PARIS: Bercy, le Ministere de l Economie et des Finances

Plan d’économies : pourquoi le gouvernement peut s’éviter (pour le moment) un passage devant le Parlement

L’exécutif va agir par voie réglementaire pour mettre en œuvre ses 10 milliards d’euros d’économies annoncées en urgence sur le budget de l’Etat. La loi organique, qui encadre la procédure budgétaire, autorise ce coup de rabot, tout en fixant des limites.
Guillaume Jacquot

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Conséquence de de la révision à la baisse de la croissance pour 2024, le gouvernement resserre la vis des finances publiques, pour honorer son engagement d’un déficit à 4,4 % du PIB cette année. « On gagne moins, on dépense moins, c’est du bon sens », a prévenu d’emblée Bruno Le Maire au journal de 20 heures de TF1, dimanche soir. La croissance française est désormais attendue à 1 % cette année, en recul marqué par rapport au chiffre de 1,4 % sur lequel s’est construit le budget 2024, voté et promulgué fin décembre, il y a seulement deux mois. La prédiction était très supérieure aux estimations avancées par plusieurs organisations internationales.

Pour compenser la moindre progression des recettes fiscales dans ces conditions, et sans nouvelle hausse d’impôt, le gouvernement a annoncé 10 milliards d’euros d’économies sur le budget de l’Etat, un « effort immédiat », selon Bruno Le Maire. Cette décision ne signifie pas pour autant que le gouvernement va soumettre cette modification du niveau de dépenses devant le Parlement, par un projet de loi de finances rectificative (PLFR).

Ce lundi, Bercy a indiqué qu’un « décret d’annulation » serait pris « cette semaine ». Il s’agit de l’un des éléments de la panoplie de pilotage budgétaire permis par la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances. C’est elle qui fixe le cadre juridique applicable aux textes budgétaires.

Une petite fraction des crédits ouverts dans la loi de finances peut être annulée par décret

Le gouvernement a effet le pouvoir de prendre un tel décret pour annuler des crédits budgétaires, « afin de prévenir une détérioration de l’équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances », détaille la LOLF. Les mouvements sont néanmoins très encadrés. La LOLF est très claire à ce sujet : le montant cumulé des crédits annulés « ne peut dépasser 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l’année en cours ».

Il est d’ailleurs arrivé, par le passé, qu’un gouvernement franchisse cette limite. « Le plafond est parfois dépassé, sans aucune conséquence particulière », notait en 2016 dans un ouvrage consacré à la comptabilité publique, Damien Catteau, maître de conférences en droit public à l’université Lyon 3. Ce fut le cas, selon lui, en 2003 (1,8 % des crédits annulés) ou encore en 2005 (2,1% des crédits annulés).

À quoi correspond le total des crédits ouverts ? Le ministère de l’Economie et des Finances, recense par exemple 480 milliards de charges de budgétaires pour l’Etat pour 2024. Le même document comptabilise également 813,5 milliards pour le total des crédits de paiement « ouverts pour l’ensemble des missions de l’Etat ». En tenant compte de cette deuxième donnée, un volume de 10 milliards d’euros de crédits annulés par décret resterait sous le plafond légal autorisé. Dans le cas du premier, la limite serait dépassée.

Si la LOLF a limité en volume les mouvements budgétaires que l’exécutif peut opérer par voie réglementaire, c’est bien parce que le vote d’un budget reste fondamentalement lié au principe d’autorisation parlementaire. « Que ce soit pour les décrets d’annulation, les virements, les transferts, s’il y a des limites, c’est pour que le gouvernement ne fasse pas ce qu’il veut, une fois que la loi est votée », rappelle François Ecalle, ancien rapporteur général du rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques.

Le levier de la mise en réserve de crédits , pour prévenir une dégradation de l’équilibre budgétaire

L’ancien magistrat rappelle également que le gouvernement peut également agir sur au niveau des crédits gelés, une opération qui consiste à rendre indisponible une fraction des crédits ouverts en lois de finances. « Au début de chaque année, le ministère gèle 4 % de ses crédits, hors dépenses de personnel. Ils pourront être utilisés un jour. En principe le ministère du Budget attend la fin de l’année, pour les dégeler. Une partie peut être consommée, une autre peut être vraiment annulée », explique le fondateur de Fipeco, site d’informations dédié aux finances publiques.

C’est également une hypothèse que soutient Aurélien Baudu, professeur de droit public à l’université de Lille. « Il est plus crédible que les annulations récemment annoncées par le gouvernement portent sur les gels de crédits envisagés en loi de finances pour 2024 au titre de la réserve de précaution, tel qu’exposé en préambule du projet de loi de finances pour 2024 voté par le Parlement dans les conditions que nous connaissons depuis juin 2022 », explique ce spécialiste, secrétaire général adjoint de la Société française de finances publiques.

Aurélien Baudu souligne que la pratique des mises en réserve poursuit deux objectifs : « D’une part, faire face à des aléas de gestion à travers l’annulation de crédits gelés, d’autre part, modérer le rythme de progression de la consommation des crédits en cours d’année, en n’autorisant que progressivement la dépense des fonds gelés ».

Un décret d’avance pour financer des annonces récentes ?

D’autres mouvements budgétaires, dans le sens inverse, ne sont pas à exclure, comme pourrait le laisser penser une succession d’annonces de l’exécutif. « On a annoncé trois milliards d’euros pour l’Ukraine, 500 millions d’euros pour l’hôpital, et 400 millions d’euros pour les agriculteurs. Pour tout cela, il va falloir ouvrir des crédits. On peut avoir un décret d’annulation et un décret d’avance, il arrive souvent que les deux soient combinés », souligne François Ecalle.

Dans le cas d’un décret d’avance, le montant cumulé des crédits ainsi ouverts ne peut excéder 1 % des crédits ouverts par la loi de finances de l’année. Les commissions des finances doivent faire connaître leur avis au Premier ministre. Dans le cas d’un décret d’annulation, les deux commissions des finances, ainsi que les « autres commissions concernées », sont réduites à un rôle d’information. Le document doit leur être transmis, avant sa publication.

Les conséquences de ces différents décrets finissent toujours par être ratifiés dans une loi de finances. « Un décret d’annulation ou un décret d’avance doit être confirmé par le Parlement dans une loi de finances rectificative, celle de fin de gestion, ou une autre, s’il y en a une avant », détaille François Ecalle.

Pour le moment, le gouvernement n’a pas clairement affiché ses intentions sur un éventuel PLFR, qui permettrait des mouvements de crédits beaucoup plus conséquents que par décret. « Nous nous gardons aussi la possibilité de faire un budget rectificatif à l’été, en fonction des circonstances économiques et en fonction de la situation géopolitique », a prévenu hier Bruno Le Maire. « Tout ça obéit à un principe de responsabilité : agir au bon moment, mais sans brutalité pour garder la maîtrise de nos finances publiques. »

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