L’annonce de la suppression de 135 postes par Sanofi à horizon 2025 sur ses sites d’Aramon (70 postes) dans le Gard et de Sisteron (65 postes) dans les Alpes-de-Hautes-Provence a fait bondir Laurence Cohen, sénatrice communiste du Val-de-Marne. Et pour cause ! La nouvelle est tombée le 13 avril 2023, au lendemain de la première audition au Sénat de la présidente de Sanofi par la commission d’enquête sur les pénuries de médicaments, dont elle est rapporteure. En plus de ces suppressions de postes révélées aux syndicats lors d’un comité social et économique extraordinaire, Sanofi explique vouloir raser un bâtiment de production sur le site de Sisteron et un en fermer un autre sur le site d’Aramon.
Sauf que la veille, devant les sénateurs de la commission d’enquête, cette information ne filtre pas. « Comment est-ce possible que lors de notre audition, vous n’ayez pas eu connaissance des suppressions de postes ? Quelle est la définition pour Sanofi d’un ‘potentiel où il y a la capacité et les compétences pour faire de belles choses’ (propos prononcés lors de la première audition le 12 avril 2023, ndlr) ? Puisque cela signifie de réduire le personnel et donc les capacités de production. Vous comprendrez que ça nous intéresse puisque qui dit baisse des capacités de production dit possibilité de médicaments en tension, c’est l’objet de la commission d’enquête… », demande agacée la sénatrice Laurence Cohen.
Sanofi veut unifier sa branche chimie
La présidente de Sanofi France Audrey Derveloy répond sereinement que “c’est un grand groupe qui comporte 16 sites en France. Je n’ai pas tous les éléments de détail”. Elle se remémore également chercher ses fiches pour répondre à cette question lors de la précédente audition : “On peut revisionner les images, on me verra chercher dans mes documents”. Réponse de la sénatrice Laurence Cohen, pour le moins sceptique : “ Je ne peux pas croire que compte tenu de la capacité de production de Sanofi, qu’il n’y ait aucune anticipation et que vous découvrirez par voie de presse ce qui se passe au niveau de ces sites-là !”
Ces 135 postes supprimés sont une conséquence de la stratégie industrielle de la branche chimie de Sanofi France. Elle souhaite créer une plateforme unifiée entre les sites d’Aramon, Sisteron et Mourenx dans les Pyrénées-Atlantiques. “Actuellement à Aramon et Sisteron, il y a une sous-occupation de certains bâtiments de production, parfois à moins de 30%, expose Audrey Derveloy. Nous avons des bâtiments obsolètes alors que nous sommes en tension sur d’autres. Nous avons donc besoin d’une branche chimie unifiée qui répondra aux besoins des patients”, justifie-t-elle.
“Les licenciements, chez Sanofi, il y a un savoir-faire”
L’avenir des 135 salariés qui verront leurs postes supprimés a, lui aussi, été posé. “A la clé, il y a des licenciements… et les licenciements chez Sanofi, il y a un savoir-faire”, raille Laurence Cohen. “On ne parle pas de licenciements, il y a zéro départ contraint”, rétorque la présidente de Sanofi, expliquant “accompagner les collaborateurs” vers d’autres métiers au sein de Sanofi. La sénatrice socialiste Emilienne Poumirol insiste : “Quelles sont ces mesures d’accompagnement ? Parce que ce sont des personnes qui ont un savoir-faire. ” ( voir la vidéo en tête de l’article)
Ainsi, Philippe Charreau, directeur des Affaires industrielles, explique que “tout se fait sur la base du volontariat” et qu’il y a “ des mesures de départs en retraite anticipés. Une grande partie des collaborateurs impactés sont éligibles à des mesures d’âge. Pour les autres, on a assez de postes et d’activités sur les sites en question pour que les collaborateurs aient une évolution professionnelle au sein de leur site”.
