Le gouvernement a essuyé un camouflet d’ampleur jeudi dernier à l’Assemblée nationale, lorsque les députés ont fait sauter l’article 6 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025. Ils ont ainsi tiré un trait sur la refonte du système d’allégement des cotisations patronales, une mesure avec laquelle l’exécutif espère réaliser 4 milliards d’euros d’économies, mais qui rencontre de nombreuses critiques parmi les soutiens de l’exécutif. Notamment les macronistes et les LR, qui estiment que cette refonte risque, selon eux, de freiner la baisse du chômage en augmentant le coût du travail.
De son côté, le gouvernement, considère que les revenus au niveau du Smic concentrent aujourd’hui un trop grand nombre d’allégements de cotisations, voire d’exonérations, ce qui bloque les revalorisations salariales, et maintient les salaires à des niveaux trop bas. Il espère désormais pouvoir défendre cette réforme lors des discussions budgétaire à la Chambre haute, où le projet de loi de financement de la Sécurité sociale sera débattu à partir du 18 novembre.
« On a aujourd’hui une protection sociale essentiellement financée par les salaires, ce qui explique que l’on a un salaire bas par rapport au coût pris en charge par l’employeur, ce qui a donné lieu à des politiques publiques qui, depuis les années 1990, gauche/droite confondues, ont voulu pallier cet écart à juste titre », a rappelé ce mardi 5 novembre Astrid Panosyan-Bouvet, la ministre du Travail et de l’emploi lors d’une audition devant la commission des affaires sociales du Sénat.
« 80 milliards d’euros d’allégements généraux concédés aux entreprises »
« On arrive à quelque chose d’extrêmement coûteux : 4 points de PIB si l’on additionne les allégements généraux et les minima sociaux pour simuler le pouvoir d’achat. Parallèlement, on a construit des trappes à bas salaire, où l’on a aujourd’hui 20 % de la population active au Smic, dont un tiers durablement », a expliqué la ministre. « Les 4 milliards d’euros d’économies sont à mettre en perspective des 80 milliards d’euros d’allégements généraux concédés aux entreprises », soit presque 1,5 fois le budget de l’Education nationale, a-t-elle fait valoir.
Le projet imaginé par le gouvernement se fait en deux temps. Il prévoit de faire baisser de 2 points en 2025 les allégements des cotisations patronales pour les salaires compris entre le Smic et 1,3 Smic. Puis à nouveau de 2 points supplémentaires en 2026. En parallèle, un renforcement des allégements viendra cibler la tranche de salaires compris entre 1,3 et 1,8 Smic, afin de pousser les employeurs à augmenter leurs salariés. Au-delà de 1,8 Smic, les allégements de cotisation baisseront à nouveau. À terme, l’exécutif souhaite une extinction des allégements patronaux pour tous les salaires situés au-delà de 3 Smic, contre 3,5 Smic actuellement.
« Il faut être très vigilant sur la compétitivité de nos emplois industriels »
Mais dans les rangs des sénateurs, on s’interroge sur les seuils retenus par l’exécutif. Certaines voix, à gauche, souhaitent pousser davantage les curseurs pour renforcer les hausses de salaires. « J’ai la conviction qu’au-delà de 2 Smic, il y a un effet d’aubaine pour les employeurs. Les économistes, même ceux qui ont poussé à cela, nous disent qu’à partir de 2 Smic il n’y a plus d’effets sur l’emploi », a notamment pointé l’écologiste Raymonde Poncet Monge. La réforme s’inspire en effet du rapport des économistes Antoine Bozio et Etienne Wasmer, qui proposent de sortir des exonérations dès 2,5 Smic.
« Il y a des débats quant à savoir où doivent s’arrêter ces exonérations », a reconnu la ministre. « Le rapport Bozio-Wasmer recommande de les arrêter à 2,5 Smic, c’est le cas aussi de certains rapports parlementaires. Toutes les fédérations professionnelles industrielles, pour des raisons de compétitivité, me disent qu’elles ont besoin de ces exonérations. Nous, nous proposons 3 fois le Smic », a-t-elle expliqué. « Je reste très vigilante, j’ai envie d’atténuer l’impact sur les bas salaires, mais autant dans le contexte actuel, il faut être très vigilant sur la compétitivité de nos emplois industriels ».
« L’impact sur l’emploi est encore difficile à mesurer »
Autre inquiétude, cette fois exprimée dans les rangs de la majorité sénatoriale : les risques de destruction d’emplois, avec la suppression à terme de postes devenus trop coûteux pour les employeurs. « Il est indéniable qu’il y aura des suppressions d’emploi, mais vous les évaluez à combien parce que les économistes ne sont pas tous d’accord sur le nombre ? », a notamment lancé la sénatrice centriste Elisabeth Doisneau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales.
Face à elle, Astrid Panosyan-Bouvet redouble de précautions oratoires, évoque plusieurs estimations, pour certaines passant du simple au décuple. « L’impact sur l’emploi est encore difficile à mesurer. Une étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques parlait de 150 000 emplois détruits, mais elle prenait aussi en compte la détérioration de la situation économique. Aujourd’hui, l’augmentation du coût du travail telle que prévue, pourrait amener, pas immédiatement mais sur le moyen terme, à une destruction de 15 000 à 40 000 emplois, selon les scénarios du modèle Bozio-Wasmer », déroule-t-elle.
« Faire la réforme en deux ans permettra de voir les effets de bord sur l’emploi », avait tenté de déminer la ministre un peu plus tôt dans son propos liminaire. « Il peut y avoir un risque de destruction d’emplois sur les faibles salaires, sur le travail peu qualifié. Sur les salaires plus élevés, on risque d’être sur de la non-création d’emplois, là où l’on a besoin de monter en gamme et de réindustrialiser le pays », a-t-elle encore reconnu. Pour autant, le scénario central défendu dans le rapport Bozio-Wasmer, avec un point de sorti des allégements à 2,5 Smic, prévoit aussi un effet positif pour le marché du travail, avec 10 000 à 20 000 créations de postes.