Jean-Pierre Farandou sait qu’il dispose d’alliés au Sénat, et notamment à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. À l’approche de l’examen du budget 2023, le président de la SNCF donne de la voix pour arracher un soutien de l’État plus ambitieux, alors que son entreprise fait face à un mur d’investissements. Cet été, le dirigeant a évalué le besoin d’investissements dans le ferroviaire à 100 milliards d’euros supplémentaires sur 15 ans (la moitié financée par l’Etat), avec l’espoir à la clé de doubler la part du train dans le transport de voyageurs et de marchandises.
Or le nouveau contrat de performance signé cet été entre l’État et SNCF Réseau s’avère bien insuffisant, au regard des besoins. Lors de son audition, ce 14 septembre, Jean-Pierre Farandou a rappelé que le réseau ferroviaire français, « deux fois plus vieux qu’en Suisse et en Allemagne », était à l’heure actuelle « pas capable » de supporter une croissance du nombre de voyageurs. « Si on ne s’en occupe pas, il va se paupériser ce réseau », a-t-il averti. « À l’évidence, les 2,8 milliards d’euros sur fonds propres de SNCF Réseau, ce n’est pas suffisant pour aller au bout d’une ambition forte d’une régénération consistante. Il faut mettre plus d’argent pour limiter l’érosion. »
Après un été marqué par une affluence record dans les gares, mais également quelques incidents sur le trafic, Jean-Pierre Farandou plaide pour que son entreprise ne fasse pas l’économie d’équipements modernes, comme la digitalisation et la maintenance prédictive via des capteurs. « En termes de niveau technologie, on va passer en seconde division […] À équipements constants, on ne fait pas de miracle », a-t-il rappelé.
« Sans un engagement financier beaucoup plus massif, le réseau va irrémédiablement décrocher », reconnaît le sénateur Philippe Tabarot
Le sénateur LR Philippe Tabarot, en charge des transports dans le projet de loi de finances, n’a pu qu’appuyer une nouvelle fois le patron de la SNCF, face à la « mauvaise surprise » du contrat de performance, qui « multiplie les renoncements et fait l’impasse sur la modernisation ». « Nous avons passé notre été à évoquer ce sujet », lui a assuré le sénateur des Alpes-Maritimes, « sans un engagement financier beaucoup plus massif de l’Etat, le réseau français va irrémédiablement décrocher de ses homologues européens ». Malgré les 4,7 milliards d’euros placés dans le plan de relance en faveur du secteur ferroviaire, le compte n’y est pas du tout pour les sénateurs. Lors du débat sur le projet de loi de finances rectificative, fin juillet, le sénateur avait défendu une rallonge d’un milliard d’euros en faveur des infrastructures ferroviaires. Simple amendement d’appel, c’est-à-dire introduit pour provoquer un débat et interpeller le gouvernement, il avait été retiré en séance. « Ce ne sera pas le cas lors du projet de loi de finances », a averti le sénateur.
Jean-Pierre Farandou n’a pas seulement défendu des investissements nécessaires pour moderniser les infrastructures de fret, ou encore son idée de réseaux RER métropolitains pour les grandes villes françaises. Il a également fait l’éloge du train à grande vitesse, « formidable accélérateur de PIB » pour les territoires. « Il ne faut pas renoncer à compléter l’équipement LGV (lignes à grande vitesse) de notre pays », a-t-il plaidé.
Un brin provocateur, comme il l’a lui-même concédé, le socialiste Hervé Gillé s’est même demandé si la SNCF n’ouvrait pas un peu trop de chantiers ambitieux simultanément. « À vouloir courir plusieurs lièvres à la fois, on n’arrive pas à destination. Vous pensez très sérieusement qu’on va pouvoir dans les années à venir tout faire, tout financer ? » a demandé le sénateur de la Gironde.
Réponse de l’intéressé : « Si je commence à classer [les demandes], je sais très bien que les dernières, je ne les aurai pas. La décision de faire ou de ne pas faire, ça appartient à la puissance publique. J’aime tous mes enfants, tous les enfants du ferroviaire. La priorisation, les choix, ils ne m’appartiennent pas. »
Et puisqu’il a été question de puissance publique, le président de la SNCF n’a pas non plus échappé à une question sur la formation de ses conducteurs. La société, actuellement confrontée à une pénurie de personnel pour la conduite des trains, a fait appel pour la première fois à une entreprise privée pour les former, révélait ce 13 septembre Libération. Le socialiste Olivier Jacquin (PS) a demandé quelques explications. Selon Jean-Pierre Farandou, les confinements et la fermeture des établissements scolaires ont occasionné un retard dans les formations. « Pour accélérer l’effort, on a fait appel – et un peu en dernier recours – à une école de formation privée […] Par dérogation et exception », a précisé le patron de la SNCF. L’idée étant de pas aggraver la pénurie de conducteurs en les mobilisant sur la formation interne. « On en a besoin pour conduire les trains. »