Sur le grill des sénateurs, Bruno Le Maire défend ses coupes budgétaires
Une vive séance d’explications a opposé la commission des finances du Sénat à Bruno Le Maire et Thomas Cazenave ce 6 mars. Les deux hommes de Bercy se sont défendus de toute austérité ou insincérité budgétaire. Un débat sur des premières idées sur le budget 2025, où 20 milliards d’euros d’économies doivent désormais être dégagées, ont par ailleurs marqué la séance.
L’ambiance n’était pas à la fête dans la salle de la commission des finances du Sénat, ce 6 mars. Pas de gâteau d’anniversaire pour Thomas Cazenave, qui fêtait aujourd’hui ses 46 ans. Le ministre des Comptes publics a plutôt eu droit une longue séance d’explication, parfois musclée, aux côtés de Bruno Le Maire, au sujet du décret du 22 février annulant 10 milliards d’euros d’engagements budgétaires. Signe que la question agite les parlementaires, les ministres de Bercy ont passé pas loin de cinq heures devant les députés, puis les sénateurs, pour justifier ce « frein d’urgence » budgétaire, et les choix difficiles à venir dans les prochains mois. Dans ce face-à-face inhabituel à cette période de l’année, alors que l’encre de la dernière loi de finances (votée par la voie du 49.3 fin décembre) est à peine sèche, des tensions ont émaillé la séance. Le mécontentement est croissant dans la commission des finances sénatoriales depuis février. Tour à tour, les rapporteurs thématiques sont intervenus pour s’enquérir des conséquences sur les programmes budgétaires respectifs dont ils assurent le suivi.
Il faut dire que la forme et le fond du décret ont fortement déplu au sein de la commission. Jean-François Husson (LR) disait plus tôt cet après-midi s’attendre à des débats « musclés ». Ce fut bien le cas. Le rapporteur général de la commission des finances a vidé son sac, dénonçant un « projet de loi de finances hors sol » ou encore la « fantaisie » des prévisions macroéconomiques du gouvernement dans le précédent budget, à un moment les inquiétudes montaient sur le ralentissement économique en Chine et en Allemagne.
« Il s’agit juste de prendre des décisions pour refroidir la machine », motive le gouvernement
Le gouvernement a dû revoir à la baisse, le mois dernier, sa prévision de croissance pour 2024, de 1,4 % à 1 %, en raison d’une dégradation de la conjoncture internationale. Bruno Le Maire s’est défendu des « accusations d’insincérité », en affirmant que le gouvernement était proche des estimations de la Commission européennes au moment du débat budgétaire, et que la France avait actualisé en février sa prévision de croissance au même moment que d’autres États européens.
Pour le ministre de l’Économie et des Finances, le décret d’annulation – inédit sous la Ve République en raison de son ampleur – était une décision « responsable », sachant que les recettes fiscales pour l’État ont été inférieures de 7,7 milliards d’euros à ce qui était prévu, ce qui « compromet » l’objectif d’un déficit à 4,9 % du PIB pour l’année 2023, selon Thomas Cazenave. « Il s’agit juste de prendre des décisions pour refroidir la machine, à un moment où les recettes sont moins élevées que prévu. C’est ce que font nos partenaires européens, je ne vois pas pourquoi la France se singulariserait en ne prenant pas ces décisions », a motivé Bruno Le Maire.
Outre ses alertes sur l’optimisme des prévisions de croissance, la droite sénatoriale a également une autre raison d’en vouloir à l’exécutif : elle avait inscrit sept milliards d’euros d’économies supplémentaires dans le budget 2024, un niveau inférieur aux coupes inscrites dans le décret d’annulation. « Vous nous avez accusés de brutalité, d’installer une trajectoire intenable, irresponsable […] Il faut arrêter de mépriser notre assemblée, le Sénat mérite d’être entendu », s’est écrié Jean-François Husson. Le matin même, le sénateur appelait déjà le gouvernement, dans les colonnes des Échos, à agir de façon moins solitaire.
