Budget : que contient le projet de loi spéciale, présenté en Conseil des ministres ?
Le projet de loi spécial, prévu pour assurer le financement des services de l’État au 1er janvier, a été présenté ce mercredi en Conseil des ministres.
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L’ambiance n’était pas à la fête dans la salle de la commission des finances du Sénat, ce 6 mars. Pas de gâteau d’anniversaire pour Thomas Cazenave, qui fêtait aujourd’hui ses 46 ans. Le ministre des Comptes publics a plutôt eu droit une longue séance d’explication, parfois musclée, aux côtés de Bruno Le Maire, au sujet du décret du 22 février annulant 10 milliards d’euros d’engagements budgétaires. Signe que la question agite les parlementaires, les ministres de Bercy ont passé pas loin de cinq heures devant les députés, puis les sénateurs, pour justifier ce « frein d’urgence » budgétaire, et les choix difficiles à venir dans les prochains mois. Dans ce face-à-face inhabituel à cette période de l’année, alors que l’encre de la dernière loi de finances (votée par la voie du 49.3 fin décembre) est à peine sèche, des tensions ont émaillé la séance. Le mécontentement est croissant dans la commission des finances sénatoriales depuis février. Tour à tour, les rapporteurs thématiques sont intervenus pour s’enquérir des conséquences sur les programmes budgétaires respectifs dont ils assurent le suivi.
Il faut dire que la forme et le fond du décret ont fortement déplu au sein de la commission. Jean-François Husson (LR) disait plus tôt cet après-midi s’attendre à des débats « musclés ». Ce fut bien le cas. Le rapporteur général de la commission des finances a vidé son sac, dénonçant un « projet de loi de finances hors sol » ou encore la « fantaisie » des prévisions macroéconomiques du gouvernement dans le précédent budget, à un moment les inquiétudes montaient sur le ralentissement économique en Chine et en Allemagne.
Le gouvernement a dû revoir à la baisse, le mois dernier, sa prévision de croissance pour 2024, de 1,4 % à 1 %, en raison d’une dégradation de la conjoncture internationale. Bruno Le Maire s’est défendu des « accusations d’insincérité », en affirmant que le gouvernement était proche des estimations de la Commission européennes au moment du débat budgétaire, et que la France avait actualisé en février sa prévision de croissance au même moment que d’autres États européens.
Pour le ministre de l’Économie et des Finances, le décret d’annulation – inédit sous la Ve République en raison de son ampleur – était une décision « responsable », sachant que les recettes fiscales pour l’État ont été inférieures de 7,7 milliards d’euros à ce qui était prévu, ce qui « compromet » l’objectif d’un déficit à 4,9 % du PIB pour l’année 2023, selon Thomas Cazenave. « Il s’agit juste de prendre des décisions pour refroidir la machine, à un moment où les recettes sont moins élevées que prévu. C’est ce que font nos partenaires européens, je ne vois pas pourquoi la France se singulariserait en ne prenant pas ces décisions », a motivé Bruno Le Maire.
Outre ses alertes sur l’optimisme des prévisions de croissance, la droite sénatoriale a également une autre raison d’en vouloir à l’exécutif : elle avait inscrit sept milliards d’euros d’économies supplémentaires dans le budget 2024, un niveau inférieur aux coupes inscrites dans le décret d’annulation. « Vous nous avez accusés de brutalité, d’installer une trajectoire intenable, irresponsable […] Il faut arrêter de mépriser notre assemblée, le Sénat mérite d’être entendu », s’est écrié Jean-François Husson. Le matin même, le sénateur appelait déjà le gouvernement, dans les colonnes des Échos, à agir de façon moins solitaire.
Thomas Cazenave en a pris bonne note. « J’ai entendu l’appel du rapporteur général à ce qu’il y ait un travail plus rapproché. Sachez que nous sommes prêts. » Ayant le souci de renvoyer un message de « crédibilité », le gouvernement entend d’ailleurs « avancer » plus vite qu’à l’accoutumée sur la préparation du prochain projet de loi de finances. « Il y a urgence à rétablir sereinement, avec méthode, les comptes publics », a insisté Bruno Le Maire. Des initiatives pour préparer le prochain budget seront prises « dans les prochaines semaines », en direction des parlementaires. Le ministre des Comptes publics a indiqué que compte tenu des mauvaises nouvelles sur le front de la croissance et des recettes fiscales, ce ne serait non plus 12 milliards d’économies à trouver pour l’an prochain, mais désormais 20 milliards d’euros.
Le chiffre n’a pas manqué de faire réagir les sénateurs. « Aujourd’hui, trouver 10 milliards d’euros, c’est douloureux. Comment allez-vous trouver 20 milliards ? » s’est étonné le sénateur Albéric de Montgolfier (LR). Bruno Le Maire a précisé que l’exercice des revues de dépenses devrait « nous permettre de parvenir à ces économies supplémentaires ».
Pour rappel, le ministre de l’Économie et des Finances a ouvert les réflexions sur les domaines suivants : les aides aux entreprises, les dispositifs en faveur de la jeunesse, la politique de l’emploi, la formation professionnelle et l’apprentissage, les dispositifs médicaux, les affections de longue durée, les aides au cinéma, l’absentéisme dans la fonction publique, ou encore les mesures de « maîtrise de la loi de programmation militaire ».
