Rapport annuel de la Cour des comptes : les sénateurs étrillent la gestion « défaillante » des finances publiques par le gouvernement

« Excès d’optimisme », « dévoiement de procédure », « constat alarmant », Etat « trop dépensier » : Lors de l’audition de l’examen en séance publique du dernier rapport annuel de la Cour des comptes, les sénateurs comme l’actuel Premier président de la haute juridiction, Pierre Moscovici, ont pointé une situation a minima « préoccupante » de nos finances publiques. Un débat également axé sur la thématique structurante du rapport : l’adaptation au changement climatique.
Alexis Graillot

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Invité à présenter son rapport, l’ancien ministre de l’Economie et des Finances, Pierre Moscovici, est revenu sur les principales conclusions de la haute juridiction financière. L’occasion pour lui de rappeler une situation « dégradée » de nos finances publiques, au regard de « l’adaptation au changement climatique », en d’autres termes « l’ensemble des mesures à prendre pour continuer à vivre de façon supportable dans un climat qui aura profondément changé », sur laquelle la Cour des comptes, a axé sa publication.

État, ménages, entreprises, institutions financières, collectivités territoriales : aucune institution publique n’est exonérée de la « nécessité d’une action transparente, cohérente et efficiente », comme l’a rappelé en introduction le président du Sénat, Gérard Larcher.

« Une situation préoccupante » des finances publiques

Si l’audition de l’ancien ministre de l’Economie de François Hollande portait sur l’ensemble du rapport, force est de constater que les sénateurs se sont davantage focalisés sur le tout premier chapitre du rapport (qui en comporte 16, compilé en 725 pages), sur l’état des finances publiques de la France, dans un contexte marqué par le « coup de rabot » budgétaire, annoncé par Bruno Le Maire. Une annonce qui a fait l’objet d’un débat tendu au Sénat, à l’image de l’audition de l’actuel ministre de l’Economie, le mercredi 6 mars dernier, qui a été critiqué sur sa gestion des finances publiques, par l’ensemble de l’échiquier politique.

 2023 a été au mieux une année blanche pour les finances publiques 

Pierre Moscovici, premier Président de la Cour des Comptes

Sur ce point, Pierre Moscovici fait état d’une situation « préoccupante » des finances publiques, structurée autour d’un triple constat. Premièrement, l’ancien ministre de l’Economie constate que « 2023 a été, au mieux, une année blanche », ajoutant qu’elle a même été « pire que 2022 ». « Cela n’a pas été la fin du « quoi qu’il en coûte » », observe-t-il, décrivant notamment des recettes fiscales « peu dynamiques » ainsi que des « mauvaises surprises de l’ordre de 8 milliards d’euros », qui ont « creusé le déficit ». « La marche pour 2024 est d’autant plus haute », remarque-t-il, grave. Deuxièmement, l’ancien commissaire européen regrette une prévision de croissance pour 2024, « trop optimiste », jugeant qu’à ce titre, il n’est « pas certain que les 10 milliards d’euros d’économies soient suffisants ». « Même si nous parvenions à tenir l’objectif de 4,4 %, nos finances publiques resteraient parmi les plus dégradées de la zone euro, avec 110 points de PIB de dette publique », tance-t-il. « Regardons cette réalité en face : nous avons un problème de crédibilité en Europe », s’alarme l’ancien ministre de l’Economie. Enfin, il juge la trajectoire fixée par la loi de programmation des finances publiques (LPFP), comme « peu ambitieuse et très fragile », jugeant qu’elle « repose sur des efforts d’économies sans précédent », qui ne sont, selon le premier président de la Cour des comptes, « ni documentées ni étayées ».

« Le temps de l’effort est venu, non par goût de l’austérité ou pour complaire à Bruxelles, mais dans notre intérêt », tonne le premier président de la Cour des comptes, ajoutant avoir « appris qu’il n’y a pas de bonne politique sans finances saines », sous les applaudissements de la droite de l’hémicycle.

« Des prévisions irréalistes que le gouvernement révise ensuite seul »

Même si les réponses pour rétablir l’ordre budgétaire diffèrent entre les sénateurs selon leur bord politique, tous rejoignent la haute juridiction financière sur son constat de finances publiques dégradées. « La prudence et le réalisme auraient pourtant dû le conduire à retenir des hypothèses moins optimistes », regrette, amer, le président PS de la Commission des finances, Claude Raynal, qui tance l’absence de dialogue avec l’exécutif.

 Le nœud de l'inquiétude, ce sont les trois D : la dette et la dépense, qui creusent le déficit. Notre dette publique, qui atteindra 3 200 milliards d'euros à la fin de l'année, est déjà supérieure de 800 milliards à son niveau de 2019 

Stéphane Sautarel, sénateur LR du Cantal

Son collègue LR, Philippe Mouiller se veut encore plus critique, dénonçant un « dévoiement de procédure » : « Non seulement l’Assemblée nationale n’examine plus les textes financiers en raison du 49.3, mais l’exercice est vidé de son sens par des prévisions irréalistes que le gouvernement révise ensuite seul », jugeant l’attitude du gouvernement, « contraire à l’esprit de nos institutions ». Le sénateur des Deux-Sèvres en vient jusqu’à poser la question de la « sincérité budgétaire », dont il souhaite un examen par le Conseil Constitutionnel. En tant que président de la Commission des affaires sociales, il s’inquiète également de l’explosion des dépenses de santé : L’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) a augmenté de 49 milliards d’euros en 5 ans ! », tance-t-il. Son collègue LR, Stéphane Sautarel, s’inquiète plus généralement de l’explosion de l’endettement public : « Le nœud de l’inquiétude, ce sont les trois D : la dette et la dépense, qui creusent le déficit. Notre dette publique, qui atteindra 3 200 milliards d’euros à la fin de l’année, est déjà supérieure de 800 milliards à son niveau de 2019 », déplore le sénateur du Cantal. Un endettement qui alerte également Christine Lavarde, qui juge que la situation de la France « risque de mettre en péril la cohésion de la zone euro ».

