« L’électrochoc » promis par Gabriel Attal aux agriculteurs sera-t-il perçu comme tel ? Sur le terrain, le nouveau discours du Premier ministre semble accueilli avec prudence, comme en témoignent les premières réactions des principaux syndicats. Beaucoup restent sur leur faim, alors que l’opération visait à rassurer toute une progression avant l’ouverture d’un Salon de l’agriculture potentiellement à haut risque pour l’exécutif.
L’exercice a consisté pour l’essentiel à faire la revue de la mise en œuvre des engagements pris début février, notamment en matière de simplification, et Gabriel Attal a réitéré son ambition de faire figurer dans la loi l’agriculture au rang des « intérêts fondamentaux » du pays. Quelques nouveautés ont ponctué son discours, à savoir les annonces d’une nouvelle loi sur les relations commerciales entre distributeurs et fournisseurs, le choix d’un nouvel indicateur pour mesure l’utilisation des pesticides, ou encore un futur arrêté pour faciliter les embauches de travailleurs saisonniers.
Au Sénat, où les doutes s’étaient clairement manifestés la semaine dernière sur les voies de cette sortie de crise, la mayonnaise n’a visiblement pas encore pris. Le Premier ministre a pourtant donné des gages au palais du Luxembourg, en précisant ce mardi que la proposition de loi du sénateur Laurent Duplomb (LR), sur la compétitivité de la ferme France, avait été reprise aux « trois quarts » par son gouvernement. Manquant d’un texte en bonne et due forme pour pouvoir juger sur pièces, le parlementaire est pour l’heure méfiant. « Je n’ai rien de concret pour confirmer que les trois quarts de mon texte ont bien été repris. Et puis, je me méfie beaucoup en macronie de l’écriture des textes. Au début d’une phrase on peut se sentir écouté, mais la fin de la phrase peut donner tout autant de gages à ceux qui demandent tout le contraire », doute le sénateur de la Haute-Loire.
« On a assisté à un replay de la dernière conférence de presse »
Le chef de file de la droite sénatoriale sur les questions agricoles craint que la déclaration ne soit qu’une « punchline ». « Si le quart le plus important du texte a été oublié, alors c’est seulement de la com », lâche l’éleveur. Pour le reste, le sénateur demande à être davantage convaincu par ce qu’il qualifie un « exercice de communication ». « On a assisté à un replay de la dernière conférence de presse », résume-t-il.
À l’Union centriste, le sénateur Franck Menonville note des « annonces positives », tout en gardant la tête froide. « Ce qu’il faut, c’est un calendrier précis, et qu’on rentre dans des réalisations très concrètes. Je souhaite saluer les avancées, mais aussi prendre le temps d’analyser leur effectivité dans le temps. C’est notre rôle : il faut évidemment des mesures perceptibles immédiatement, mais il faut aussi que nous soyons accompagnateurs, en disant qu’il y a des chantiers qui vont nécessiter quelques mois », explique-t-il.
« Je ne suis pas sûr qu’il ait entendu le message des paysans dans la rue »
Sur les bancs de gauche, personne n’est emballé. « Je suis très dubitatif. Je ne suis pas sûr qu’il ait entendu le message des paysans dans la rue », accueille pour sa part Jean-Claude Tissot, lui aussi ancien agriculteur. Le sénateur socialiste estime que l’un des principales revendications reste le manque de revenus dans les exploitations. « Il faut ce qu’on m’explique ce qu’une ferme moyenne a gagné à la suite du discours du Premier ministre », s’exclame-t-il.
Pour soutenir les revenus de la profession et renforcer la logique d’une construction « ascendante » des prix, en partant des denrées agricoles, le gouvernement veut notamment renforcer sa lutte contre la concurrence déloyale, mais aussi déposer un nouveau texte au second semestre pour renforcer ou corriger les failles des lois « Egalim ». « Tout ce qui va dans le sens de l’amélioration du revenu des agriculteurs est bon à prendre. La priorité, c’est que les coûts de production soient vraiment pris en compte dans les prix des produits », encourage le sénateur Laurent Duplomb.
