Retraites : la Cour des comptes appelle à veiller à l’équité entre les différentes catégories professionnelles et entre générations

Dans une nouvelle contribution dans le cadre de sa mission flash sur le système de retraites, la Cour des comptes explore les conséquences des réformes des retraites sur la compétitivité et l’emploi. Elle pose notamment les sujets d’une meilleure équité ou encore le sujet de l’indexation des retraites sur l’inflation.
Guillaume Jacquot

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« Le statu quo en matière de financement du système de retraites est impossible. » C’est le message principal que délivre ce 10 avril le premier président de la Cour des comptes Pierre Moscovici. Sur demande de Matignon, l’institution de la rue Cambon vient de remettre au Premier ministre et aux partenaires sociaux un deuxième rapport, dans le cadre de sa mission « flash », cette fois centré sur l’impact du système de retraites sur la compétitive et l’emploi. Cette nouvelle communication intervient à un moment où le conclave réunissant organisations syndicales et patronales menace de se diriger vers une impasse. Depuis le lancement de leurs travaux le 27 février, deux représentants des salariés (FO et CGT), ainsi qu’une organisation patronale (l’U2P) ont déjà quitté la table des négociations.

« Ce ne sont pas des préconisations ou des recommandations, les partenaires sociaux discutent sans pression. Nous ne sommes pas là pour leur tenir la main », a tenu à préciser l’ancien ministre de l’Économie. Le rapport de la Cour s’est en particulier penché sur le taux d’emploi des personnes de plus de 60 ans. S’appuyant sur plusieurs études économiques, l’étude relève que les réformes du système de retraites se sont accompagnées d’une amélioration du taux d’emploi dans la population. « L’évolution du taux d’emploi des seniors n’est pas un préalable aux réformes des retraites, c’en est une conséquence », insiste Pierre Moscovici.

Une hausse de l’âge effectif de départ en retraite est positive sur le taux d’emploi

Après la réforme Woerth de 2010, qui a reculé l’âge légal d’ouverture des droits de 60 à 62 ans, l’âge de départ effectif a augmenté de 2,1 années et le temps moyen passé en activité s’est allongé d’un an et sept mois. La Cour des comptes relève toutefois que cet allongement des carrières comporte des disparités importantes suivant la catégorie socioprofessionnelle des personnes, le genre ou encore l’état de santé. Le recul de l’âge moyen de la retraite s’est traduit par un allongement de la durée en emploi pour 66 % des ouvriers, contre 85 % chez les professions intermédiaires et les cadres. Chez les femmes, la poursuite de l’activité s’est faite davantage en temps partiel, ces dernières étant plus souvent surreprésentées dans l’accompagnement des personnes âgées en état de dépendance.

Là aussi, reprenant des données déjà existantes chez les instituts statistiques, la Cour des comptes rappelle les discriminations à l’embauche ou les difficultés d’accès à la formation dont sont victimes les seniors. En 2023, une personne sur cinq âgée de 55 à 64 ans n’était ni en emploi ni à la retraite. « Il faut donc de nouvelles mesures de la part des entreprises et des pouvoirs publics pour accompagner les seniors les plus vulnérables et les aidants », suggère Pierre Moscovici.

« Même si l’on cherche à trouver les moyens d’améliorer les taux d’emploi, Il faut d’abord cibler ceux-là, et aussi cibler les réformes des retraites sur ces trois catégories de personnes. Je crois que ce sont trois chantiers absolument incontournables, ce sont des chantiers d’équité. Et un des paramètres qui doit être pris en compte, c’est l’espérance de vie à la retraite. On constate là encore de très fortes inégalités », ajoute-t-il à notre micro. Selon la Cour, l’écart d’espérance de vie à 65 ans entre les ouvriers et les cadres est de deux ans chez les femmes et trois ans chez les hommes.

Sur la base de plusieurs études européennes, la Cour des comptes note qu’il n’y a « pas de relation nette entre la productivité des travailleurs et leur âge ».

« Une nécessaire réflexion sur les modalités d’indexation des pensions »

Outre la nécessité de préserver l’équité au sein d’une même génération, la Cour des comptes estime que l’autre impératif est de garantir cette même équité entre les différentes générations. À ce titre, les magistrats financiers reviennent sur un sujet qui a été l’un des principaux points de crispation lors des débats budgétaires de l’automne : faut-il indexer ou non les retraites sur le rythme de l’inflation ?

Pierre Moscovici note qu’une indexation sur l’inflation « n’est pas la plus adaptée » au système de retraites. En effet, en cas de choc économique et d’un choc assez fort et importé, les pensions sont ajustées à la hausse bien plus vite que les salaires. Une indexation partielle des pensions sur le rythme d’évolution des salaires, associée à d’autres paramètres visant à prendre en compte le nombre d’actifs par retraités, serait une façon de « mieux piloter le système de retraite », selon le président de la Cour. En outre, ceci « exposerait les actifs et les retraités de manière solidaire aux aléas ».

En février, la Cour des comptes avait estimé qu’une indexation des pensions à un niveau inférieur d’un point au taux d’inflation permettrait une économie de 2,9 milliards d’euros en 2025 pour le système de retraites.

« La hausse des cotisations aurait un impact négatif sur la compétitivité et l’emploi »

Le rapport explore également les effets d’une hausse des cotisations sociales pour ramener le système de retraite à l’équilibre. « Une hausse des cotisations aurait un impact négatif sur la compétitivité et l’emploi », a averti Pierre Moscovici ce jeudi lors d’un point presse. Sur un modèle développé par l’Insee et la Direction générale du Trésor, la Cour des comptes évalue qu’une hausse permanente d’un point des cotisations patronales se traduirait au bout de dix ans par une hausse de 0,6 % du coût du travail, une diminution de l’emploi salarié de 87 000 postes et un niveau d’exportation inférieur à 0,3 %.

Une hausse équivalente des cotisations salariales dégraderait le revenu net des actifs, et donc par ricochet la consommation et la croissance. Celle-ci pourrait alors reculer de 0,35 point à court terme, et l’emploi pourrait s’infléchir de 32 000 postes. Mardi, le Medef, a d’ailleurs affiché son veto à toute augmentation des cotisations patronales ou salariales pour financer les pensions.

De façon plus générale, le premier président de la Cour des comptes relève que « le financement des retraites est un facteur qui peut avoir un impact sur la compétitivité », mais qu’il est « loin d’être le seul ». Les questions d’énergie, de taux de change – ou encore la question très récente des tarifs douaniers – sont d’autres éléments de la compétitivité basée sur les coûts. Or cette « compétitivité-coût n’est plus le principal sujet en France », note la Cour des comptes. Les allègements généraux de cotisations au cours des 12 dernières années ont baissé le coût du travail. Pierre Moscovici note que la « faiblesse » de la compétitivité hors coût – comme l’innovation – est « plus préoccupante ».

D’autres pays qui peuvent inspirer la France

Les éléments de réponse pour notre système de retraite ne seront pas seulement relatifs au taux d’emploi ou à la compétitivité. La Cour des comptes met également le doigt sur de nouveaux mécanismes pour adapter les paramètres du système de retraite aux évolutions démographiques ou économiques.

Le rapport fait notamment mention de clauses de revoyure dans les systèmes de retraite de nos voisins. « Il y a bien des mécanismes d’amélioration possibles », relève le premier président de la Cour des comptes, qui fait notamment le parallèle avec le régime des retraites complémentaires Agirc-Arrco.

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