Standard & Poor’s cuts China’s credit rating

Tout comprendre aux agences de notation financière en cinq questions

L’agence Standard & Poor’s doit publier ce vendredi soir son évaluation de la dette française, une notation particulièrement redoutée dans la mesure où elle intervient un mois seulement après la note en baisse attribuée par un autre géant du secteur à la France, l’agence Fitch Ratings. Si les agences de notation financière disposent d’un pouvoir d’influence considérable, leurs appréciations sont sujettes à contestation et leur impact sur les marchés régulièrement critiqué.
Romain David

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Elles ont longtemps fait la pluie et le beau temps sur les marchés financiers, à coups de triple A, de « + » ou de « – ». Les agences de notation financière évaluent la fiabilité financière d’une entreprise, d’un Etat, d’une ville ou de toute autre collectivité. Elles servent d’indicateur sur la solvabilité de ces différentes entités, c’est-à-dire sur leur capacité à rembourser les dettes contractées au regard de leur performance économique. Ce vendredi 2 juin, l’agence américaine Standard & Poor’s (S & P) doit rendre son verdict sur la dette publique de la France, une évaluation particulièrement attendue du côté de Bercy et des investisseurs, dans la mesure où l’entreprise Fitch Ratings a déjà abaissé fin avril d’un cran la note française, la faisant passer de « AA » à « AA- ». Une annonce qui n’est pas sans répercussion politique ; quelques jours plus tard, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a été à plusieurs reprises tancé par les parlementaires lors des questions d’actualité au gouvernement : « Reconnaissez que votre politique n’est pas seulement injuste, elle manque aussi d’efficacité et elle crée de l’inquiétude », lui a notamment lancé le sénateur socialiste Rémi Féraud, secrétaire de la commission des finances.

Comment sont apparues les agences de notation ?

Outre Standard & Poor’s et Fitch Ratings, un troisième nom revient régulièrement dans l’actualité, celui de l’agence Moody’s, américaine comme les deux autres. Elles écrasent à elles trois le secteur de la notation financière, si bien que l’on a pu parler à leur égard d’oligopole : la domination d’un marché par un très petit nombre de prestataires, ce qui, par voie de conséquence, confère à ces différents acteurs une influence considérable. Les premiers bureaux de notation sont apparus outre-Atlantique après la Krach boursier de 1929. « L’importance des marchés financiers anglo-saxons et des entreprises internationales anglo-saxonnes depuis les années 1960, qui ont besoin d’avoir accès à ce type d’information, explique que les Anglo-saxons soient très bien placés sur le marché des agences de notation. Mais il faut noter que tous les pays occidentaux disposent d’agences de notation », indique Sylvie Matelly, économiste et directrice adjointe de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), dans une vidéo publiée sur le compte Youtube de ce think tank. « Elles sont également devenues une forme d’expression du soft power américain », abonde auprès de Public Sénat Rémi Burgeot, économiste et chercheur associé à l’IRIS.

En 2012, un rapport du Sénat consacré aux agences de notation dénombrait environ 130 agences à travers le monde, pour certaines attachées à des secteurs bien particuliers. Elles sont en revanche très peu nombreuses à proposer des notations de dette souveraine.

Longtemps, ces agences ont été payées par des commanditaires, c’est-à-dire les organismes qui se servaient des notations émises pour pouvoir placer leur argent. Désormais, ce sont les entités notées qui rétribuent les agences de notation, de là un risque de conflit d’intérêts régulièrement dénoncé par les détracteurs de ce système. Néanmoins, les notations d’Etat se font généralement à titre gracieux, par l’importance de ces acteurs financiers. Le fonds de commerce des agences de notation financière reste donc principalement les entreprises et le secteur privé.

De quelle manière procèdent les agences pour noter les dettes souveraines ?

Le règlement européen du 16 septembre 2009 contraint les agences de notation à rendre publique leur méthodologie et les données utilisées. « Chaque agence ayant élaboré sa propre méthodologie de notation, qui relève d’un ‘secret de fabrication’, seuls les aspects méthodologiques les plus généraux sont rendus publics. Les régulateurs – Autorité européenne des marchés financiers en Europe, Securities and Exchange Commission aux États-Unis – n’ont pas de droit d’ingérence dans le contenu des notations de crédit et les méthodes », relève toutefois le Sénat.

Les analyses s’appuient sur les données de suivi d’évolution de la dette, bien souvent publiques dans les pays développés – en France elles sont mises à jour par l’Agence France Trésor, sous l’autorité du ministère de l’Economie -, la balance recettes-dépenses, ou encore les réformes structurelles et économiques en œuvre ou à venir. « Avant la crise de 2008, les agences de notation s’appuyaient presque exclusivement sur les indicateurs de la dette, mais depuis, elles intègrent aussi à leurs calculs des critères macro-économiques », relève Rémi Burgeot.

Elles peuvent également tenir compte du contexte social et politique, notamment en période électorale ou de crise gouvernementale. Ainsi, dans le communiqué publié par Fitch Ratings en avril, après avoir abaissé la note de la France, l’agence fait explicitement référence au blocage du pays lié à la réforme des retraites : « Fitch estime que les tensions sociales et politiques qui s’expriment à travers la contestation contre la réforme des retraites compliqueront l’assainissement budgétaire. Le gouvernement d’Emmanuel Macron a perdu sa majorité lors des élections législatives de juillet 2022 et a contourné un vote à l’Assemblée nationale en utilisant l’article 49.3 de la Constitution pour faire adopter la réforme controversée des retraites. Cette décision a conduit à des manifestations et des grèves dans l’ensemble du pays, et risque de renforcer les extrêmes. L’impasse politique et les mouvements sociaux (parfois violents) constituent un risque pour le programme de réformes d’Emmanuel Macron et pourraient créer des pressions en faveur d’une politique budgétaire plus expansionniste, voire d’un renversement des réformes précédentes. » Ici, le communiqué prend la tonalité d’un avertissement qui invite, implicitement, le gouvernement français à adapter sa politique en conséquence.

