Le sénateur LR Jean-François Husson estime qu’il faut « aller vite sur la loi spéciale » et ensuite « se remettre au travail rapidement » pour doter la France d’un budget.
Taxer les rentes : à quoi pense le gouvernement ?
Par Simon Barbarit
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A la recherche de plusieurs milliards pour combler le déficit public qui s’élève à 5,5 % du PIB au lieu des 4,9 % initialement prévus, Gabriel Attal a annoncé la mise en place d’un groupe de travail pour réfléchir à la « taxation des rentes ». La mission composée d’élus de la majorité, Nadia Hai pour le groupe Renaissance, Jean-Paul Mattei pour le Modem et un député Horizons, sera conduite par le rapporteur général du budget, le député Renaissance Jean-René Cazeneuve. Elle doit rendre ses préconisations d’ici le mois de juin.
Le flou entourant le terme « rente » pouvait dans un premier temps laisser croire que les classes moyennes allaient être concernées. Du plus mauvais effet alors que le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire s’échine à répéter que le gouvernement ne ferait pas des économies « en allant piocher dans la poche des Français ». Le Premier ministre a donc fermé quelques pistes devant les députés, mercredi dans l’hémicycle. Il ne s’agira pas de toucher « comme je peux le lire ici ou là, au Livret A ou à l’épargne des Français », a-t-il assuré.
« Le gouvernement tente et de gagner du temps d’ici les Européennes »
Ces propositions se feront « dans la même logique » que la « contribution sur la rente infra-marginale des énergéticiens et des pétroliers » ou la taxation des « profits indus », que la majorité a « assumé » de mettre en place sur « les revenus des grands laboratoires de biologie médicale qui pendant la crise Covid ont fait 7 milliards (d’euros) de chiffre d’affaires grâce aux tests Covid payés par la Sécurité sociale », a-t-il développé.
Le 27 mars sur Public Sénat, le ministre des Comptes publics, Thomas Cazenave avait déjà dit vouloir « revoir » le fonctionnement de la taxe sur les énergéticiens, qui n’a rapporté que 600 millions d’euros en 2023, là où l’exécutif comptait sur un rendement de 3 milliards d’euros. « On peut espérer un milliard d’euros supplémentaires en 2024 et on est prêts à y travailler avec les parlementaires. », expliquait-il.
« Par l’utilisation d’un terme aussi flou que ‘’rente’’, le gouvernement tente de noyer le poisson et de gagner du temps d’ici les Européennes. Gabriel Attal fait croire qu’il prend en compte la pression de l’opinion et d’une partie de sa majorité qui le pousse à renoncer à ce dogme du moins d’impôts en ce qui concerne les plus riches. Mais pour le moment, je ne pense pas que ça aille au-delà de mesures ponctuelles, comme cette taxe sur les énergéticiens. D’autant que le Premier ministre, s’est engagé à ne pas augmenter les impôts des entreprises », souligne le sénateur socialiste Rémi Féraud.
« Ça vire au supplice chinois pour les Français »
Selon les informations de la Dépêche du midi, les « gros » épargnants, multi-propriétaires fonciers ou grands investisseurs, pourraient aussi être ciblés. Du côté de la majorité sénatoriale, on accueille aussi d’un œil circonspect, la mise en place de ce groupe de travail sur les rentes, surtout si cela concerne les particuliers. « On va dire à des gens qui ont épargné toute leur vie pour leurs vieux jours, désolé, on a mal calculé le déficit, on va vous taxer un peu plus », s’agace le rapporteur du budget, Jean-François Husson (LR). « Ça montre une fois de plus l’amateurisme et l’impréparation du gouvernement face à la gravité de la situation. Le déficit public est abyssal, le plus grave de la Ve République, hors temps de crise, et le gouvernement ne sait pas par quel bout le prendre », ajoute-t-il. Le rapporteur général ne décolère pas de voir le Parlement mis à l’écart de l’état des lieux de la dégradation des finances publiques. Ce qui avait poussé la commission des finances du Sénat à utiliser son pouvoir de contrôle pour vérifier directement ces chiffres auprès du ministère de l’Économie (lire notre article). « Il y a un problème de méthode. D’abord nous devons savoir quelle est l’ampleur du déficit. Ensuite, est-ce que la trajectoire de la loi de programmation des finances publiques est toujours maintenue ? Ce ne sont pas les mêmes mesures à trouver si on parle d’un trou de 13 milliards ou de 27. Mais ces éléments ne sont pas partagés. Ça vire au supplice chinois pour les Français », s’insurge Jean-François Husson.
Gabriel Attal a indiqué que le gouvernement donnera la semaine prochaine « la trajectoire qui permettra d’atteindre les 3 % (du déficit) en 2027 ». Fin juin « on dira comment on y arrive, avec les recettes, et donc les conclusions de cette mission (sur la taxation des rentes), mais aussi avec les dépenses, et notamment les économies structurantes et intelligentes », a-t-il précisé.
« Il y a un débat sur la justice fiscale qui est en train de monter dans le pays »
Le sénateur communiste, Éric Bocquet juge lui aussi que ce groupe de travail sur la taxation des rentes est symptomatique « d’un gouvernement aux abois ». « L’exécutif a supprimé nombre d’impôts depuis 2017, l’ISF de la taxe d’habitation, la CVAE. Il a plafonné des dividendes, et il est en train de découvrir qu’il y a un déséquilibre budgétaire. Il y a un débat sur la justice fiscale qui est en train de monter dans le pays y compris au sein de la majorité dont certains veulent désormais taxer les superprofits. C’est tout l’édifice fiscal qu’il faut revoir en partant du principe du consentement à l’impôt, c’est-à-dire un impôt juste, progressif et équitable ». Éric Bocquet invite aussi à chercher des économies du côté des niches fiscales, un manque à gagner pour l’Etat de 94 milliards d’euros selon un rapport de la Cour des comptes.
« Il y a deux solutions. Mettre en place une taxation des superprofits et trouver un mécanisme de taxation, même provisoire, des gros patrimoines pour financer la transition énergétique », complète Rémi Féraud.
Dans le dernier budget, le gouvernement avait déjà prévu une taxe sur ce qu’on pourrait qualifier de rente. La nouvelle taxe sur « les infrastructures de transport de longue distance », vise les autoroutes et les aéroports, lorsque leurs revenus d’exploitation dépassent 120 millions d’euros et au-dessus d’un seuil de rentabilité de 10 % en moyenne sur 7 ans. Les recettes évaluées à 600 millions d’euros, sont censées financer le plan d’avenir pour les transports décarbonés. La taxe avait provoqué une levée de boucliers des sociétés concessionnaires d’autoroutes, mais aussi de certains sénateurs de la droite et du centre lors de l’examen du budget. Le sénateur LR, Albéric de Montgolfier avait mis en avant les répercussions de cette taxe sur les péages, sur les redevances aéroportuaires payés par les usagers.
Le groupe de travail devra donc veiller aux effets de bords de ces nouvelles taxes « sur les Français qui travaillent » et qu’il entend protéger.
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