Fin juillet, la Commission européenne a annoncé placer la France dans une procédure pour déficit excessif, aux côtés de l’Italie, de la Belgique, de la Hongrie, de la Pologne, de la Slovaquie et de Malte. La cause : le niveau du déficit et de dette publics français qui dépasse les seuils fixés par le Pacte de stabilité et de croissance, c’est-à-dire 3 % du PIB pour le déficit et 60 % du PIB pour la dette.
La procédure implique que chaque pays concerné remette à la Commission un document retraçant la trajectoire budgétaire prévue et les moyens mis en œuvre pour y parvenir. La France a ainsi jusqu’au 20 septembre pour produire le sien, alors qu’un gouvernement n’est pas encore nommé. En novembre, la Commission se prononcera sur ce plan.
Un risque de perte de confiance des marchés financiers
Le risque théorique lors de la mise en œuvre de cette procédure est une sanction financière à hauteur de 0,1 % du PIB, soit 2,5 milliards d’euros pour la France. Mais à date, aucun pays n’a jamais eu à payer une telle sanction. Le risque est plutôt la perte de confiance des prêteurs dans la capacité du pays à rembourser ses dettes, et donc un resserrement de l’accès au financement pour les Etats visés. « On est extrêmement scrutés », affirme Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste de BDO France, « la France s’est déjà retrouvée dans cette situation, elle est en déficit depuis 1974, ce n’est pas nouveau, mais ce qui va être scruté, c’est la trajectoire de désendettement. C’est très important pour nos partenaires et pour les marchés financiers ». La France a en effet passé plusieurs années dans la procédure de déficit excessif. Elle en était sortie en 2018, après y avoir été placée en 2009.
Le covid a contraint l’Union européenne à mettre sur pause les règles du Pacte de stabilité et de croissance, alors que les pays ont eu besoin de s’endetter pour faire face à la crise. Mais depuis 2024, une nouvelle version du Pacte s’applique. « Le nouveau Pacte de stabilité prend davantage en compte la trajectoire des Etats membres plutôt que les ratios, parce que les pays ne les respectent pas », explique Anne-Sophie Alsif, « l’idée est de voir la trajectoire de désendettement pays par pays ». Un moyen de mieux s’adapter aux atouts et aux faiblesses des Etats membres, plutôt que d’appliquer la même cible à tous.
« Le sujet, ce n’est pas le niveau de dépense, c’est où on met de la dépense et pour quoi faire »
La situation de la France peut être la source d’inquiétudes. Elle est aujourd’hui sans ministre des Finances en exercice, avec un déficit public qui pourrait être supérieur à celui prévu, déjà élevé. En effet, ce lundi, des documents budgétaires font état d’un déficit qui pourrait grimper à 5,6 % pour 2024, contre les 5,1 % prévus par le gouvernement. Le plus inquiétant est la trajectoire, qui verrait ce ratio se creuser pour 2026. Bruno Le Maire, ministre démissionnaire de l’Economie et des Finances, a alors dû revoir à la hausse le montant d’économies nécessaires pour satisfaire les règles européennes. A l’été, il parlait de 10 milliards d’euros supplémentaires à trouver pour 2024. En cette rentrée, il évoque le chiffre de 16 milliards. Un dérapage dû à une baisse des recettes, selon Anne-Sophie Alsif. « Il y a eu une surestimation du taux de croissance économique, c’est l’hypothèse haute qui a été choisie par le gouvernement, alors que c’est l’hypothèse moyenne voire basse qui s’est produite. Or, ces hypothèses ont influencé le calcul du budget pour l’année. Par ailleurs, le contexte international a joué un rôle. On est dans une phase de reprise économique, mais l’année dernière, il y a eu une phase de récession en Europe, et l’Allemagne rencontre des difficultés économiques. Or, c’est notre premier client et fournisseur. De plus, moins de croissance en zone euro et en Europe implique moins de demande, ce qui signifie moins de commandes pour les entreprises et donc moins de recettes et donc moins d’impôts », explique-t-elle.
La France se retrouve ainsi en déficit primaire à plus de 2 %, c’est-à-dire que même en retranchant le remboursement de la dette, ses comptes ne sont toujours pas à l’équilibre. Ce qui n’est pas le cas de l’Italie, par exemple. « Le sujet, ce n’est pas le niveau de dépense, c’est où on met de la dépense et pour faire quoi », explique Anne-Sophie Alsif, « on regarde si ce sont des dépenses d’investissement, qui permettent de créer de la croissance, ou de fonctionnement ». Or, d’après un rapport de France Stratégie, la France dépense davantage pour subventionner la consommation que pour investir.
Pas de risque de vivre un épisode à la grecque
La situation inquiète, à tel point que certains craignent une situation à la grecque. Pour rappel, en 2010, la Grèce avait fait appel à la Banque centrale européenne, à la Commission européenne et au Fonds monétaire international, car ses caisses étaient vides. Trois plans de sauvegarde ont alors été mis en œuvre, consistant à couper massivement dans la dépense publique, dans les retraites, salaires, financement des services publics, tout en augmentant les impôts. Une période difficile de laquelle la Grèce est sortie en 2022.
Des inquiétudes infondées, selon Anne-Sophie Alsif, qui regrette des « postures politiciennes ». « Au moment de ce qui s’est passé en Grèce, il n’y avait aucun mécanisme pour répondre à la crise : pas de mécanisme de stabilité, pas de Banque centrale européenne qui prête en dernier ressort », explique-t-elle.