Comment fonctionne le système de notation ?

La grille d’évaluation diffère selon les agences, mais Standard & Poor’s, Fitch Ratings et Moody’s utilisent des notes en forme de lettres, parfois accompagnées d’un signe « + » ou « – », ou bien des chiffres « 1 » ou « 2 ». Le « AAA » correspond à une dette « de première qualité » et à un excellent niveau de solvabilité. En clair : les investisseurs peuvent dormir sur leurs deux oreilles, dans ces conditions le risque de perdre les sommes prêtées est quasi nul. Inversement, au bas de l’échelle on trouve la note « D » – Moody’s de son côté s’arrête au « C » – qui équivaut au défaut de paiement.

La France continue de figurer parmi les pays les mieux classés : « AA2 » chez Moody’s ; « AA- » chez Fitch Ratings et, au moins jusqu’à ce vendredi 2 juin, « AA » chez Standard & Poor’s. Ces trois notes équivalent à une dette dite « de haute qualité », avec un risque d’insolvabilité particulièrement faible. Sur le continent européen, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suisse et le Danemark caracolent en tête des classements avec une note « AAA ». En revanche, des pays comme le Portugal et l’Italie se sont vus affligés d’un triple « B » pour une dette jugée de « qualité moyenne inférieure ».

Quelle est la conséquence de l’abaissement de la note financière d’un Etat ?

L’abaissement d’une note s’accompagne généralement d’une remontée des taux d’intérêt. Ce mécanisme n’a rien de réglementaire, il s’agit plutôt d’une relation de cause à effet ; les investisseurs se montreront plus frileux à acheter de la dette si les capacités de remboursement d’un Etat ou d’une entreprise sont sujettes à questionnements. Notons toutefois que certaines structures, comme les compagnies d’assurances ou les fonds de pension, sont soumises à des règles de détention d’obligations et de titres qui intègrent les notations financières des agences.

Dès lors, les acteurs qui acceptent encore de s’engager pourront vouloir sécuriser leur investissement en imposant à l’emprunteur des taux plus élevés. « Les notes émises par les agences ont un effet avéré sur le prix des obligations mais aussi sur celui des actions. Les notes émises constituent un élément explicatif du prix des actifs financiers, dans un sens conforme à l’intuition : une dégradation de la note pèse sur le prix de la dette, et sur le cours des actions, tandis qu’un rehaussement de la note produit l’effet inverse », relève le rapport du Sénat.

En bout de chaîne, cet engrenage peut aussi entraîner des conséquences sur le financement des politiques publiques et la capacité d’un Etat à assainir ses finances puisque son aptitude à réformer, et donc sa marge de manœuvre, s’en trouve généralement réduite. C’est la raison pour laquelle les agences de notations se voient régulièrement accusées de contribuer à entretenir des situations de crise, voire de les déclencher en affolant les marchés avec une dégradation de note. Ainsi, le cas de la Grèce durant la crise financière de 2008 est largement cité à titre d’exemple dans le rapport sénatorial de 2012 : « Les agences semblent avoir péché par excès d’optimisme pendant les années 2000, ce qui les a contraintes, une fois que la crise a éclaté, à dégrader brutalement leurs notations, ce qui a eu pour effet d’aggraver encore les difficultés des États européens endettés », pointe ce document. En avril 2010, Standard and Poor’s abaisse brusquement de trois crans la note grecque pour la faire passer dans la catégorie « spéculative ». Cette chute s’explique aussi parce qu’Athènes avait dissimulé la réalité de son endettement. Mais en face, la Banque centrale européenne (BCE) s’est montrée beaucoup plus frileuse à accepter des obligations aussi mal notées.

« Si les taux d’intérêt sont censés être affectés par la notation, une dégradation n’a pas beaucoup d’impact dans les pays riches, puisqu’elle excède rarement un ou deux crans. Les marchés anticipent généralement ces baisses, et bien souvent les titres d’Etat restent un placement refuge aux yeux des investisseurs », nuance Rémi Burgeot.

Les notations sont-elles infaillibles ?

Si les notations financières font office de marqueurs sur les marchés, et sont généralement prises en référence par les investisseurs, il ne s’agit pas d’une donnée strictement factuelle. « Nous sommes devant une évaluation humaine, dont la pertinence des critères évolue avec le temps », souligne encore Rémi Burgeot. En 2011, Washington a vivement contesté la dégradation de la note des Etats-Unis par Standard and Poor’s. Les projections de l’agence quant à l’évolution du déficit américain étant loin de correspondre à celles du Trésor. Et pour cause : elles ne s’appuyaient pas sur les mêmes données chiffrées.

La faillite retentissante de Lehman Brothers en septembre 2008, devant laquelle les principales agences de notation sont restées aveugles, constitue un cas intéressant d’erreur d’appréciation : ces dernières avaient jugé inconcevable que l’Etat fédéral américain n’intervienne pas pour maintenir à flot une banque dont la chute allait avoir des conséquences sur l’ensemble de l’économie mondiale. La notation financière ne se résume pas à de simples formules mathématiques, il s’agit aussi d’un calcul de probabilité, une forme de prévision dont la pertinence varie selon les circonstances.

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