Un son de cloche différent à gauche qui propose de rechercher de nouvelles recettes : « Comme toujours, on ne regarde que les dépenses », déplore le sénateur communiste Éric Bocquet, qui souhaite s’attaquer aux « 465 niches fiscales, qui ont coûté 94,2 milliards d’euros en 2022 ». L’élu du Nord regrette ainsi qu’« aucune évaluation sur les 11 prévues en 2022 n’ait été réalisée ». Une position partagée par le groupe socialiste : « Si la baisse des dépenses publiques est nécessaire, la hausse des prélèvements obligatoires ne doit plus être un tabou », abonde Isabelle Briquet, qui déplore que les économies annoncées par Bruno Le Maire, le 16 février dernier, « dégradent nos services publics, si utiles aux plus modestes ». Sur ce point, s’il juge que la fiscalité n’est « pas un sujet tabou », Pierre Moscovici estime la marge de manœuvre « limitée », le taux de prélèvements obligatoires en France étant le plus élevé d’Europe (45%).

Sous le feu des critiques, la majorité présidentielle reconnait « partager la conclusion de ce rapport » et une « situation macroéconomique moins bonne qu’espérée ». « Pour espérer ramener le déficit sous la barre des 3% du PIB en 2027, nous devrons opérer des choix difficiles pour dépenser moins, mais surtout mieux », tonne Didier Rambaud, pour qui « il faut mettre un terme à l’addiction des Français aux largesses de l’État, qui suscite chaque jour de nouvelles revendications ».

Adapter les finances publiques au changement climatique

Si la situation des finances publiques est au cœur des échanges, les sénateurs sont également revenus sur la thématique du dernier rapport de la haute juridiction financière, à savoir l’adaptation au changement climatique. Sur ce point, Pierre Moscovici appelle de ses vœux à 4 principes d’action : « Mieux connaître les effets du changement climatique », face à une prise de conscience « hétérogène » ; « informer les citoyens » ; disposer d’une « stratégie cohérente » par la « planification » ; le « financement » de l’adaptation, alors que le premier président pointe « une évaluation de son coût lacunaire, voire inexistante ». L’ancien ministre de l’Economie souligne également que l’adaptation constitue « un enjeu territorialisé » : « Chaque région, chaque commune devra s’adapter », explique-t-il, tout en soulignant la nécessité de « concilier ajustement budgétaire et amélioration de la trajectoire de croissance », qu’il présente comme un « défi incontournable ».

Une prise en compte saluée par l’ensemble des intervenants, en premier lieu les écologistes, par la voix de Thomas Dossus, qui se demande cependant « comment être dans l’orthodoxie budgétaire tout en préparant la transition écologique », égratignant au passage les économies annoncées par Bruno Le Maire, à hauteur de 1 milliard d’euros pour l’écologie. « Je ne vois pas de contradiction entre l’adaptation et le redressement de nos finances », juge pour sa part Pierre Moscovici, estimant que « la dette climatique et la dette financière sont intimement liées ».

Du côté de la droite, des inquiétudes pèsent quant à l’impact de finances publiques dégradées conjuguées au changement climatique : « La dépense sociale, qui représente la moitié de la dépense publique, ne doit plus engager les générations futures », plaide Stéphane Sautarel (LR). A ce titre, Christine Lavarde, sénatrice LR des Hauts-de-Seine dresse « un constat terrible » : « Ni nos finances publiques ni notre stratégie ne sont prêtes pour affronter le défi de la transition écologique », s’alarme-t-elle. Le RN pointe quant à lui la « défaillance » du gouvernement sur la stratégie énergétique, attaquant le bilan de Bruno Le Maire, qu’il accuse d’avoir « mené le pays au bord de la faillite ».

Le constat est plus nuancé pour les radicaux : « De bonnes tendances sont à noter, comme la hausse des moyens alloués à la rénovation énergétique des bâtiments : 7 milliards d’euros par an, contre 3 milliards en 2015 », salue Maryse Carrère (RDSE). Quant à la majorité présidentielle, elle préfère mettre en avant le dilemme de l’exécutif face une « équation complexe », partagée entre « aplanir notre montagne de dettes et franchir le mur d’investissements qui se dresse devant nous, notamment pour l’adaptation au changement climatique ».

En tant que représentants des élus, les sénateurs se sont également inquiétés de l’absence réelle de prise en compte des collectivités dans la réflexion de la Cour des comptes. « Il est essentiel d’associer les collectivités territoriales à la mise en œuvre des politiques d’atténuation et d’adaptation », estime Maryse Carrère. Stéphane Sautarel (LR) est encore plus vindicatif : « Le budget des collectivités territoriales doit cesser d’être la variable d’ajustement d’un État omnipotent et impuissant », appelle-t-il de ses vœux. Un point que Pierre Moscovici promet « d’intégrer » à la réflexion de la Cour.

« Notre situation est sérieuse et les décisions ont trop tardé », rappelle pour finir, le premier président de la Cour des Comptes, qui plaide pour davantage « de volonté politique, de courage, d’intelligence et de pédagogie ». « Les Français sont un grand peuple ; nous pouvons faire beaucoup avec eux, à condition de les convaincre. C’est la condition de la confiance », conclut-il sous les applaudissements.

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