matière de données, sur notre capacité à stocker nous-même et être maître de nos données ». La recherche, encore un domaine de plus où les Européens doivent se remettre en cause depuis le retour au pouvoir de Donald Trump.