« Il n’y a pas d’alternative à la Chine ». Ces quelques mots ont été prononcés à plusieurs reprises par les professionnels du cognac et de l’armagnac ce mercredi 30 octobre. Ils étaient auditionnés par la commission des Affaires économiques du Palais du Luxembourg suite aux surtaxes chinoises de 30 à 39 % sur les spiritueux européens. Cette mesure est une contre-attaque à la guerre commerciale qui l’oppose à l’Union européenne. Elle est tombée le 8 octobre, soit cinq jours après la décision de Bruxelles de surtaxer jusqu’à 35 % les véhicules électriques chinois.
De quoi porter un coup sévère à la viticulture française, particulièrement visée par la rétorsion de Pékin. D’autant plus qu’elle est déjà touchée par une baisse de consommation depuis le covid. « Le danger est de taille. Après les Etats-Unis, la Chine est le deuxième marché d’exportation des spiritueux français. Ça représente un montant de 1,7 million de dollars en 2023 », rappelle Dominique Estrosi Sassonne, présidente de la commission des Affaires économiques.
« On ne peut pas sacrifier le cognac et l’armagnac pour des produits industriels »
Sophie Primas, ministre déléguée en charge du commerce extérieur, tentera de leur sauver la mise. L’ancienne vice-présidente du Sénat arrive lundi 4 octobre à Shanghai. Officiellement, elle se rend à la foire China international import expo (CIIE), ou 130 entreprises françaises sont présentes. Mais ça sera aussi l’occasion de rencontrer son homologue chinois, Wang Wentao. Avec pour objectif de le convaincre de supprimer les surtaxes douanières sur les spiritueux. Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre et sénateur, devrait aussi être du voyage.
Devant les élus, les organisations représentatives acquiescent : il faut discuter avec la Chine. « La diplomatie est la seule voie possible. On ne peut pas sacrifier le cognac et l’armagnac pour des produits industriels qui ne seront plus là demain. Nous, on sera toujours là après les véhicules électriques », lance Florent Morillon, président du bureau national interprofessionnel du cognac (BNIC). Et de poursuivre : « Nous ne demandons pas d’argent. Nous demandons simplement de pouvoir poursuivre notre commerce comme on le fait depuis 300 ans et de continuer à faire rayonner la France dans le monde ».
97 % du cognac français est exporté
L’export est incontournable pour ces filières. Dans l’hexagone, 97 % de la production de cognac part à l’étranger. C’est plus de 50 % pour l’armagnac. « Aucune alternative existe », assure Nicolas Ozanam, délégué général de la fédération des exportateurs de vins et spiritueux. « La Chine, comme les Etats-Unis, sont des pays continents et ne peuvent pas être suppléés par d’autres marchés. Il est absolument déterminant d’y rester implanté et de construire des partenariats commerciaux dans la durée », poursuit-il. La situation aux Etats-Unis inquiète aussi les professionnels. En 2021, Donald Trump avait généralisé une taxe à 25 % au cognac français. Ça faisait suite à un vieux litige entre Airbus et Boeing. Depuis, elle a simplement été suspendue. « Il est possible qu’on revienne vous voir demain pour les mêmes raisons, mais cette fois-ci, à cause des Etats-Unis », anticipe Florent Morillon, président du BNIC, à quelques jours des élections américaines.
Contourner la sanction chinoise et la crainte américaine en se repliant sur la France ? Impossible selon les professionnels. L’hexagone représente seulement 3 % des ventes de cognac français. Ce qui équivaut à près de quatre millions de bouteilles par an. « La France est tout de même notre sixième marché », souligne Florent Morillon. Le Royaume-Uni et l’Allemagne sont respectivement le quatrième et cinquième. Du coté de l’Armagnac, la France achète la moitié de sa production totale, soit 2 millions de bouteilles par an.
Des commandes chinoises annulées
Si la surtaxe chinoise a pris effet il y a moins de trois semaines, les conséquences se font déjà ressentir pour l’armagnac. « Parmi les grandes maisons, Laubade a vu une commande chinoise de 150 000 euros annulée, Delord une commande de 200 000 euros et des acheteurs de la famille Dartigalongue lui on dit qu’ils allaient se replier sur le whisky », indique Jérôme Delord, président du bureau national interprofessionnel de l’armagnac. Pour le cognac, la chute pourrait aussi être rude. 32 millions de bouteilles ont été expédiées vers l’Empire du milieu l’année dernière, soit 20 % de ses débouchés en volume et 23 % en valeur.
Retrouver de bonnes relations avec la Chine sera d’autant plus compliqué que ces derniers se sont rués dans les maisons de cognac pour alimenter leur enquête anti-dumping. « On a dû fournir des milliers de pages aux autorités chinoises. On est même allé à Pékin pour répondre à une audition qui était une grande mascarade », s’agace Florent Morillon. Et de poursuivre : « Nous avons dépensé des millions d’euros pour nous défendre de quelque chose dont nous sommes complètement innocents ».
Cette tension s’inscrit dans une crise beaucoup plus conjoncturelle pour le monde viticole. Depuis les années 1960, la consommation de vin et spiritueux a chuté de 60 %. « C’est notre histoire la viticulture, notre patrimoine et notre environnement. Il ne faut pas la laisser plonger », s’inquiète Daniel Laurent, viticulteur et président du groupe vigne-vin au Sénat. « On a été porté par un regain économique depuis près de quinze ans. On a augmenté nos ventes de près de 30 ou 40 % et on a redimensionné nos vignobles pour répondre à ces besoins. Mais la pandémie de covid est arrivée et ça a tout plombé », explique Anthony Brun, membre du bureau national interprofessionnel du cognac. Et de conclure : « Aujourd’hui, avec la Chine, on perd notre deuxième marché. Si rien n’est fait, le marasme va être catastrophique ».