Arrêt de la production de 13 principes actifs en France
Outre le sort réservé à ses 135 salariés, Sanofi met en avant ses investissements dans des installations plus modernes, automatisées et digitalisées pour « accueillir de nouvelles technologies dans le futur ». « À Sisteron, le bâtiment que l’on va démolir a plus de 100 ans. A Aramon, le bâtiment que nous allons arrêter a plus de 50 ans. Ce sont des bâtiments très manuels et obsolètes. Ils ne représentent que 2 bâtiments sur les 14 que la plateforme chimie comporte », abonde Philippe Charreau.
A cela, la CGT, citée par la sénatrice Laurence Cohen lors de l’audition, estime que les suppressions de poste ainsi que la destruction de bâtiments vont faire perdre l’équivalent de 50 tonnes de production de principes actifs sur les sites de Sanofi. « Est-ce que c’est réel ? Ce n’est pas anodin », insiste la sénatrice. « Raisonner en termes de principes actifs, ça ne veut pas dire grand-chose », réplique Philippe Charreau.
Le directeur des Affaires industrielles détaille que sur les trois sites d’Aramon, Mourenx et Sisteron, 45 principes actifs sont produits. Treize vont être arrêtés « dont sept qui sont commercialisés en France ». Avant même que la question ne lui soit posée, il veut rassurer son auditoire : « On ne va pas arrêter de les produire ! Les sept seront transférés à un tiers européen et le temps du changement, nous les produirons. Cela peut durer de 3 à 5 ans », affirme-t-il.
« Je ne peux pas garantir à 100 % qu’il n’y aura pas de rupture », explique le directeur des Affaires industrielles de Sanofi
Ces sept principes actifs sont le clorazépate, le principe actif du trencsen, le loflazépat, principe actif du victan, la ticlopidine, principe actif de ticlid, la chlorpromazine, principe actif de largactil, la trimipramine, principe actif de surmontil « et un dernier que je ne peux pas mentionner car la transaction n’est pas terminée avec le partenaire ». La commission d’enquête sénatoriale qui essaie d’établir les causes de la pénurie de médicaments s’interroge sur cette cession d’activité. : « Pouvez-vous nous garantir que les décisions que vous avez prises ne peuvent pas engendrer de pénuries ? », relance la sénatrice écologiste Mélanie Vogel.
« Je ne peux pas garantir à 100 % qu’il n’y aura pas de rupture en transférant nos produits à un tiers. Mais tout est mis en œuvre pour les éviter, affirme Philippe Charreau qui va plus loin : Il n’y a pas de lien du tout entre les problèmes d’approvisionnement que l’on peut subir et ce plan de transformation de la plateforme chimie. »
Poursuivre la production de médicaments matures
L’activité de Sanofi questionne aussi les sénateurs sur l’orientation prise par le géant pharmaceutique, « premier groupe national du point de vue de la dépense de recherche et développement tout comme la première du secteur pharmaceutique européen », comme le souligne la présidente centriste de la commission d’enquête Sonia de la Provôté.
Parmi les investissements affichés, on trouve l’unité de lancement petit volume (ULPV) à Sisteron pour la somme de 60 millions d’euros. Ce nouveau bâtiment doit permettre le lancement industriel de nouvelles molécules. « Pourquoi vous n’arrivez pas à aller sur l’innovation tout en continuant à fabriquer des médicaments matures ? », lance Corinne Imbert, sénatrice rattachée au groupe Les Républicains.
En effet, au cours de leurs auditions, les sénateurs ont entendu à de nombreuses reprises que les laboratoires n’avaient pas intérêt à produire des molécules matures, plus anciennes à cause de leur faible rentabilité. Sanofi ne se dit pas concerné. « Sur nos sites de chimie, on reste principalement sur des activités liées aux produits matures, répond Philippe Charreau. En termes de ratio, c’est 80 % – 20 %. »
Signe de l’intensité des échanges, Audrey Derveloy conclut l’audition par cette formule : « J’espère que l’on a su montrer l’engagement des collaborateurs et du groupe sur le sol français. » « Qu’on ne remet pas en cause », reprend Sonia de La Provôté. Et Laurence Cohen d’insister : « Vous avez aussi compris que sur une commission d’enquête, il est important pour nous d’avoir la réalité des choses et d’expliciter des propos qui n’étaient pas exacts. »