S’il y a bien un mot d’ordre que partagent la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, et le rapporteur général du budget au Sénat, Jean-François Husson (LR), c’est sans doute cette vigilance pour les mois à venir. Éviter en 2025 que l’histoire ne bégaie à nouveau et termine l’année avec une exécution du budget très éloignée de ce qui était inscrit dans la loi de finances initiale. Derrière cet impératif, l’un et l’autre ne se saisiraient pas forcément des mêmes outils. Pour ne pas revivre une troisième fois la tempête budgétaire des années 2023 et 2024, le gouvernement a élaboré un plan d’action, qualifié de « vrai tournant » ce lundi.
Le point de départ pour le rapporteur général du Sénat serait ne « pas s’appuyer sur des hypothèses avantageusement choisies »
Cette « méthode inédite », telle que l’a qualifiée le ministre de l’Economie Éric Lombard, repose sur trois piliers. Le gouvernement veut associer les parlementaires à travers un « comité d’alerte », pour surveiller tout risque d’écart dans les prévisions de recettes et de dépenses. Bercy veut également améliorer la transparence dans la construction des documents budgétaires, en faisant appel à un « cercle des prévisionnistes », ou en sollicitant systématiquement le Haut conseil des finances publiques pour le plan budgétaire de moyen terme transmis à l’Union européenne. Dernier axe : le ministère veut renforcer ses outils de prévision de rentrées fiscales venant des entreprises, ou de suivi de la dépense, notamment pour les hôpitaux.
Pour s’être penchée à deux reprises sur le double dérapage des finances publiques, la commission des finances du Sénat a elle aussi fourni une série de recommandations, susceptibles de servir de garde-fous et d’empêcher toute mauvaise surprise à l’avenir. Le rapporteur général de la commission, Jean-François Husson, appelle à ne pas s’éloigner du principal écueil. « Il y a du mieux. Mais je ne partage pas toujours l’idée selon laquelle le dérapage, pour ne pas dire la dérive, est lié à un problème de prévision. C’est d’abord la faute à des hypothèses trop optimistes. La priorité des priorités, c’est de rétablir les comptes, en ne s’appuyant pas sur des hypothèses avantageusement choisies, pour enjoliver une situation que l’on laisse par ailleurs se dégrader », avance le sénateur de Meurthe-et-Moselle.
« C’est un peu taper avec une masse sur une tête d’épingle »
Quant au dispositif de surveillance, qui se matérialisera dans le futur comité d’alerte, les sénateurs ne bouderont certainement pas leur plaisir de bénéficier désormais d’un partage d’informations plus régulier. Il y a encore moins d’un an, la commission des finances du Sénat regrettait une forme de « rétention d’informations ». Les temps ont désormais changé, et le gouvernement reconnaît avoir tenu compte des alertes venues du Parlement. La question du format fait toutefois débat. Outre les ministres, le comité d’alerte va intégrer les rapporteurs et présidents des commissions des finances et des affaires sociales, les parlementaires de ces deux commissions, soit 240 membres. S’y ajoutent les délégations parlementaires aux collectivités locales, les associations d’élus locaux, les représentants des caisses de la Sécurité sociale et le premier président de la Cour des comptes. C’est devant ce vaste public que seront partagés les éventuels écarts avec les prévisions, et les solutions de correction, le cas échéant.
Et c’est sans compter les autres réunions au niveau des administrations centrales, dans le suivi budgétaire. « On met des conférences de suivi tous les deux mois, dans l’intervalle du travail avec les commissions. On y ajoute une espèce de grande participation citoyenne transparente. Je trouve que c’est un peu taper avec une masse sur une tête d’épingle », observe un peu sceptique le rapporteur Jean-François Husson. « Il y a une disproportion. Attention que l’excès ne nuise pas à l’objectif. Il ne faut pas non plus mettre trop de complexité dans les outils dont on se dote », s’inquiète-t-il.
« Il y a un changement de méthode », note le socialiste Thierry Cozic
Ce n’est d’ailleurs pas une position isolée dans la commission. « Le fait que le Parlement soit associé me paraît intéressant. Mais je crains que l’on complexifie encore les choses et que l’on crée une usine à gaz », redoute également Thierry Cozic, le chef de file des socialistes à la commission des finances. « Il ne faut pas l’enterrer avant de l’avoir essayé, la situation l’exige. Si derrière, il y a une capacité à écouter les députés et les sénateurs, pourquoi pas. L’initiative est plutôt louable », ajoute le sénateur de la Sarthe.
Des législatives chamboule-tout et un gouvernement renversé sont passés par là, de meilleures relations de travail s’installent désormais entre la citadelle de Bercy et les commissions des finances. « Même si je ne partage pas la vision économique et budgétaire défendue, il y a un changement de méthode avec les deux ministres en responsabilité », salue Thierry Cozic.
Concernant le partage d’informations, l’opération transparence n’a pas commencé par le plan dévoilé ce lundi. Les prédécesseurs d’Éric Lombard et d’Amélie de Montchalin s’étaient engagés eux aussi à faire remonter davantage de données chaque mois avec les cadres des commissions des finances. Ce changement de pratique n’est toutefois pas encore parfaitement rodé. « C’est mieux qu’avant, mais il y a beaucoup de marges de progrès. Pour les services votés [l’application de la loi spéciale, ndlr], on devait recevoir un état des lieux tous les dix jours, il en manque. Je suis exigeant et loyal. Quand les choses s’améliorent, je le dis, et quand il y en manque, je le souligne également », rappelle Jean-François Husson.
Les sénateurs auront l’occasion d’échanger avec le ministre de l’Économie et la ministre des Comptes publics le 12 mars, dans le cadre de leur comité de suivi sur les finances publiques. Après avoir réactivé ce travail cet automne, la commission entend suivre avec la plus grande attention ce que donnera ce nouveau déroulé budgétaire, après une première tempête budgétaire, et sa « récidive » l’an dernier. « Il y a une intention, une volonté d’éviter une troisième fois. Il n’y aurait rien de pire », se projette Jean-François Husson. Lequel espère aussi qu’à l’avenir, les discussions se feront sur la base d’une certaine humilité. « Des responsables ont eu injustement une dent dure contre le Sénat. J’espère qu’ils seront plus prudents dans leur expression. »