Après la colère des syndicalistes et des salariés d’ArcelorMittal, voilà celle des élus. Le sidérurgiste a annoncé mercredi 23 avril lors d’un comité social et économique de l’entreprise qu’il prévoyait de supprimer « environ 600 postes » dans sept usines en France. Les sites concernés se situent pour moitié dans les Hauts-de-France à Dunkerque, Mardyck (Nord), Montataire (Oise) et à Desvres (Pas-de-Calais). Les autres lieux de production menacés sont Florange (Moselle), Basse-Indre (Loire-Atlantique) et Mouzon (Ardennes). « Ce qui est détestable, c’est la façon dont ArcelorMittal procède sans concertation ni avec les élus ni avec les syndicats », pointe le sénateur Horizons Franck Dhersin.
Supprimer des emplois pour « assurer la compétitivité »
Au total, 7100 salariés travaillent dans ces sept usines. « Ça fait 10 % des postes qui passent à la trappe », s’agace Patrick Kanner, sénateur du Nord et président du groupe socialiste. Dans le détail le groupe industriel compte délocaliser en Inde 210 à 260 postes « support » (marketing, ressources humaines, etc) et supprimer 400 postes de production. Des décisions justifiées par « le contexte global difficile depuis plusieurs années pour l’industrie de l’acier en Europe » explique à l’Agence France Presse (AFP) Bruno Ribo, directeur général d’ArcelorMittal France. Dans un communiqué transmis à l’AFP, le groupe dit vouloir aussi « assurer sa compétitivité ».
Pour la sidérurgie, les soucis sont en effet nombreux : concurrence de l’acier chinois, prix de l’électricité ou encore droits de douane augmenté de 25 % par Donald Trump. « Les problèmes nous les connaissons. Nous les accompagnerons et nous serons extrêmement vigilants à ce qu’il n’y ait pas de sites qui ferment en France » a réagi Marc Ferracci le ministre de l’Industrie. « Le gouvernement est trop prudent », tance Patrick Kanner. Le sénateur communiste Fabien Gay juge la décision d’autant moins compréhensible qu’au niveau mondial le groupe dont l’actionnaire majoritaire Mittal est indien « se porte bien ». « Ils ont 17 milliards d’euros de fonds propres », ajoute l’élu de Seine-Saint-Denis.
Investissements pour décarboner à l’arrêt
La colère générale s’explique aussi par le doute qui plane sur la stratégie d’ArcelorMittal. Interrogé le 27 mars par la commission d’enquête sénatoriale sur les aides publiques versées aux entreprises, le président du groupe en France Alain de Grix de la Salle jurait croire « fermement à l’avenir de l’acier en Europe ». « Leurs décisions montrent le contraire », rétorque Fabien Gay, régalement rapporteur de la commission d’enquête.
Il vise notamment les investissements en matière de décarbonation prévus par le sidérurgiste pour adapter ses deux hauts fourneaux de Dunkerque et celui de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône). Le projet à 1,8 milliard de dollars dont 850 millions d’euros d’aide de l’Etat français n’a toujours pas vu le jour. « Nous disons que pour lancer nos plans de décarbonation, nous avons besoin de visibilité sur l’environnement dans lequel nous opérerons demain », se justifiait devant les sénateurs le président d’ArcelorMittal France. Pourtant « ils investissent en Inde et aux Etats-Unis ! Il n’y a qu’en Europe que les investissements sont retardés », indique Fabien Gay.
Au palais du Luxembourg, ArcelorMittal assurait que ces investissements interviendraient « durant le troisième trimestre » 2025 dès que les mesures annoncées par la Commission européenne pour limiter l’importation de l’acier venu de Chine seraient effectives. Alain de Grix de la Salle regrettait alors « la lenteur des prises de décisions en Europe ». Une position répétée après l’annonce de la suppression des 600 postes en France et qui n’a pas manqué de faire réagir Stéphane Séjourné, vice-président de la Commission en charge notamment de l’industrie. « Le plan acier européen que j’ai présenté le 19 mars intègre l’ensemble des demandes qui avaient été formulées par ArcelorMittal pour maintenir les sites de production. […] D’où mon incompréhension », répond sur X l’ancien ministre français des Affaires étrangères.
« Dans moins de dix ans l’acier sera décarboné ou ne sera pas »
Les élus des territoires concernés et notamment des Hauts-de-France demandent à ArcelorMittal de prendre des engagements fermes et précis. Le président Les Républicains de la région Xavier Bertrand écrit sur X : « Il est temps que le groupe nous dise quand ces investissements se feront. Ils sont la seule garantie que l’acier continuera à être produit chez nous. » Une garantie vitale pour maintenir la production de l’acier en France. « Nous soutenons Arcelor dans ses projets de décarbonation qui doivent aboutir au maintien de l’emploi. […] Nous travaillons avec la direction d’Arcelor à ce que ces projets se concrétisent dans les prochains mois », indiquait le ministre de l’Industrie à la suite de l’annonce des suppressions de postes.
Parce que pour les sénateurs du Nord, le calcul est vite fait. « Dans moins de dix ans, l’acier sera décarboné ou ne sera pas », s’alarme Franck Dhersin. Si rien n’est fait rapidement, « ça veut dire qu’ils ont fait une croix sur les aciéries du groupe parce que l’outil va s’abîmer et dans 7 ou 8 ans tout va fermer. » « Si ça continue, on ne produira plus d’acier en France », abonde Patrick Kanner. Fabien Gay y voit lui aussi un « risque de démantèlement ».
Supprimer les aides publiques et nationaliser
Parmi les solutions avancées par les élus comme le sénateur Patrick Kanner, il y a l’arrêt des aides publiques à ArcelorMittal. Le groupe indiquait devant la commission d’enquête du Sénat qu’il bénéficiait de 298 millions d’euros d’aides en 2023 dont 195 millions d’euros concernant l’énergie. « C’est une entreprise très aidée », note Fabien Gay. Le sénateur communiste est très clair : « A près de 300 millions d’aides par an, si c’est pour liquider des emplois, il faut se demander pourquoi on aide un groupe à ce niveau-là ! »
Les élus demandent aussi au gouvernement de prendre exemple sur le Royaume-Uni ou l’Italie qui ont nationalisé leurs hauts fourneaux menacés de fermeture. « Si on envisage la nationalisation, ça peut faire bouger les lignes chez Arcelor », croit savoir Patrick Kanner. Moins habituel, même à droite, la nationalisation rencontre un écho favorable. « Si nous n’avons pas de réponse vite, il faut menacer ArcelorMittal de nationaliser les usines le temps de trouver un repreneur français ou européen, propose Franck Dhersin. Si on vend à nouveau à un groupe chinois, américain ou brésilien, il ne défendra encore que sa souveraineté ! » Une solution sur laquelle le ministère de l’Economie ne s’est pas prononcé.