Dans une enquête publiée le 30 janvier, Le Monde et la cellule investigation de Radio France ont révélé qu’une large partie des eaux vendues sous l’étiquette « minérale naturelle » ou « de source », subissaient des traitements de purification similaires à ceux utilisés pour l’eau du robinet. De grandes marques sont concernées, notamment toutes celles du numéro 1 mondial Nestlé Waters (Perrier, Vittel, Hépar…), ou encore le groupe Sources Alma (Cristaline, Saint-Yorre, Vichy…).
Le code de la santé publique définit trois appellations sous lesquelles peuvent être vendues les eaux en bouteille : les eaux « minérales naturelles », les eaux « de source » et les eaux « rendues potables par traitement ». Les deux premières, puisées dans des nappes souterraines profondes, sont censées être naturellement saines et ne peuvent subir qu’un nombre très restreint de traitements. Les méthodes de filtration avec des ultraviolets ou du charbon actif, notamment utilisés par Nestlé Waters de manière dissimulée, sont donc interdites.
Le gouvernement mis en cause
Le 31 janvier, le parquet d’Epinal a ouvert une enquête préliminaire pour tromperie à l’encontre de Nestlé Waters, suite à un signalement de l’Agence régionale de santé (ARS) du Grand Est. « Les conditions de révélation de ce scandale, dans la presse, sont dramatiques. Les traitements mis en place n’ont jamais fait l’objet d’une communication publique, ont contourné les démarches de contrôle de l’ARS. Ces dissimulations, c’est ce qu’il y a de pire dans une démocratie », dénonce le sénateur socialiste Hervé Gillé.
Au-delà d’une tromperie pour les consommateurs, l’élu s’inquiète de dissimulations jusqu’au sommet de l’État. Selon l’enquête du Monde et de Radio France, les ministres de l’Economie, de la Santé et de l’Industrie étaient informés de ces pratiques interdites depuis 2021. Suite à un rendez-vous avec les représentants du groupe Nestlé, le gouvernement aurait décidé de diligenter une enquête de l’inspection générale des affaires sociales (Igas). C’est le rapport de l’Igas, remis en juillet 2022, qui aurait révélé que « près de 30 % des désignations commerciales subissent des traitements non conformes ».
« La représentation nationale doit être tenue au courant du détail de ces pratiques »
Dans un courrier adressé à Catherine Vautrin, ministre du Travail et de la Santé, les sénateurs socialistes demandent ainsi la publication de ce rapport de l’Igas : « Face à ce scandale, nous pensons que la représentation nationale doit être tenue au courant du détail de ces pratiques ». De leur côté, les députés socialistes demandent la mise en place d’une commission d’enquête sur ce scandale des eaux en bouteille.
Contacté par Le Monde et Radio France, Nestlé justifie ces traitements par « l’évolution des conditions climatiques et environnementales », qui rend de plus en plus difficile la préservation d’une ressource en eau de qualité dans les nappes. Ce scandale pourrait-il faire évoluer les normes sanitaires qui encadrent l’eau en bouteille ? Pour Hervé Gillé, « on peut reprocher au gouvernement de ne pas avoir porté ce sujet au niveau national et européen, compte tenu de la situation actuelle des nappes phréatiques. Ce débat est pertinent, mais il doit se faire en toute transparence. »