Pour Franck Menonville, cette annonce sonne comme un constat d’échec, après trois lois estampillées Egalim depuis 2018. « Bien évidemment c’est nécessaire, mais c’est surtout la preuve que depuis le début la loi Egalim ne fonctionne pas. Ce qu’il faut, c’est rééquilibrer le rapport de force, entre une grande distribution extrêmement concentrée – phénomène accentué par la loi de modernisation de l’économie (2008) – et les filières agricoles », appelle le sénateur de la Meuse.
« On ne devrait pas avoir besoin de mouvements d’agriculteurs pour faire respecter Egalim »
« S’il propose une nouvelle loi, il reconnaît implicitement que les précédentes ne valaient rien ou n’ont pas atteint leur objectif », s’étonne Jean-Claude Tissot. Aux côtés de Gabriel Attal, Bruno Le Maire a affiché la détermination de l’Etat à faire respecter « l’ordre économique » et sanctionner les industriels et distributeurs qui ne joueraient pas les règles du jeu. Depuis quelques semaines, les contrôles de la DGCCRF se sont intensifiés, à la demande du gouvernement, et des amendes commencent à tomber. « Heureusement qu’il y a des contrôles, je suis étonné qu’il n’y ait pas eu plus jusqu’ici », s’écrie le sénateur. Régulièrement, son groupe tire la sonnette d’alarme lors des débats budgétaires sur le nombre d’agents de l’Etat au sein de la DGCCRF.
Laurent Duplomb formule les mêmes remarques. « On ne devrait pas avoir besoin de mouvements d’agriculteurs pour faire respecter cela. Une fois la crise retombée, il ne faudrait pas non plus que tous ces contrôles cessent, sinon les distributeurs recommenceront : chassez le naturel et il revient au galop ! » Le sénateur LR doute également de l’efficacité des objectifs fixés par la loi Egalim, celle d’une obligation de 50 % produits bio ou de qualité dans la restauration collective. Gabriel Attal souhaite une conférence avec les collectivités locales pour accélérer le mouvement dans les cantines. « Au lieu d’être dans une idéologie écologiste, il faudrait mettre des produits français. Qu’on arrête les injonctions contradictoires en faisant d’un côté la promotion de l’agriculture française et de l’autre en acceptant que les cantines servent des produits bio venus de Pologne », appelle le sénateur.
« Le levier qui doit être activité, c’est les charges »
Sur beaucoup de sujets, la majorité sénatoriale ne se satisfera pas des réponses actuelles. « Au-delà de la loi Egalim, on n’est jamais totalement maître de ses prix et des marchés, on le voit actuellement. Le levier qui doit être activité, et sur lequel il y a encore sans doute, des possibilités d’amélioration, c’est de jouer sur les charges et la compétitivité, pour redonner des marges de manouvre à la ferme France », insiste Franck Menonville. « Pour moi, ce doit être la colonne vertébrale de la prochaine loi d’orientation agricole ». La pérennisation des exonérations patronales pour l’emploi de travailleurs occasionnels agricoles (TO-DE) fait partie de ses points de satisfaction. Le gouvernement a fixé un rendez-vous lors des prochains textes budgétaires.
Sur un autre volet, celui des mesures de simplification et de normes environnementales, le discours du gouvernement inquiète à gauche. « La France entre dans le XXIe siècle à marche arrière. On fait des retours sur des choses qui étaient acquises », relève Jean-Claude Tissot, qui estime que le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, « tient le crayon du Premier ministre ». « J’ai l’impression qu’on est toujours totalement hors sol, sur des rustines. Comme il n’y en avait pas assez on met des bandages supplémentaires, mais il n’y a aucune remise en cause d’un modèle agricole, aucun bilan n’est fait sur ce modèle et ses problématiques », reproche également le président du groupe écologiste Guillaume Gontard.
Reste aussi une inconnue sur la ligne directrice du gouvernement, celle d’une souveraineté alimentaire, érigée « d’intérêt général » dans les prochains mois dans le projet de loi agricole. « Quels indicateurs allons-nous utiliser pour mesurer qu’on a gagné en souveraineté ? Quels objectifs de souveraineté se donne-t-on et à atteindre en combien de temps ? » s’interroge Laurent Duplomb.