Thomas Cazenave en a pris bonne note. « J’ai entendu l’appel du rapporteur général à ce qu’il y ait un travail plus rapproché. Sachez que nous sommes prêts. » Ayant le souci de renvoyer un message de « crédibilité », le gouvernement entend d’ailleurs « avancer » plus vite qu’à l’accoutumée sur la préparation du prochain projet de loi de finances. « Il y a urgence à rétablir sereinement, avec méthode, les comptes publics », a insisté Bruno Le Maire. Des initiatives pour préparer le prochain budget seront prises « dans les prochaines semaines », en direction des parlementaires. Le ministre des Comptes publics a indiqué que compte tenu des mauvaises nouvelles sur le front de la croissance et des recettes fiscales, ce ne serait non plus 12 milliards d’économies à trouver pour l’an prochain, mais désormais 20 milliards d’euros.
Le chiffre n’a pas manqué de faire réagir les sénateurs. « Aujourd’hui, trouver 10 milliards d’euros, c’est douloureux. Comment allez-vous trouver 20 milliards ? » s’est étonné le sénateur Albéric de Montgolfier (LR). Bruno Le Maire a précisé que l’exercice des revues de dépenses devrait « nous permettre de parvenir à ces économies supplémentaires ».
Pour rappel, le ministre de l’Économie et des Finances a ouvert les réflexions sur les domaines suivants : les aides aux entreprises, les dispositifs en faveur de la jeunesse, la politique de l’emploi, la formation professionnelle et l’apprentissage, les dispositifs médicaux, les affections de longue durée, les aides au cinéma, l’absentéisme dans la fonction publique, ou encore les mesures de « maîtrise de la loi de programmation militaire ».
« On est très loin de l’austérité », rétorque le gouvernement face aux critiques de la gauche
Qu’il s’agisse du décret d’annulation ou du mouvement plus sévère qui se préfigure dans le projet de loi finances pour 2025, la gauche est montée au créneau pour dénoncer des décisions relevant de « l’austérité » budgétaire, selon elle. « Avec le coup de rabot, vous choisissez la contraction budgétaire, sans vous préoccuper de ses conséquences économiques et sociales », s’est opposée la sénatrice Isabelle Briquet (PS). « On est très loin de l’austérité. Les dépenses de l’État ont augmenté de 23 % entre 2019 et 2023. Ce n’est pas avec cette annulation que nous plaçons le pays dans une cure d’austérité », a rétorqué Thomas Cazenave. Ce dernier a également souligné que bon nombre de budgets, touchés par le décret d’annulation, restaient malgré tout en augmentation sur un an, comme « Ma Prime Rénov’ ». Ou encore que les schémas d’emploi dans l’Education nationale ou les ministères régaliens n’étaient « pas remis en question ». « Les économies que nous faisons sur la masse salariale sont liées à des sous-exécutions l’an dernier. On regarde leur impact sur 2024 », a-t-il détaillé.
Le sénateur écologiste Grégory Blanc a, quant à lui, questionné la « doxa de la stabilité fiscale » du gouvernement. « Face à la hausse des températures, on change de monde, la fiscalité va donc forcément devoir s’adapter. » « Il serait irresponsable de céder à cette facilité. L’augmentation des impôts est le masque du manque de courage pour réduire la dépense », a martelé Bruno Le Maire, rappelant que la France était en tête des pays développés dans le taux de prélèvements obligatoires.
Les pistes d’économie du ministre de l’Économie, évoquées dans Le Monde, ont fait fortement réagir. Notamment dans cette déclaration : « Est-il possible de continuer à dépenser 5,7 milliards d’euros par an pour le transport médical des patients ? » L’idée a fait bondir le sénateur communiste Pascal Savoldelli, qui s’est engagé dans un échange vif avec le ministre qu’il a qualifié de « libéral et autoritaire ». « J’ai vu des directeurs d’hôpitaux, des responsables de services d’urgence qui en ont ras le bol de payer des bons de transport à des personnes qui pourraient parfaitement payer leur transport » : Bruno Le Maire « persiste et signe ».
