Le Sénat

Préparation du budget 2025 : le Parlement en plein « brouillard » depuis la démission des ministres

Les commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat devraient recevoir, au cours du mois d’août, les plafonds de dépenses que Bercy propose pour chaque ministère. Si le gouvernement gère désormais les affaires courantes, l’élaboration technique du projet de loi de finances s’est poursuivie tout au long du mois de juillet.
Guillaume Jacquot

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Le calendrier de la dissolution ne pouvait pas plus mal tomber. Et ce n’est pas tant à cause de la tenue des Jeux olympiques en France. L’été est une période cruciale, chaque année, pour la rédaction du projet de loi de finances (PLF). C’est en juin-juillet que sa construction rentre dans le dur et se finalise progressivement, avec les arbitrages budgétaires de Bercy et de Matignon. Si les services techniques ont poursuivi tout au long des mois de juin et de juillet l’ensemble des travaux préparatoires au niveau des cabinets et de la Direction générale du Budget, tout le volet politique de l’élaboration du projet de loi de finances s’est retrouvé grandement perturbé par la campagne des législatives. Au 9 juin, date du couperet présidentiel, le ministre des Comptes publics n’avait pu s’entretenir dans le cadre des conférences budgétaires qu’avec le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques Stanislas Guerini, et la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra. La démission du gouvernement de Gabriel Attal le 16 juillet, qui expédie désormais les affaires courantes, est venue complexifier l’exercice.

L’arrivée d’une nouvelle équipe n’interviendra pas avant pas la mi-août, a précisé Emmanuel Macron lors de son interview du 23 juillet. Dans l’impossibilité de présenter des nouvelles mesures législatives, le gouvernement démissionnaire doit cependant répondre à la nécessité de présenter un budget. Dans les conditions actuelles, il en est réduit à préparer une base de travail. Le 11 juillet, Bruno Le Maire a indiqué que ce travail préparatoire se faisait « en ligne avec les engagements nationaux et européens » de la France. Le programme de stabilité, transmis à la Commission européenne en avril, tient pour l’heure de boussole, avec un objectif de retour à 3 % du déficit public à l’horizon 2027. « C’est ma responsabilité de ministre des Finances de garantir la continuité de l’État, et de préparer pour début août au plus tard un budget. Ce sera de la responsabilité politique du prochain gouvernement de valider ou non ces options », précisait dans les colonnes du Figaro le ministre de l’Economie et des Finances, quelques jours avant que le gouvernement ne remette sa démission.

« S’il n’y a pas de nouveau gouvernement avant la fin du mois d’août, ce sera au gouvernement démissionnaire de déposer ce texte »

L’heure tourne, puisque les délais d’examen du budget chaque année sont gravés dans le marbre de la Constitution. Selon la loi organique, le projet de loi de finances doit se retrouver sur le bureau de l’Assemblée nationale le premier mardi d’octobre, au plus tard. Le texte devrait être présenté normalement en Conseil des ministres le 25 septembre. Cette date limite sous-entend que la rédaction du projet de loi doit être bouclé avant la rentrée. Il faut en effet que le projet de loi soit transmis, pour avis, au Conseil d’État, puis au Haut Conseil des finances publiques.

« On se met en condition pour être prêt à respecter les prochaines échéances, avec un envoi d’un PLF fin août au Conseil d’Etat et le 13 septembre au Haut Conseil des finances publiques », nous indique-t-on au ministère des Comptes publics. « Le sujet, s’il n’y a pas de nouveau gouvernement qui est nommé avant la fin du mois d’août, ce sera au gouvernement démissionnaire de déposer ce texte », souligne également le ministère à Public Sénat.

La situation politique inédite a déjà conduit Bercy à faire une entorse à la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Le ministère des Comptes publics devait en effet adresser avant le 15 juillet un rapport qui détaille les plafonds de dépenses du budget de l’Etat envisagés pour l’année 2025, ainsi que la prévision de l’objectif de l’évolution de la dépense des administrations publiques. Or, à cette date, la commission des finances de l’Assemblée nationale, n’était pas encore constituée. Le ministre des Comptes publics, Thomas Cazenave, a pris soin d’avertir la commission des finances du Sénat que ces données ne pourraient pas être publiées dans les temps.

