Elon Musk qui débarque en Tesla à l’Elysée, une pluie d’annonces de construction d’usines, plus de 200 chefs d’entreprise étrangers reçus en grande pompe à Versailles… Pour tenter de tourner la page de la réforme des retraites, Emmanuel Macron retourne au macronisme originel. Communication « disruptive », proximité assumée avec les entrepreneurs, célébration de l’attractivité de la France pour ramener des usines et des emplois sur le territoire national : le Président de la République joue une partition qu’il connaît bien. La tonalité est simplement un peu plus souverainiste qu’à l’heure de ses débuts au sein de la commission Attali et de la « mondialisation heureuse » d’Alain Minc. Alors que les Etats-Unis haussent le ton avec l’Inflation Reduction Act (IRA) – législation protectionniste destinée à attirer des grands groupes européens aux Etats-Unis – le chef de l’Etat prône maintenant la fin de la naïveté européenne pour mener « la mère de toutes les batailles » : la réindustrialisation.
« Choose France » : 28 projets d’investissements et 13 milliards d’euros
Avec le sommet « Choose France », Emmanuel Macron tente depuis cinq ans maintenant d’attirer les capitaux étrangers en France en « expliquant aux grandes entreprises internationales les réformes menées pour favoriser l’activité économique de notre territoire », détaille le site de l’Elysée, en faisant référence aux baisses d’impôts de production décidées par l’exécutif depuis 2017. Le cru 2023 devrait d’ailleurs être fameux, assure la présidence de la République, avec 28 projets qui seront annoncés ce lundi, pour 13 milliards d’euros, contre 10,6 milliards en 2022. La voiture électrique devrait se tailler la part belle dans ces annonces, avec notamment une usine de batteries de lithium à Dunkerque, financée par Orano et le chinois XTC, ainsi qu’une usine de panneaux solaires à Sarreguemines (Moselle), par exemple.
Mais au-delà du raout organisé à Versailles, la France attire-t-elle vraiment les investisseurs étrangers ? Un baromètre de l’attractivité tenu par le cabinet Ernst & Young, et publié il y a quelques jours, fait de la France le pays le plus attractif d’Europe, en termes de nombre de projets d’investissements étrangers comptabilisés en 2022. Avec 1259 projets annoncés, la France devant le Royaume-Uni (929) et l’Allemagne (832), mais pour une rentabilité en emplois plus faible, d’après le même baromètre, puisqu’un projet d’investissement en France créerait 33 emplois contre respectivement 58 et 59 pour l’Allemagne et le Royaume-Uni. En outre, 65 % de ces projets sont des extensions de site existants.
En termes d’investissements directs à l’étranger (IDE) aussi, l’INSEE dresse un tableau plus contrasté : les IDE en France ont certes bien rebondi après la crise Covid (1,9 milliard en 2020), pour atteindre 22,8 milliards d’investissements étrangers en France en 2021. Mais c’est exactement le niveau de 2011, dix ans plus tôt, et en 2015, par exemple, ces investissements étrangers en France atteignaient presque le double : 40,9 milliards d’euros. La variation des investissements étrangers en France ne semble pas significativement suivre les différentes orientations budgétaires prises pendant les quinquennats de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron. Hormis un effondrement pendant la crise sanitaire, le quinquennat d’Emmanuel Macron ne semble donc pas constituer une exception en termes d’investissements étrangers en France.
