Comment redynamiser les salaires et éviter une trop grosse concentration des rémunérations au niveau du Smic, sans que cela coûte un euro aux finances publiques ? C’est sur cette question que deux économistes, missionnés par le gouvernement d’Élisabeth Borne fin 2023, ont travaillé durant plusieurs mois. Antoine Bozio et Antoine Wasmer ont rendu leur rapport final le 3 octobre.
L’idée générale se résume facilement. Les deux experts proposent de redéfinir l’échelle des exonérations de cotisations sociales, pour « désmiscardiser » le monde du travail. Ils proposent de relever les cotisations sociales patronales entre 1 et 1,2 Smic (c’est à ce niveau que se concentrent actuellement les exonérations de charges les plus importantes), et redescendre leur niveau sur les salaires compris entre 1,2 et 1,9 Smic. Au-delà de cette dernière borne, le coût du travail serait augmenté.
Remodeler la courbe du niveau des allègements de cotisations sociales aurait l’avantage de faciliter les revalorisations sous le salaire médian (environ 1,5 Smic). Leur coût pour l’employeur serait moins élevé grâce à des allègements généraux de cotisations se réduisant moins vite dans l’échelle des salaires. Selon la simulation des deux économistes, une telle refonte pourrait améliorer la masse salariale globale de 2,7 à 5,5 milliards d’euros. Leurs calculs laissent même apparaître un effet positif global sur l’emploi, avec près de 10 000 créations de postes dans leur scénario central.
Les deux économistes plaident pour un changement à budget constant, le gouvernement en tire lui des économies
Le gouvernement s’est emparé du sujet à l’article 6 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, en s’inspirant de leurs travaux. Mais sa réforme diffère des préconisations du rapport Bozio-Wasmer. Première différence : le dispositif du gouvernement se fait en deux temps. Pour 2025, le projet de loi propose de relever de deux points les cotisations patronales sur les salariés qui touchent entre 1 et 1,3 Smic. Puis de deux points supplémentaires en 2026. Les allègements de cotisations sur les salaires entre 1,3 et 1,8 Smic, eux, ne se produisent que dans un deuxième temps, en 2026. Pour 2025, le gouvernement anticipe 5 milliards d’euros de recettes supplémentaires de cotisations pour la Sécurité sociale.
« Pour 2025, vous aurez des destructions d’emplois, sauf à penser que ces augmentations de prélèvements obligatoires sont recyclées dans d’autres actions qui vont créer plus d’emplois que ce qui a été détruit par ces effets-là », a réagi l’économiste Antoine Bozio, auditionné au Sénat ce 22 octobre 2024. Le chercheur à l’École d’économie de Paris et directeur de l’Institut des politiques publiques (IPP) ne donne toutefois pas de chiffres sur l’impact, estimant qu’il y avait beaucoup « d’incertitudes ». L’OFCE, laboratoire de Science Po, a estimé à 50 000 emplois les destructions potentielles en trois ans.
Or c’est justement l’allègement sur les salaires suivant ceux situés à proximité immédiate du Smic qui aurait dû permettre d’équilibrer les comptes pour une majorité d’entreprises. « Le risque là, c’est qu’en 2025, on voit des effets négatifs sur l’emploi alors qu’au total l’esprit de la réforme qu’on pensait faire était faite, au contraire, pour ne pas avoir des effets négatifs sur l’emploi globaux », poursuit l’économiste.
« Force est de constater que la commande n’est pas la même, le gouvernement a changé, la commande a changé sur les budgets qui se présentent à nous. Pour 2025, c’est une recherche d’économies », a commenté la sénatrice Frédérique Puissat (LR).
« Les effets positifs pour les salaires intermédiaires vont être estompés »
Sur la deuxième étape de la réforme en 2026, le projet gouvernemental se rapproche cette fois du rapport Bozio-Wasmer, mais là encore avec quelques différences fondamentales. Le gouvernement conçoit en effet une extinction des exonérations de cotisation à partir d’un salaire situé à 3 Smic, là où les deux économistes proposent de sortir à 2,5 Smic. Le choix du gouvernement a donc pour effet d’affaisser davantage la courbe du niveau des exonérations de cotisations que dans la modélisation centrale du rapport Bozio-Wasmer, et donc de rendre la baisse du coût du travail sur les salaires intermédiaires moins spectaculaire. « De fait, vous aurez moins d’effets positifs attendus sur la dynamique salariale », analyse Antoine Bozio. « Ça veut dire que les effets positifs pour les salaires intermédiaires, en dessous du salaire médiant, vont être estompés. L’effet sur l’emploi attendu de façon plus positive sera aussi estompé », ajoute l’économiste.
Il a par ailleurs été interrogé sur la situation spécifique de certains secteurs d’activité, qui reposent pour l’essentiel sur des métiers rémunérés ou Smic ou à un niveau très proche. Le secteur de la propreté en est un exemple. Antoine Bozio a souligné qu’il faudrait un temps d’adaptation « différent » pour ces secteurs. « Ils sont dépendant de contrats pluriannuels qui ne leur permettent pas de réagir en modifiant leurs prix de façon rapide », a-t-il expliqué.