Les premières tendances du budget 2025 seront connues « courant août » dans les lettres plafonds

Ce qu’on appelle le « tiré à part » est un document généralement très attendu par les parlementaires, et pour qui s’intéresse au budget. En fixant l’évolution de chaque mission assumée par l’Etat, il donne une bonne indication des intentions du gouvernement pour le PLF, deux mois avant sa présentation. Selon le ministère, ces tirés à part devraient être transmis « courant août », nous répond-on au gouvernement.

Ce contretemps ne facilite pas la tâche des parlementaires, déjà confrontés en temps normal à des délais relativement contraints. Pour ne pas arranger les choses, la commission des finances de l’Assemblée nationale, qui est la première saisie sur le PLF rappelons-le, est toujours en phase de renouvellement. Elle doit désigner ses rapporteurs spéciaux, c’est-à-dire les députés en charge du rapport de chaque mission budgétaire, le 29 juillet. La moitié de ses membres sont par ailleurs nouveaux.

La commission des finances du Sénat, dont les travaux sont publiés en novembre, reste également bloquée à ce stade pour commencer à plancher sur un budget qui s’annonce très tendu. En raison notamment d’un accident budgétaire sur les recettes fin 2023, qui a sensiblement dégradé la trajectoire, avant que le gouvernement n’opère quelques mesures d’économies d’urgence à partir de février. Sans compter la procédure pour déficit excessif ouverte ce mois-ci par la Commission européenne. « Qu’ils nous donnent les enveloppes, les grandes tendances. Là, le risque c’est qu’on ait les éléments tardivement, qu’on passe la loi de règlement et qu’on enchaîne avec le projet de loi de finances », s’impatiente le rapporteur général de la commission des finances, Jean-François Husson (LR). « Au lieu d’une clarification, c’est plutôt le grand bazar. C’est un épais brouillard par temps d’été. En politique, il n’y a plus de saisons. »

Le président de la commission des finances, Claude Raynal (PS), se montre encore serein pour l’heure. Mais jusqu’à quand ? « Le retard est pour l’instant absorbable. Les problèmes apparaîtront fin août si le gouvernement n’est pas nommé d’ici là », se projette le sénateur de Haute-Garonne. « Même si c’est le gouvernement démissionnaire qui dépose un budget, le prochain gouvernement pourrait avoir la possibilité de l’amender. Et si c’est trop tard, le Parlement pourra toujours le modifier par amendement », explique l’entourage du ministre Thomas Cazenave.

Des rapports toujours en attente de publication

La dissolution a également percuté d’autres travaux, que l’on attendait le mois dernier. La remise du rapport sur les revues de dépenses, effectuées ces derniers mois, était prévu pour juin. C’est ce qu’avait annoncé Bruno Le Maire devant les sénateurs, au cours de sa longue audition du 28 mai. Sans surprise, la campagne des législatives n’était pas le moment propice pour lever le voile sur une étude qui passe au crible l’efficacité de la dépense publique et liste des gisements potentiels d’économies. « On a demandé les revues de dépenses du dernier trimestre de l’année 2023. On a eu quelques éléments parcellaires, je ne m’en satisfais pas », relaye Jean-François Husson.

Mystère également sur le volet fiscal, où les annonces des derniers mois se comptent sur les doigts d’une main. Début avril, Gabriel Attal annonçait le lancement d’une mission parlementaire sur la « taxation des rentes ». Cette commission devait rendre ses préconisations d’ici le mois de juin. D’après le ministère de l’Economie et des Finances, le gouvernement a préparé deux mesures que la future équipe pourra inclure au projet de loi de finances : une réforme de la taxe sur les producteurs d’électricité (contribution sur les rentes inframarginales), pour atteindre un rendement de trois milliards d’euros, et une taxe sur le rachat d’actions. Le budget 2025 est en passe de devenir une discipline olympique.

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