Sa volonté de placer l’assurance chômage dans le giron de l’État a également surpris dans l’assistance. « Je ne comprends pas pourquoi vous en voulez tant aux partenaires sociaux, qui ont été toujours responsables dans la gestion de l’assurance chômage », s’est étonnée la sénatrice LR Marie-Claire Carrère-Gée. Bruno Le Maire s’est défendu en expliquant qu’il s’agissait d’une « conviction personnelle de longue date ». « Ce n’est pas du tout une critique des partenaires sociaux. J’estime que la responsabilité des chômeurs, c’est l’État, la responsabilité des salariés, ce sont les partenaires sociaux. »
Bruno Le Maire se dit prêt à ouvrir le débat sur une « simplification » du millefeuille territorial
Si le gouvernement se targue de montrer « l’exemple » avec 10 milliards d’euros d’économies sur le seul budget de l’État en février, les deux ministres ont rappelé que l’effort devrait être « partagé par tous », y compris donc par la Sécurité sociale et les collectivités territoriales. Dans la chambre des territoires, l’interrogation n’a pas tardé : « À quelle sauce allez-vous manger les collectivités territoriales », a lancé le sénateur centriste Hervé Maurey. « Est-ce qu’il faut que les collectivités territoriales participent ? Oui, mais ça ne peut se faire que s’il y a un débat entre nous », a fait valoir Bruno Le Maire, invitant toutes les parties prenantes à se réunir autour de la table du Haut conseil des finances publiques locales. « Cela fait six fois que je fais des propositions, six fois qu’on me dit que ce n’est pas possible. Je proposerai une septième date. J’espère que les collectivités accepteront d’être autour d’une même table ».
Le ministre ne s’est pas arrêté là, à la faveur d’une question lancée par Christian Bilhac (PRG), qui s’est demandé s’il n’y avait « pas trop de strates en France ». « Envisagez-vous de supprimer des ministères, des opérateurs ? » a-t-il invité. « Oui, cela ne me pose aucun problème », a répondu sans ambages Bruno Le Maire. Il s’est aussi dit « prêt » à débattre d’une simplification des « strates locales ». « Je suis convaincu que l’accumulation de strates administratives comme locales a un coût vertigineux ».
Sermonné par le président de la commission des finances, qui appelait à revenir dans le cadre « normal » que doivent être les lois de finances pour trancher les questions budgétaires, Bruno Le Maire s’est engagé à ce que les « prochaines économies » soient « débattues ». « Elles feront l’objet d’un projet de loi de finances, rectificative, ou pas. » À ce stade de l’année, le ministre n’est cependant « pas en mesure » de dire s’il y a besoin d’un « nouvel ajustement » budgétaire, susceptible de provoquer le dépôt d’un projet de loi de finances rectificative « à l’été ».
En quête de mesures pour générer de nouvelles recettes, le gouvernement propose dans son projet de loi de finances de taxer les rachats d’actions des grandes entreprises. Les sénateurs ont adopté ce dispositif, en modifiant le mode de calcul de la taxe pour accroître considérablement son rendement, désormais évalué à près d’un milliard d’euros.