Qu’il s’agisse du décret d’annulation ou du mouvement plus sévère qui se préfigure dans le projet de loi finances pour 2025, la gauche est montée au créneau pour dénoncer des décisions relevant de « l’austérité » budgétaire, selon elle. « Avec le coup de rabot, vous choisissez la contraction budgétaire, sans vous préoccuper de ses conséquences économiques et sociales », s’est opposée la sénatrice Isabelle Briquet (PS). « On est très loin de l’austérité. Les dépenses de l’État ont augmenté de 23 % entre 2019 et 2023. Ce n’est pas avec cette annulation que nous plaçons le pays dans une cure d’austérité », a rétorqué Thomas Cazenave. Ce dernier a également souligné que bon nombre de budgets, touchés par le décret d’annulation, restaient malgré tout en augmentation sur un an, comme « Ma Prime Rénov’ ». Ou encore que les schémas d’emploi dans l’Education nationale ou les ministères régaliens n’étaient « pas remis en question ». « Les économies que nous faisons sur la masse salariale sont liées à des sous-exécutions l’an dernier. On regarde leur impact sur 2024 », a-t-il détaillé.
Le sénateur écologiste Grégory Blanc a, quant à lui, questionné la « doxa de la stabilité fiscale » du gouvernement. « Face à la hausse des températures, on change de monde, la fiscalité va donc forcément devoir s’adapter. » « Il serait irresponsable de céder à cette facilité. L’augmentation des impôts est le masque du manque de courage pour réduire la dépense », a martelé Bruno Le Maire, rappelant que la France était en tête des pays développés dans le taux de prélèvements obligatoires.
Les pistes d’économie du ministre de l’Économie, évoquées dans Le Monde, ont fait fortement réagir. Notamment dans cette déclaration : « Est-il possible de continuer à dépenser 5,7 milliards d’euros par an pour le transport médical des patients ? » L’idée a fait bondir le sénateur communiste Pascal Savoldelli, qui s’est engagé dans un échange vif avec le ministre qu’il a qualifié de « libéral et autoritaire ». « J’ai vu des directeurs d’hôpitaux, des responsables de services d’urgence qui en ont ras le bol de payer des bons de transport à des personnes qui pourraient parfaitement payer leur transport » : Bruno Le Maire « persiste et signe ».
Sa volonté de placer l’assurance chômage dans le giron de l’État a également surpris dans l’assistance. « Je ne comprends pas pourquoi vous en voulez tant aux partenaires sociaux, qui ont été toujours responsables dans la gestion de l’assurance chômage », s’est étonnée la sénatrice LR Marie-Claire Carrère-Gée. Bruno Le Maire s’est défendu en expliquant qu’il s’agissait d’une « conviction personnelle de longue date ». « Ce n’est pas du tout une critique des partenaires sociaux. J’estime que la responsabilité des chômeurs, c’est l’État, la responsabilité des salariés, ce sont les partenaires sociaux. »
Si le gouvernement se targue de montrer « l’exemple » avec 10 milliards d’euros d’économies sur le seul budget de l’État en février, les deux ministres ont rappelé que l’effort devrait être « partagé par tous », y compris donc par la Sécurité sociale et les collectivités territoriales. Dans la chambre des territoires, l’interrogation n’a pas tardé : « À quelle sauce allez-vous manger les collectivités territoriales », a lancé le sénateur centriste Hervé Maurey. « Est-ce qu’il faut que les collectivités territoriales participent ? Oui, mais ça ne peut se faire que s’il y a un débat entre nous », a fait valoir Bruno Le Maire, invitant toutes les parties prenantes à se réunir autour de la table du Haut conseil des finances publiques locales. « Cela fait six fois que je fais des propositions, six fois qu’on me dit que ce n’est pas possible. Je proposerai une septième date. J’espère que les collectivités accepteront d’être autour d’une même table ».
Le ministre ne s’est pas arrêté là, à la faveur d’une question lancée par Christian Bilhac (PRG), qui s’est demandé s’il n’y avait « pas trop de strates en France ». « Envisagez-vous de supprimer des ministères, des opérateurs ? » a-t-il invité. « Oui, cela ne me pose aucun problème », a répondu sans ambages Bruno Le Maire. Il s’est aussi dit « prêt » à débattre d’une simplification des « strates locales ». « Je suis convaincu que l’accumulation de strates administratives comme locales a un coût vertigineux ».
Sermonné par le président de la commission des finances, qui appelait à revenir dans le cadre « normal » que doivent être les lois de finances pour trancher les questions budgétaires, Bruno Le Maire s’est engagé à ce que les « prochaines économies » soient « débattues ». « Elles feront l’objet d’un projet de loi de finances, rectificative, ou pas. » À ce stade de l’année, le ministre n’est cependant « pas en mesure » de dire s’il y a besoin d’un « nouvel ajustement » budgétaire, susceptible de provoquer le dépôt d’un projet de loi de finances rectificative « à l’été ».
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