« Plus récemment, il y a eu un alignement de la fiscalité sur le capital en France »
« En règle générale, la France a toujours une position assez attractive, elle est toujours assez haut dans les classements d’IDE », explique Sarah Guillou, économiste à l’OFCE, qui poursuit : « La France est bien classée au même titre que le reste de l’Europe, qui est une place attractive car c’est un gros marché, à la fois de clients et de compétences, avec des infrastructures de qualité. Au sein de cet ensemble, la France a une position géographique assez centrale, et des caractéristiques intéressantes en termes de qualification et de savoir-faire. » La directrice du Département de Recherche Innovation et Concurrence (DRIC) de l’OFCE note tout de même un élément plus récent d’attractivité de la France : « Plus récemment, il y a eu un alignement de la fiscalité sur le capital en France, avec la baisse du taux d’Impôt sur les Société (IS) et des impôts de production. D’autant plus que la fiscalité des brevets et de la propriété intellectuelle ainsi que le crédit-impôt recherche ont toujours constitué des éléments d’attractivité. »
Mais en plus des baisses d’impôts côté recettes, l’Etat mène une politique attractive pour les investisseurs étrangers côté dépenses, explique l’économiste : « Il y a un niveau d’intervention au niveau des aides publiques sans doute plus conséquent que dans d’autres pays. En France, l’Etat se porte systématiquement partie prenante des PIIEC [projets européens de financement des industries d’avenir], ce qui permet d’autoriser le financement public des industries vertes ou sur les semi-conducteurs par exemple. C’est un levier attractif pour les investisseurs. » Des signaux positifs qui se conjuguent à une attractivité de long terme : « Avec l’Inflation Reduction Act (IRA), on a beaucoup entendu qu’on aurait un problème d’attractivité en Europe. Ce n’est finalement pas si clair que ça, même si beaucoup d’investissements se font aux Etats-Unis. L’investissement dans la recherche et le niveau d’éducation français, ce sont des éléments structurants de l’attractivité française, construits sur des décennies. »
« Choose France » : environ 10% de l’investissement industriel français
Au-delà de l’effet d’annonce du sommet « Choose France », les chiffres montrent des signaux « positifs », estime Sarah Guillou, qui remet tout de même les choses en perspectives. En 2021, la « formation brute de capital fixe » des entreprises non-financières, qui mesure l’investissement consenti par les agents économiques en France, s’est élevée à 341 milliards, dont 20% pour le secteur industriel. Donc en 2021, un peu moins de 70 milliards ont été investis dans l’industrie en France, explique l’économiste afin de donner un « ordre de grandeur. » En suivant les annonces qui ont fuité dans la presse, Sarah Guillou a comptabilisé « entre 7 et 10 milliards » d’investissements, alors que l’Elysée annonce 13 milliards de promesses d’investissement lors de ce sommet « Choose France. »
En somme, les annonces actuelles correspondent à environ 10% de l’investissement « normal » dans l’industrie française. « Ce n’est pas rien », explique-t-elle, mais pour connaître les retombées en termes d’emploi, il va falloir attendre un peu. « Le problème sur l’emploi c’est qu’il y a un décalage dans les données, donc quand on a les chiffres, les médias ne sont plus intéressés. D’autant qu’on a une rupture en 2020 [due à la crise sanitaire], qui fait que c’est très difficile d’interpréter les évolutions », détaille Sarah Guillou. « Ce que l’on sait, c’est que le contenu en emploi de l’industrie de demain sera inférieur à celui de l’industrie d’hier. Certains considèrent que la réindustrialisation c’est le fait que l’emploi industriel revienne à 20% alors qu’il est à 9-10% aujourd’hui, mais ce n’est pas forcément parce qu’il y a des investissements dans l’appareil productif que l’emploi remonte », ajoute-t-elle. En tout cas, le nombre d’emplois supplémentaires ne sera pas proportionnel au montant des investissements étrangers en France.
L’économiste évoque enfin une autre question soulevée par cette avalanche d’investissements dans l’industrie verte : « Il y a un véritable engouement pour l’industrie verte en France et en Europe. On ne pourra le voir que dans quelques années, mais le risque, c’est un excès de capacité : si tout le monde investit, il va finir par y avoir un déséquilibre entre l’offre et la demande. Il pourrait y avoir un effondrement des prix. Cela étant, ce ne serait pas plus mal pour la planète, mais pour l’industrie… » De la difficulté de « verdir » l’industrie.