« L’année dernière, nous avons envoyé un très très mauvais message aux habitants des territoires ruraux », dénonce le sénateur centriste Bernard Delcros. Un mauvais message que le Sénat a corrigé ce 29 novembre, dans le cadre des débats sur le projet de loi de finances. Grâce au vote d’une dizaine d’amendements venus de tous les groupes politiques, la chambre haute a adopté le retour du prêt à taux zéro (PTZ) sur l’ensemble du territoire. Il y a un an, les conditions d’accès au PTZ, qui aide les primo-accédants dont les revenus ne dépassent pas un certain plafond à financer leur premier achat immobilier, avaient au contraire été restreintes. Dans les zones dites « tendues », seulement 1 800 communes en France, le dispositif était réservé à la construction de logements neufs. Partout ailleurs sur le territoire, dans les zones « détendues », il n’était accordé que pour l’achat de logements anciens et en contrepartie de lourds travaux de rénovation énergétique. « Le dispositif du PTZ est de plus en plus en difficulté » Un resserrement des conditions d’accès qui avait mécaniquement entrainé une chute du recours à cette aide, déplore la sénatrice communiste Marianne Margaté : « Le dispositif du PTZ est de plus en plus en difficulté. En 2024, seuls 40 000 prêts devraient être accordés, contre 124 000 en 2017, c’est le plus bas niveau depuis la création du dispositif en 1995. » Pour l’ensemble des sénateurs, un retour aux conditions d’accès d’origine semble ainsi essentiel. « C’est un sujet important dans le contexte d’une crise du logement que de permettre à l’ensemble de nos concitoyens qui souhaitent accéder à la propriété de pouvoir le faire. C’est d’autant plus important aujourd’hui, alors que les taux de crédits immobiliers s’établissent à plus de 3 % », souligne le président du groupe Les Républicains Mathieu Darnaud. Le Sénat va plus loin que la proposition du gouvernement, en étendant le PTZ à l’achat de logements anciens L’adoption de cette mesure n’est pas une surprise. Dès son arrivée à Matignon, à l’occasion de son discours de politique générale, Michel Barnier avait déjà annoncé son souhait d’étendre de nouveau le PTZ sur tout le territoire, sans pour autant préciser les modalités exactes de cette mesure. Les amendements adoptés par le Sénat, qui rétablissent le dispositif d’origine, ne correspondent toutefois pas exactement à la position que défend le gouvernement sur le sujet. De son côté, le ministre des Comptes publics Laurent Saint-Martin a en effet proposé de rétablir le PTZ sur tout le territoire uniquement pour la construction de logements neufs et non pour la rénovation. « Cette année, la priorité est mise sur la nécessité de booster la construction du neuf », justifie-t-il. Une position que la chambre haute ne partage pas. La commission des finances a d’ailleurs demandé au ministre de retirer son amendement. « Je pense que la rénovation dans l’ancien présente de vrais intérêts, notamment parce qu’elle s’inscrit dans un objectif de sobriété foncière », défend le sénateur Les Républicains et rapporteur général de la commission Jean-François Husson.
Après dix ans d’existence, le dispositif Pinel, qui permet d’obtenir des réductions d’impôt pour les investisseurs dans l’immobilier locatif, doit prendre fin au 31 décembre. Une mesure trop brutale, dans un contexte de crise du logement, ont jugé les sénateurs qui ont voté sa prolongation pour trois mois, contre l’avis du gouvernement.
Le Premier ministre a fait une concession aux oppositions jeudi, notamment au Rassemblement national qui menace de voter une motion de censure. Michel Barnier consent finalement à une baisse plus importante que prévu des factures en février, mais ce qui ne veut pas dire que le gouvernement renonce à toute hausse de la fiscalité sur l’électricité, actée depuis un an.
Le ministre délégué aux Comptes publics Thomas Cazenave a annoncé devant les commissions des finances du Parlement que l’effort budgétaire l’an prochain sera plus conséquent que prévu. Les économies à trouver se chiffreront à 20 milliards d’euros, à répartir entre l’État et la Sécurité sociale.
L’exécutif va agir par voie réglementaire pour mettre en œuvre ses 10 milliards d’euros d’économies annoncées en urgence sur le budget de l’Etat. La loi organique, qui encadre la procédure budgétaire, autorise ce coup de rabot, tout en fixant des limites.
Le décret annulant 10 milliards d’euros de dépenses est paru au Journal officiel. L’effort budgétaire va s’avérer plus important en proportion pour plusieurs ministères. C’est le cas pour l’écologie, le travail, l’aide publique au développement, l'éducation ou encore la recherche.